vendredi 13 novembre 2009 par Le Repère

"Donnez-moi le pouvoir pour que je vous le redonne". En s'enthousiasmant pour ces paroles aussi populistes que démagogiques, des gens, de bonne foi, ne s'imaginaient pas qu'ils étaient en train de sceller leur sort. Les plus méfiants et, assurément des Saint Thomas, ont dû se dire : celui-là, il est trop bon parleur pour être honnête. Hélas, nombreux sont ceux qui, déjà, étaient passés à la casserole de la roublardise en cédant aux chants de la sirène.
En remontant, chronologiquement, le temps, on se rend compte que tout débute en 1982. Ayant bien conçu son plan, celui que le général Robert Guéi traitera de "boulanger" en 2002 (il en payera de sa vie le 19 septembre de la même année) s'exile volontairement en France en passant par la Haute Volta, devenue aujourd'hui le Burkina Faso, déguisé en éleveur de poulets sous le nom d'Abdoulaye Cissé. Arrivé dans l'Hexagone, il tente avec l'appui de son ex-épouse française de tromper Paris en faisant croire que le président Félix Houphouët-Boigny voulait l'assassiner. Quoi !?! S'étonne le "Vieux". Moi, Félix, qui ai juré devant Dieu que je ne verserai jamais le sang de mon prochain !? Qu'à cela ne tienne, "l'arbre n'a pas peur d'un oiseau", qu'il entre au pays. Ce qui fut fait en 1988. Au Burkina Faso, un jeune capitaine du nom de Blaise Compaoré venait de prendre le pouvoir en éliminant son compagnon de lutte, le capitaine Thomas Sankara. Houphouët-Boigny ayant une aversion pour les coups d'Etat, notre exilé volontaire va s'allier d'amitié au président du Faso où couvert et gîte lui seront servis à chaque fois qu'il le souhaitait.
En 1989, le monde est secoué par ce qu'on a appelé le "Vent de l'Est". Le mur, qui séparait les deux Allemagnes, venait de s'écrouler. C'est le printemps de la démocratie. La Côte d'Ivoire n'échappe pas à la bourrasque. Le "Vieux" fait appliquer l'article 7 de notre Constitution, le 30 avril 1990. Des partis politiques poussent comme des champignons. Les plus en vue sont le Front populaire ivoirien (Fpi), le Parti ivoirien des travailleurs (Pit), l'Union des sociaux démocrates (Usd) et le Parti pour le progrès et le socialisme (Pps). Les leaders de ces quatre partis politiques forment la coalition de la Gauche démocratique. Réunis à Korhogo, ils jurent de ne pas aller aux élections d'octobre 1990 et d'exiger du président Houphouët-Boigny la tenue d'une "Conférence nationale". Mais, à la surprise générale et surtout à la grande surprise de Wodié Francis, de Zadi Zaourou Bernard et de Bamba Moriféré, le leader du Fpi pactise avec le "Vieux" (les mauvaises langues racontent que c'est Houphouët qui avait payé sa caution de 20 millions) et se présente aux élections. Trahison, crièrent en ch?ur ses camarades de lutte de la Gauche ivoirienne. Dès cette date, la boîte de pandore venait de s'ouvrir. Le tournage du feuilleton peut commencer. Le premier à en payer les frais s'appelle Innocent Kobena Anaky. Prospère homme d'affaires, à travers sa société Inter transit, il porte, pratiquement, tout seul l'organisation financière du congrès clandestin du Fpi en 1988 à Dabou. Voulant couper la vache à lait du groupe, Houphouët fait arrêter Anaky. Les parents de ce dernier demandent sa clémence. Le "Vieux", comme à son habitude, laisse parler son c?ur et libère le soutien financier du Fpi. Contre toute attente, le leader du Fpi va le traiter de simple militant qui n'était pas membre fondateur du groupe à sa création. Trahi et humilié, Anaky sortira du Front populaire ivoirien par la plus petite des portes. Le second membre, très influent du reste, qui va passer à la casserole de la trahison s'appelle Louis André Dacoury-Tabley (il deviendra rebelle et ministre). Foncièrement attaché à ses idées et fidèle à ses engagements et à ses amitiés, André Dacoury-Tabley ne supportait pas le jeu clair-obscur du président du Fpi avec le Pdci alors que le Rdr était leur allié dans le cadre du Front républicain. Il l'a signifié au cours d'une réunion du bureau politique de son parti. Aussitôt la horde des hussards se rua sur lui et le guillotina avec fracas. Le Rdr, l'allié du Front républicain, ne va pas échapper à la vague de trahison. Alors qu'après le coup d'Etat du 24 décembre 1999, l'on s'attendait à voir les deux alliés gérer le pays aux côtés de la junte militaire