mercredi 2 septembre 2009 par Nord-Sud

Plus 800 éducateurs spécialisés sont attendus les 9 et 10 septembre au Palais de la culture pour le 3e congrès de cette corporation. Au programme de ces assises, des ateliers et tables-rondes sur la gestion des problèmes sociaux créés par la crise. Bamba Lancina, secrétaire général du Syndicat national des éducateurs spécialisés de Côte d'Ivoire (Synadesci) nous en dit plus.


Qui est l'éducateur spécialisé ?

La corporation a été créée par le décret n°82-731 du 21 juillet 1982. Les premières promotions ont pris fonction en 1985. L'éducateur spécialisé est chargé de la prise en charge psycho-social des personnes handicapées et des inadaptés sociaux.


Qu'est-ce qui le différencie de l'assistant social ?

L'assistant social et l'éducateur spécialisé sont des collaborateurs. Mais, les champs de compétence sont bien dé­­finis. L'assistant social est un accom­pagnateur des individus. Il est une sorte d'interface entre l'individu ou les groupes d'individus et la société ou un service donné. Son rôle est plus administratif. L'éducateur spécialisé est quant à lui un technicien de la prise en charge psycho-sociale. On peut dire que l'assistant social intervient dans le domaine du normal, alors que l'éducateur spécialisé le fait dès l'instant où on ne parle plus de norme. C'est-à-dire que l'individu ou le groupe d'individus assistés sont sortis des carcans traditionnels.


Qui sont ces personnes ?

Le champ d'intervention est très vaste. Nous intervenons auprès des drogués, des prostituées, des enfants des rues, des personnes atteintes du Vih/Sida, en somme toutes les personnes qui sont en marge de la société ou qui sont en difficultés relationnelles avec la société. Dans les complexes socio-éducatifs où il y a des centres d'éducation spécialisée, nous sommes amenés à prendre en charge différents types de populations comme les jeunes drogués de Roxy à Adjamé, les prostituées, les filles mères, les aveugles, les sourds-muets, les personnes atteintes de défiance mentale appelées les fous. L'aveugle est par exemple une personne diminuée par le fait de ne pas voir. La vue étant un sens essentiel à la vie de l'individu, une personne qui ne voit pas est à priori défavorisée dans son évolution sociale. L'intervention de l'éducateur spécialisé consiste à réduire la dépendance de cet individu de la société ou de ses proches. Il lui apprend à se déplacer à l'aide d'une canne. C'est ainsi qu'un non-voyant formé à l'Institut national pour la promotion des aveugles, où nous intervenons, peut se déplacer seul, emprunter seul son bus. L'éducateur spécialisé qui est amené à encadrer l'aveugle est obligé de savoir le langage que ces personnes utilisent notamment le Braille. Il est obligé de maîtriser le langage gestuel pour pouvoir accompagner les malentendants.


Vous avez parlé des jeunes de Roxy. Que faites-vous à ce niveau ?

Quand c'est un handicap ou une inadaptation qu'il peut corriger ou aider à corriger seul, l'éducateur spécialisé met sa prise en charge en place. Quand il s'agit d'un handicap, une affection ou une inadaptation qui relève de la compétence d'un autre spécialiste, il l'oriente vers cette personne. C'est pourquoi l'éducateur spécialisé travaille en groupe. Il travaille avec le psychiatre, l'éducateur préscolaire, le psychologue etc. Aujourd'hui, le mal de la drogue continue de sévir de façon farouche au niveau de Roxy. On voit d'autres façons de se droguer. En dehors des drogues classiques comme le chanvre indien et autres, les jeunes ont trouvé beaucoup d'astuces. Ils sont capables de détecter des doses de drogue dans chaque type de produit d'usage courant comme la colle forte par exemple. Ils savent faire les associations de comprimés à usage courant pour que ces médicaments aient l'effet d'une drogue.


Qu'est-ce qui peut expliquer une telle tendance à l'auto destruction ?

De façon générale, ce sont les difficultés sociales. Les familles sont de plus en plus pauvres. Elles n'arrivent pas à faire face aux besoins élémentaires des enfants. Un enfant qui ne mange pas correctement à la maison, un enfant qui n'est pas scolarisé, ses parents n'ont plus d'autorité sur lui. Il est amené à sortir pour se débrouiller. Il n'y a pas encore 5 ou 6 jours, le programme de protection contre les violences faites aux enfants a accueilli une fillette de 5 ans qui a été brûlée par sa tutrice avec un couteau chauffé. Au lieu d'être à la grande section ou à la maternelle, des enfants, à bas âge, se retrouvent dans les rues en train de vendre des pommes. Les plus chanceux deviennent très tôt responsables de leur famille à un âge où ils devaient être sur les bancs de l'école. La majorité se livre à des larcins ou à la drogue.


Que faites-vous pour ces jeunes ?

