mardi 13 avril 2010 par Le Patriote

De la rencontre très attendue et qui s'est déroulée dimanche dernier au palais de la présidence au Plateau, entre le chef de l'Etat et le Premier ministre, les Ivoiriens ont encore fraîchement en mémoire les images quasi idylliques que la télévision leur a présentées. On y voyait Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, bras dessus bras dessous, larges sourires et regards complices. On a surtout vu les deux hommes emprunter ensemble la voiture du président, qui était au volant, pour se rendre à la base navale voisine de leurs bureaux respectifs, d'où ils ont embarqué à bord d'une vedette pour poursuivre leur promenade dominicale sur la lagune Ebrié. Si on ne savait pas que ces deux personnages étaient les têtes de l'Exécutif ivoirien, on les aurait pris pour un couple d'acteurs campant les rôles principaux d'un film à l'eau de rose.
Mais les amoureux de ce soir-là, sont bien connus, et c'est ce qui est le fait notable dans cette affaire. Parce que quelques heures seulement auparavant, ils auraient pu se cribler tranquillement de balles. Comme dans un film western.
Et c'est à ce niveau que les Ivoiriens voudrait comprendre ce qui a bien pu changer dans l'appréhension par Gbagbo de la sortie de crise telle que Soro la conçoit pour que ce dernier s'affiche en amoureux avec celui qui se préparait, sans état d'âme aucuns, à le crucifier. En clair, qu'est-ce qu'ils se sont bien dit de nouveau, de dynamique pour le processus de sortie de crise, pour l'organisation de la présidentielle dans des délais raisonnables, mais aussi pour le désarmement avant les élections, pour la réunification intégrale, chevaux de batailles manifestement non négociables des refondateurs, pour que celui qui avait raidi sa position face à ces questions se montre si avenant, si prévenant à l'égard de Gbagbo ? Est-ce que Soro veut ainsi passer aux Ivoiriens le message du retour à de meilleurs sentiments quant au déblocage du processus électoral par son patron de président-candidat ? Devrait-on s'attendre à une réelle volonté de Gbagbo d'aller aux élections dans les tout prochains mois ? Telle sont vraiment les questions que les Ivoiriens, qui sont fatigués de souffrir, de patauger dans la misère depuis dix ans, de ne savoir comment se soigner, comment scolariser leurs enfants, comment commercialiser leurs produits agricoles, veulent savoir. Soro l'ami retrouvé de Gbagbo peut-il leur garantir cette issue heureuse pour leur avenir ? Voilà le vrai débat. Parce que les Ivoiriens ne sont pas amnésiques. Ils savent bien que Gbagbo a parlé du film western. C'est bien lui qui en magnifiait récemment les vertus. Il disait alors qu'il en pressentait la fin. Et que lui et Soro en découdraient. Quoiqu'il n'ait pas précisé qui en était le Brave ou le chef bandit , nul n'ignore qu'il prévoyait la mise à mort à l'issue de ce film de celui qui était brusquement redevenu l'homme à abattre, en dépit d'une collaboration jusque-là sans heurts majeurs, dans le cadre de l'accord politique (de Ouaga) qui les liait. La trompette de cette menace a été dès lors embouchée par ses lieutenants, et il ne s'est plus passé un seul jour sans que les Affi, Blé Goudé et autres Sokouri Bohui ne lâchent des rafales ? il est vrai mal cadrées ? contre Soro. Certes, des tirs nourris qui ont essuyé la riposte des partisans de celui-ci, par le biais notamment d'une dame à la gâchette facile, la cowgirl Assafou Bamba, ne s'en n'est pas du tout laissé conter,
Les passes d'armes pour ainsi dire, entre le camp présidentiel et les Forces nouvelles ont rythmé le quotidien des Ivoiriens. Et la raison en était simple.
Dans leur farouche volonté de remettre en cause les acquis du processus électoral issu de l'APO, Gbagbo et ses hommes se sont sentis contrariés par le patron des FN, mais surtout Premier ministre, donc arbitre de ce processus. Soro a dit non sur les questions névralgiques du dossier. Il n'a pas cautionné la remise en cause de la liste électorale provisoire, des CEI locales dont le FPI réclamait la recomposition. Certes, les questions de la réunification, du contentieux, de l'unicité des caisses avaient été soulevées par le camp présidentiel. Mais c'est surtout le refus de Soro de procéder au désarmement alors que l'accord complémentaire 4 de Ouaga réglait la question par le cantonnement, que Gbagbo a estimé attentatoire à son autorité et qui a justifié la déclaration de guerre par l'allégorie du film western. Il y voyait, comme une façon pour son allié de l'empêcher de gagner du temps dans la course à l'élection présidentielle. Le brusque regain de tension avec la remise en scelle d'un MI-24, la montée au créneau ponctuée de menaces à peine voilées du chef d'état-major des FDS contre les opposants, etc. participaient visiblement de la veillée d'armes avant les affrontements.
Les choses ont-elles changé de ce point de vue ? le film western s'est-il transformé en film d'amour pour le bonheur des Ivoiriens ? La virée de la lagune Ebrié augure-t-elle des lendemains qui chantent pour les millions d'Ivoiriens qui pleurent ? Car une seule chose les effraie aujourd'hui : que le film western se mue en film comique. Ce serait dommage.

EK

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