de Robert Guéi, le coup de gueule fit l'effet d'une bombe : "Si c'est un coup d'Etat du Rdr, qu'on le dise. Coulibaly (Ndlr : le général CoulibalyN°2 du Cnsp) est Rdr, Palenfo est Rdr. Seydou Diarra est Rdr" Alassane Dramane Ouattara et Seydou Elimane Diarra venaient d'être trahis par leur camarade. En d'autres circonstances, ils auraient subi le courroux du peuple. D'ailleurs, cette trahison de leur allié se fera sentir dans le fonctionnement du Conseil national de salut public, dirigé par le Général Robert Guéi. Elle transparaît, d'ailleurs, dans l'écriture de la seconde Constitution ivoirienne avec la bataille du "Et" et du "Ou". Alassane Ouattara s'est senti plus que trahi par celui qu'il considérait comme son allié. Ce dernier, dans sa cabale, va tenter la mise sur pied d'un Front patriotique avec d'autres leaders politiques, principalement, avec le secrétaire-président intérimaire du Pdci-Rda, le président Bédié étant à 6.000 kilomètres de là. Cette trahison à l'encontre du président du Rdr prendra toutes les formes : dénigrement, reniement, coups médiatiques du genre "la présidence de la Côte d'Ivoire n'est pas une fonction de retraite pour fonctionnaires internationaux". L'allusion et le message étaient très clairs. Sur la route du pouvoir, ils seront nombreux les compagnons à être servis par l'homme "infréquentable". Nous citerons pêle-mêle Sylla Mahamadou Yacouba, fils du richissime Yacouba Sylla de Gagnoa. Au temps de la galère, ils étaient très liés. Mais aujourd'hui, demandez à Mahamadou s'il connaît encore la route du palais présidentiel. On peut citer entre autres trahis, Gaza Gazo, originaire de Lakota. Fortuné homme d'affaires installé au Gabon. Généreux dans la lutte, Gazo le fut. Ils sont de ceux qui ont poussé le Fpi au palais par leurs relations. Après les élections municipales de 2001, Gaza Gazo devient maire de sa ville natale, Lakota. En 2005, il entend se porter candidat aux élections présidentielles. C'est le crime qu'il ne fallait pas qu'il commît ! Le pouvoir Fpi fera tout pour le déchoir de son titre de maire de Lakota. Il lui est pratiquement interdit de mettre pied dans son pays. Encore que lui est vivant. Sinon que dire du général Robert Guéi? Bob comme l'appelait son compagnon de l'élection présidentielle d'octobre 2000. Venu pour balayer la maison ivoire un 24 décembre 1999, Robert Guéi va s'enfermer dans le piège tribal de "c'est notre tour" dans le Grand Ouest! Faisant preuve d'une naïveté à faire pâlir un enfant de 2 ans, il va signer un pacte nocturne avec celui qu'il qualifiera plus tard de "boulanger", pacte qui scellera son sort pour toujours. Son compagnon qui l'appelait affectueusement Bob "gagne" les élections d'octobre 2000. De vrais ou faux complots émaillent le début de son mandat. Il voyait des ennemis partout dont Blaise Compaoré, son bienfaiteur d'hier, à qui il ne ratait aucune occasion de décocher des flèches empoisonnées. Quand il disait qu'il déverserait les feux de la Géhenne sur la tête des voisins qui provoqueraient son pays, tous les regards se sont tournés vers le Faso. Et bien évidemment, quand éclata la rébellion, surtout qu'elle avait pris racine dans la partie septentrionale de la Côte d'Ivoire, les autorités ivoiriennes n'ont pas hésité à porter un doigt accusateur vers leur voisin du Nord, Blaise Compaoré. Trahir ainsi sa confiance, lui Compaoré qui, au nom des liens séculaires entre le pays d'Houphouët-Boigny et celui de Maurice Yaméogo, tenait son collègue d'Abidjan informé de la présence sur son sol de militaires déserteurs de l'armée ivoirienne. N'est-ce pas lui, Blaise Compaoré, qui avait arrêté Sia Popo qui s'enfuyait avec les 2 milliards qu'il venait de voler des caisses de la Bceao d'Abidjan ? Au nom d'une vieille amitié, n'avait-il pas cherché à désamorcer la crise en amont ? Toujours est-il que la rébellion a éclaté. Dans la recherche de solutions, un autre ancien et grand ami intervient. Il s'appelle Omar Bongo Odimba. Le président gabonais, on le sait, fut celui chez qui était l'opposant historique quand le coup d'Etat du 24 décembre 1999 a eu lieu. Il a expressément mis un avion à la disposition de son hôte pour descendre à Abidjan via Bouaké. Quand la crise a éclaté, Bongo croyait bien faire en volant au secours de son "bon petit" à qui il n'avait jamais rien refusé, que ce