jeudi 12 novembre 2009 par Le Temps

Dans le cadre du Projet d'Information et d'Education électorale en Côte d'Ivoire, mise en ?uvre par l'Ong Eris (Electoral Reform international Services), avec l'appui financier de la Commission européenne, une série de formations a été initiée en direction des radios de proximité, média central de cette activité. Daniel Singleton, Consultant radio à Eris, explique ici l'opportunité d'un tel choix. Entretien.

Vous formez les radios de proximité sur la participation citoyenne. Peut-on savoir ce que renferme ce vocable ?
La participation citoyenne demande d'abord, à tout un chacun en Côte d'Ivoire de comprendre ce que c'est qu'être un citoyen. C'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de droits mais aussi de devoirs dont chacun doit s'acquitter. La participation citoyenne que nous avons choisie comme angle de formation leur demande non seulement de comprendre quels sont ces droits et devoirs mais aussi de s'impliquer à tous les niveaux. Que ce soit au niveau des prises de décision politique, du quartier, de la commune, de l'association des femmes de sa communauté, des femmes qui travaillent dans le vivrier, des associations de jeunes, des syndicats d'étudiants. Nous leur demandons de trouver des pistes pour qu'ils s'impliquent à 100% dans la vie de leur communauté.

Pensez-vous que l'Ivoirien n'est pas assez impliqué dans la vie de la nation ?
Au sujet de la participation citoyenne, il y a un certain déficit. Une équipe d'Eris était passée en octobre - novembre 2008 pour travailler sur cette problématique. Elle avait laissé des pistes de réflexion sur lesquelles nous avons travaillé : les gens en général, à tous les niveaux à peu près, comprenaient peu ou comprenaient mal ce que c'était que la citoyenneté. Donc on s'est dit qu'il fallait avoir quelques repères. On a recherché ce que disait la Constitution, ce que disaient les grands documents qui régissent aujourd'hui, la vie sociale dans le monde sur la citoyenneté, comme "Qu'est-ce qu'un citoyen ?" et "Comment se comporte-t-il ?" Surtout, dans le contexte d'une sortie de crise en Côte d'Ivoire, il était important de rappeler certaines choses justement sur ce thème de la citoyenneté. C'est-à-dire ce que c'est qu'un citoyen et comment se comporte le citoyen. La formation a été faite justement pour rappeler aux animateurs des radios de proximité ce qu'il en était concrètement, et pour qu'ils puissent trouver à leur tour les meilleurs moyens pour faire passer ce message. Il fallait que les animateurs comprennent d'abord ce qu'est la participation citoyenne, afin de le restituer à leurs auditeurs. C'est un message interactif. C'est-à-dire qu'ils développent plusieurs thèmes sur la participation citoyenne mais en accord et avec la participation des populations locales. Il y a en général des réactions des auditeurs. Ce qui permet une véritable symbiose entre les radios et leurs communautés d'auditeurs.

Eris, avant la mise en ?uvre de la campagne nationale de sensibilisation sur la participation citoyenne, a initié un nombre de formations, en direction des radios de proximité. A quoi cela répond-il ?
D'abord c'est parti d'un constat que la radio télévision ivoirienne, la Rti, ne couvre qu'une partie du territoire national. Si on voulait travailler avec un médium, il était difficile d'utiliser celui-là. La presse écrite ne couvre qu'une faible partie du pays. Le taux d'analphabétisme et d'illettrisme en Côte d'Ivoire est élevé. Il représente 63% des 15-45 ans, d'après une étude publiée en octobre 2008. Il y a très peu de gens qui lisent les journaux. Il y a beaucoup de villes et de villages du pays où on ne trouve pas de journaux. Les radios de proximité d'un autre côté, il y en a quand même une centaine, couvrant une grande partie du territoire. C'était important de travailler avec ces radios qui ont un rayon d'action qui va de 10 à 100 kilomètres. Cela nous permettrait de toucher une grande partie de la population surtout dans les milieux ruraux. Les radios de proximité se présentent comme des courroies de transmission essentielles, des acteurs incontournables. C'est pour cela qu'on a décidé de travailler en partenariat avec un nombre de radios de proximité (une vingtaine), de les approcher et de leur soumettre le projet. Et surtout de solliciter leur participation à cette campagne. C'était aussi une expérience pour Eris de s'adresser à ces radios de proximité qui connaissent mieux que quiconque, leurs communautés, leurs auditeurs, puisqu'elles sont en général, surtout dans les parties les plus reculées du pays, le seul moyen de diffusion d'émissions à caractère informatif et culturel. Elles sont aussi les sources de nouvelles locales.