Nous recherchons les parents. Quand vous rencontrez des parents de ce type ils vous disent qu'ils n'ont pas de moyens. Pour réduire ce genre de fléau, il faut mener des actions à l'égard de ces enfants s'ils ont un certain âge pour leur apprendre un métier, les réinsérer dans le tissu scolaire ou créer des activités génératrices de revenu pour les parents afin qu'ils puissent faire face aux besoins élémentaires de leurs familles. Mais de façon générale, l'Etat n'a pas de moyens pour cela. Les Ong qui essaient d'intervenir ne peuvent pas non plus couvrir toute cette population qui va de plus en plus grandissante.


Des fillettes se prostituent dans le grand marché d'Adjamé et ses environs. Que faites-vous devant une telle situation ?

La sensibilisation, la réintégration familiale, l'insertion professionnelle pour celles qui en ont l'âge, la création d'activités génératrices de revenus. Au complexe socio-éducatif d'Adjamé, vous verrez aujourd'hui des jeunes filles qui étaient dans ces activités de prostitution et qui ont été réinsérées. Certaines sont devenues des couturières, d'autres des tresseuses. Le complexe est en partenariat avec des tresseuses qui accueillent ces filles et les forment. Sans moyens, les complexes, avec les éducateurs spécialisés, essaient de faire le maximum pour sortir ces enfants de la rue.


Votre syndicat s'apprête à aller à un congrès qui va faire des propositions à l'Etat pour la gestion de la période post-crise. Que pouvez-vous faire dans ce contexte ?

La corporation est née en France après la deuxième guerre mondiale. De nouveaux maux sont nés à la faveur de cette guerre. Il fallait un type de professionnels adapté pour faire face à ces nouveaux maux qu'était les traumatismes de guerre, les déchirements familiaux et bien d'autres maux qui n'existaient pas au paravent. Il fallait, à côté des assistants sociaux, des infirmiers et de médecins qui étaient chargés d'accompagner de façon traditionnelle un nouveaux corps pour faire face à ce nouveau défi. Aujourd'hui, on peut relier la création du corps en France à la situation en Côte d'Ivoire. Mais, en 1982, il n'y avait pas de guerre dans le pays. Il y avait d'autres problèmes sociaux qui étaient en train de naître et dont nous avons parlé plus haut. Le sort a voulu que la Côte d'Ivoire connaisse la crise dont nous sortons. Aujourd'hui, les éducateurs spécialisés se retrouvent dans une situation qui fait corps avec le contexte originel de la création de leur corporation. Les maux comme la prostitution sont devenus encore plus criants, notamment sur ce qu'on appelle les ex-lignes de front. Ce sont des champs qui nécessitent l'intervention des éducateurs spécialisés en grand nombre. Le ministère de la Solidarité et de guerre en a envoyé en mission dans les parties Nord et Ouest du pays. Mais ce n'est pas suffisant pour la masse de personnes à assister.


Quels sont leurs besoins ?

Il y a eu la perte des emplois. Des personnes ont perdu leur conjoint, leurs enfants ou d'autres proches. Ce traumatisme est à gérer. Certains ont fui en perdant tous leurs biens. Le phénomène des margouillats (usuriers) est devenu plus grave aujourd'hui. C'est pour cette raison que les éducateurs spécialisés vont de plus en plus aujourd'hui dans des ministères comme le ministère de l'Education nationale pour faire face à ce problème qui devient un véritable fléau. Le phénomène des margouillats tendait à se résorber avec la création de différentes caisses d'épargne. Mais, il est revenu au galop et dans une proportion inquiétante du fait de la guerre. Les chefs de famille s'endettent de façon exponentielle.


Que faites-vous pour ces personnes ?

Il est arrivé aux éducateurs spécialisés d'accompagner des personnes qui sont dans ce genre de situation en allant à la source de leur problème. On sait que l'usure est une infraction en Côte d'Ivoire. L'éducateur spécialisé saisi d'un cas de ce type essaie de partir vers la banque de ces personnes afin de trouver des arrangements pour permettre à ces personnes de se remettre à flot. L'éducateur spécialisé va vers la justice pour neutraliser ces margouillats-là. L'Etat ne peut pas engager des frais colossaux pour former des gens qui travaillent pour le développement du pays et que ces personnes deviennent inopérantes. L'Etat paye à l'individu un salaire qui ne lui sert pas. Et ce salarié devient inutile à sa famille et à la société. En pareille situation, nous interpellons l'usurier pour lui dire qu'en Côte d'Ivoire, le taux d'intérêt d'un prêt ne peut pas dépasser tel ou tel pourcentage.


Comment réagissent-ils ?

Dès l'instant où la justice ou la police est impliquée, l'usurier cherche très tôt à s'en tirer à bon compte. Parce que c'est dans l'obscurité totale que ce genre de pratique se fait. C'est ainsi que nous avons sauvé de nombreux chefs de familles. Nous ne pouvons pas citer de noms ou d'exemples parce que ce sont des situations qui touchent à l'honorabilité des personnes. Mais, sachez que les victimes se trouvent dans toutes les catégories professionnelles de l'administration, même les plus insoupçonnées.

Interview réalisée par Cissé Sindou

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