soit en nature ou en espèces. S'il savait ! Il se fera traiter de "rigolo". Sûr que jusqu'à sa mort, Omar Bongo Odimba n'aura pas oublié cette déconfiture. Et, il n'est pas seul dans ce cas : Essy Amara, Charles Konan Banny et Antoine Bohoun Bouabré peuvent être mis sur la liste des trahis. L'ambassadeur et ministre Essy Amara à qui on a arraché des mains, au dernier moment, la présidence de l'Union africaine qu'il aura bâtie de son intelligence. "Charly" venu de son poste de gouverneur de la Bceao au chevet de son pays malade, avait instauré le tandem avec l'autre pont de l'exécutif ivoirien. Et, au moment où il s'y attendait le moins, l'autre lui planta le couteau dans le dos en choisissant le chef des rebelles comme Premier ministre de la Côte d'Ivoire. Il ne sera pas le seul à payer les frais des gros sourires distribués en public. Charles Konan Banny, en devenant Premier ministre, avait quitté son poste de gouverneur de la Bceao. Il fallait désigner son remplaçant. Pendant près de trois mois, un seul nom circulait sur les lèvres. L'intéressé lui-même avait déjà bouclé sa valise au ministère du Plan. On savait que celui qui nomme avait sur son calepin le nom de six personnalités choisies dans sa région natale et tribale. Mais un seul émergeait. Ce dernier avait même effectué à Ouagadougou où se choisissait le gouverneur de la Bceao. Et, c'est dans la salle que Antoine Bohoun Bouabré va recevoir la douche froide : un autre est choisi à sa place ! Toute sa vie, Bohoun traînera cette trahison, même s'il se consola du fait que le choisi soit de la même tribu. Mais ne croyez pas qu'Antoine Bohoun Bouabré soit le seul dans cette série des meurtris. On peut à juste titre le citer comme l'un des premiers trahis. Bernard Doza qu'il s'appelle. Il est journaliste et écrivain. Il vit en Europe et principalement en France depuis de longues années. C'est idéologiquement que Bernard Doza se sent trahi. En effet, on se souvient du rôle que Doza a joué, en 1982, quand "Abdoulaye Cissé", venant de la Haute Volta (actuel Burkina Faso), a débarqué en France. Sa notoriété, il la doit à Bernard Doza. Une fois parvenu au pouvoir, le camarade va changer radicalement, en installant un régime de sang et de terreur, toute chose qui est contraire aux pratiques démocratiques. Aujourd'hui, c'est le trahi Doza qui écrit pour dénoncer celui qui ne peut vivre sans trahir ses compagnons. Parmi les trahis idéologiquement, se trouve le monument Harris Foté Memel. Jusqu'à son dernier soupir et devant les infatuations du chef d'orchestre des refondateurs, l'on l'entendait crier dans le désert : Camarade, pas ça ! Hélas, le film des trahisons continuera. La dernière en date, c'est le coup de poignard porté à la maison-mère : le Front populaire ivoirien. Choisir un parachuté du Pdci-Rda comme directeur national de campagne devant des éminences telles que Mamadou Koulibaly, des chevronnés comme Affi N'guessan, Lida Kouassi, Odette Sauyet, Bohoun Bouabré, Bertin Kadet, Désiré Tagro, Koudou Jeannette, Sangaré Aboudramane, Vohi Sahi, Hubert Oulaye, Miaka Ouretto, c'est assurément la trahison du siècle. Mais cette trahison n'est rien à côté de cette autre. Comment a-t-il osé faire à elle? Elle qui, en 1982, parmi des hommes qui tremblaient comme des feuilles mortes devant le régime Pdci (Aimé Pierre Kipré, actuel ambassadeur de la Côte d'Ivoire en France avait, par peur, démissionné de son poste de secrétaire général du Synares), avait assuré la survie du mouvement clandestin dont elle était membre fondateur, en prenant la direction des opérations, ce, pendant 6 ans ? Le 18 février 1992, elle était au c?ur de l'action. Ce qui lui vaudra son emprisonnement à la Maca. A dire vrai, Simone Ehivet, la "Grande Royale" du Fpi aura été de tous les combats pour la conquête du pouvoir d'Etat. Belle récompense que celle de lui coller dans les basques une jeune fille qui, quelques années encore, l'appelait "Maman" ! Et venait, en jeans délavé, demander son transport à "la tantie" après ses interviewes avec celui qui sera l'époux commun !
De toutes les trahisons qui ont défilé dans ce bref feuilleton, ce poignard plongé (piôôôh!) dans le sein de Simone Ehivet est le plus beau car, sorti, tout droit, des braises chaudes et rouges de l'enfer !

Gnamantêh

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