Quel était le contenu des formations ?
Les formations ont porté sur la participation citoyenne, sur les groupes cibles (les femmes, les primo-votants et les sous-scolarisés, c'est-à-dire les analphabètes et les illettrés). Nous avons travaillé sur la manière pour ces radios de proximité de garder en mémoire les problèmes particuliers de ces trois groupes. Et comment ces radios peuvent jouer un rôle dans la sensibilisation de ces groupes. Il faut noter que les messages de sensibilisation sont diffusés dans plusieurs langues locales. Ce qui signifie que les émissions réalisées et les compilations que nous faisons, sont diffusées non seulement en français mais également dans un certain nombre de langues locales.

Est-ce que le message est bien passé ?
Je crois que le message est bien passé. En réalité, c'est une question de pratique. Il faut toujours se remettre en question, toujours se poser des questions. Nous leur avons laissé le manuel de formation auquel ils peuvent se référer. Pendant que le projet dure, ils peuvent encore poser des questions. C'est ce que nous faisons d'ailleurs durant les missions de suivi où les animateurs posent beaucoup de questions sur le contenu du manuel. Ils demandent surtout des éclaircissements, d'autres explications. Nous pensons que le message est bien compris, la charpente de la formation a été bien comprise. Ils ont une meilleure chance de mettre tout ceci en pratique parce qu'ils ont bien compris comment ça marche.

Avez-vous éprouvé des difficultés durant ces différentes formations ?
C'est surtout l'absence de moyens techniques et d'équipements lors des formations in situ. Nous nous sommes aperçus que bon nombre d'agents des radios travaillaient dans des situations difficiles. D'abord au niveau des salaires ou intéressements, les sommes sont assez modiques. Nombreux sont les agents des radios de proximité à avoir d'autres activités, pour supplémenter leur revenu. Cela a bien sûr un impact négatif sur les activités purement radiophoniques des animateurs. Il y a certains agents des radios de proximité qui sont rémunérés par les mairies. Mais ce sont plutôt les directeurs, quelques techniciens et les comptables, les administratifs plutôt que les animateurs. En général, soit ils sont bénévoles soit ils sont rémunérés à mi-temps. Donc ils ne gagnent vraiment pas beaucoup. C'est vraiment pour eux une vocation, un travail qu'ils font par amour même de leur métier. Il y a aussi les conditions dans lesquelles ils travaillent. Les radios sont installées dans des locaux qui ne répondent pas aux normes modernes. Ils ont des équipements dont l'entretien et la maintenance ne sont pas assurés. Aucun budget n'est prévu pour ça. Lorsqu'il y a des pannes, le matériel est abandonné pendant des mois. Ces radios n'ont pas de techniciens qui puissent travailler sur tous ces équipements. C'est un gros problème. Très souvent, les locaux ne sont pas climatisés. Quand il y a une climatisation, elle ne marche que dans le studio régie. Mais pas dans le studio d'animation. Ce qui rend les choses un peu difficiles parce que les gens souffrent de la chaleur à l'intérieur du studio. Mais nous retenons dans l'ensemble que, à l'intérieur du pays, les animateurs sont demandeurs de formations, de compétences supplémentaires pour pouvoir mieux faire leur métier. S'ils le font, ce n'est pas pour gagner des centaines de mille. Ce qu'ils demandent c'est de produire de meilleures émissions. C'est absolument admirable.

Que gagnent concrètement les Ivoiriens de cette formation ?
Au-delà de l'encouragement à aller voter, c'est de comprendre la vie de sa communauté et se dire que l'on pourrait aussi avoir envie de faire partie des instances de prise de décisions. Et comment on y arrive ? C'est d'abord par l'accès à l'information pour les analphabètes ou pour les illettrés. C'est aussi pour les femmes qui vivent dans les milieux ruraux, en particulier, ou dans les milieux les moins favorisés des villes, qu'elles pourraient non seulement prendre conscience de leur rôle dans le monde économique mais aussi politique, social et avoir accès à la formation pour justement continuer de progresser, intellectuellement, moralement, économiquement, politiquement. C'est très important. Nous avons demandé aux radios de proximité de faire passer ce message. Je crois que si l'on arrive à pérenniser ces avancées, les Ivoiriens dans leur ensemble, les populations ivoiriennes, auront un plus grand accès à l'information. Ces radios pourront aller au devant de leurs auditeurs pour leur demander leurs besoins. Comme l'a rappelé Karamoko Bamba, le président de l'Urpci (Union des radios de proximité de Côte d'Ivoire), il faut impliquer les populations locales dans la conception et la réalisation de ces programmes d'informations locales. C'est un gain, aussi bien pour les populations que pour les radios de proximité qui vont mieux travailler avec leurs auditeurs ou leurs communautés respectives.

Interview réalisée par
Jean-Baptiste Essis

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