lundi 28 décembre 2009 par Le Temps

C`est ce qui ressort de ce long entretien, au cours duquel cet homme tenace et pugnace ne ménage ni ses explications ni ses adversaires. Rencontre avec un président-militant.

En raccompagnant ses hôtes, cette nuit-là, vers 2 heures du matin, le long des interminables couloirs marbrés de sa résidence de Cocody, Laurent Gbagbo s`arrête brusquement devant une double porte en acajou obstinément fermée. L`air grave: " Voici la chambre où dormait Houphouët. " On peut visiter ? " Non, je n`y suis jamais entré depuis neuf ans que je vis ici.

Simone, ma femme, qui n`a peur de rien, pourrait vous la décrire. Mon fils Michel aussi. Moi, je ne suis pas encore prêt". Tout Gbagbo est là: la tête dans les étoiles et les deux pieds dans la glaise, chrétien du genre charismatique et enfant de la brousse, où la nuit est peuplée de bons génies et de mauvais mystères. Dans l`histoire cinquantenaire de la Côte d`Ivoire, pense-t-il très fort sans le dire vraiment, il y a eu Félix Houphouët-Boigny et il y a lui. La première indépendance, en 1960, et la seconde, née dans la douleur, un jour d`octobre 2000, avec son arrivée au pouvoir. Tout le reste n`est que parenthèse...

Alors, évidemment, ce fauteuil présidentiel si longtemps attendu et si chèrement conservé, Laurent Gbagbo, 64 ans, natif de Mama, au c?ur de la boucle du cacao, n`entend pas le rendre.

Parce que, répète-t-il, la guerre a gâché son mandat et qu`il a une revanche à prendre sur ceux qui l`ont empêché de travailler. Mais aussi parce que ce pouvoir, il a appris à l`aimer. Il faut le voir jouant les guides attentifs devant les tapisseries anciennes et les tableaux de maîtres du Palais des hôtes de Yamoussoukro; il faut le suivre au volant de son 4x4, sur les chantiers pharaoniques de la nouvelle capitale, les yeux écarquillés, s`extasiant devant les blocs de béton -

" Je ne savais pas que ça pouvait être une matière aussi noble ! " -, pour comprendre ce qui le fait courir. Cet historien de formation est habité par une mission, presque une obsession: laisser sa trace de bâtisseur, poser son empreinte indélébile afin d`être digne de ce "Vieux" pour lequel il éprouva un étrange sentiment de fascination et de répulsion - et dont il côtoie, aujourd`hui encore, de Cocody à Yamoussoukro, le fantôme. Chaleureux, à la fois serein quant à l`échéance présidentielle à venir et extrêmement attentif aux réactions de son hôte du moment, Laurent Gbagbo se reprend vite: " Oui, je sais, tous ces avantages, il ne faut pas s`y attacher, j`y veille. "

Après le dîner, frugal et sans alcool en ce qui le concerne, Simone Gbagbo apparaît, hiératique dans son boubou d`amazone, très " femme noire" au teint d`ébène versifiée par Senghor. Son arrivée sonne comme un rappel à l`ordre: le combat électoral n`attend pas. Le professeur qui, à table, nous contait par le menu une page tragicomique de l`histoire de la Côte d`Ivoire - celle de la " République d`Eburnie " du fantasque Kragbé Gnagbé, qui souleva. le pays bété en 1970 avant d`être abattu avec ses fidèles - se mue alors en militant. Sur le qui-vive, prêt à dégainer, plus " Séplou " que jamais. Séplou ? Le nom d`un oiseau guetteur, chargé de prévenir ses frères de l`imminence du danger, et le surnom de village de Laurent Gbagbo, chez qui, tout, toujours, ramène à la terre des ancêtres. Cet entretien a été recueilli le 12 décembre dans le salon marocain du Palais des hôtes, à Yamoussoukro.

F.S.

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