vendredi 21 août 2009 par Nord-Sud

Sous la pression de la société cotonnière Ivoire coton, les producteurs dilapident leur patrimoine pour faire face aux remboursements de dettes estimées à 2,5 milliards FCFA. Le créancier dénonce une duplicité des paysans.

C'est le branle-bas dans les zones de production contrôlées par Ivoire coton. La société cotonnière a décidé de recourir à tous les moyens y compris à la force pour recouvrer les dettes que les paysans des trois directions régionales que sont Boundiali, Dianra et Odienné ont contractées auprès d'elle. L'ensemble de ces dettes dépassent les 2,5 milliards de FCFA. Les producteurs filent du mauvais coton et nous sommes obligés de secouer le cocotier. La compagnie sort d'une situation difficile et le plan de redressement mis en place a besoin d'être financé. On ne peut pas comprendre que les concernés ne montrent aucune volonté à respecter leurs engagements, afin de nous permettre d'atteindre nos objectifs, indique le chef de la zone de Tengrela, Vassoumgbé Diabaté. Mais, si Ivoire coton a pris l'option des muscles, c'est parce que, comme l'affirme un autre responsable basé à Dianra, dans le département de Mankono, toutes les facilités mises en place par le Directeur général, Vamissa Diomandé, destinées à assurer le remboursement des crédits dans de meilleures conditions sont restées lettres mortes.


Une dette de 2,5 milliards Fcfa

En fait, les paysans n'ont pas su ou pu tirer partie de ces facilités concédées par la société cotonnière pour solder les comptes. Pourquoi cette carence? Selon Ivoire coton, c'est tout simplement par mauvaise foi. Pour la société cotonnière, les producteurs ont pris la fâcheuse habitude de ruser avec leurs créanciers. M. Diomandé s'offusque que les intrants, les engrais et autres produits phytosanitaires qui leur sont livrés ne servent pas effectivement à leur objet. En effet, s'ils ne sont pas vendus à des commerçants, ils sont utilisés pour d'autres cultures différentes du coton, créant un énorme préjudice à l'opérateur économique, confronté à des difficultés d'approvisionnement des unités et surtout de rentabilisation de ses investissements. Même quand ils les utilisent pour le coton, beaucoup ne respectent pas le contrat avec celui qui leur a donné ces intrants. Ils vendent leurs productions à des tiers pour éviter de se voir défalquer les dettes. Nous voulons bien les aider mais cela est indéfendable parce que les sociétés cotonnières aussi ont besoin de fonctionner, de préserver des emplois. Je ne crois pas que ce soit de cette façon qu'elles peuvent assurer la mission de développement du Nord, confirme pour sa part, le président du Comité de suivi coton anacarde (Csca), Alphonse Soro, invitant les paysans à faire preuve de responsabilité. Si nous ne réagissons pas maintenant, il va nous arriver ce qui est advenu à La compagnie cotonnière de Côte d'Ivoire (Lcci) et qui se profile à la Compagnie ivoirienne pour le développement du textile (Cidt). Nous n'allons tout de même pas nous faire harakiri, ajoute le patron d'Ivoire coton, soulignant qu'il ira jusqu'au bout. C'est une analyse absolument partisane qui ne tient pas compte des réalités du terrain, rétorque N'golo Koné, président de coopérative à Kouto. Il soutient que l'incapacité des paysans à rembourser les dettes est globalement liée aux mauvaises récoltes et aux rendements insuffisants, citant les conditions climatiques particulièrement défavorables. A la précédente campagne, la récolte de coton ne lui a pas permis de rembourser les intrants pris à crédit avec Ivoire coton à qui tous les producteurs de sa région livrent leurs produits. Il s'est ainsi retrouvé avec des impayés. Mais, il n'est pas le seul dans ce cas. La moitié des 26 membres de son groupe est confrontée à la même galère. Ils ont cultivé 47 hectares de coton et récolté à peine 47 tonnes. Un bilan catastrophique qui risque de perdurer encore cette année. Pour la campagne en cours, la situation s'annonce encore plus hypothétique. Les pluies ne sont pas arrivées au moment opportun. Les premières gouttes sont tombées le 5 juillet alors qu'elles étaient attendues deux mois plutôt. Autant dire que tous les cotonculteurs n'ont pas eu le temps de mettre en valeur leurs parcelles. A cause de ces aléas, cet exercice agricole semble presque perdu et les paysans se disent bien obligés d'explorer d'autres spéculations. Ces explications ne convainquent par la société cotonnière qui parle de jérémiades. En tout cas, le patron d'Ivoire coton estime que dans la situation actuelle, elle n'a pas d'autre alternative que de procéder à un recouvrement forcé de ses créances. D'où les dispositions draconiennes prises pour contraindre les débiteurs à honorer leurs engagements afin de rentrer en possession des fonds. Contre mauvaise fortune, les paysans font bon c?ur. Et dans les zones de production, chacun cherche ses solutions. Des producteurs, comme Abou Konaté à Kanakono, affirment avoir sollicité l'aide de quelques parents pour échapper à la pression d'Ivoire coton. Il reste devoir un peu plus de 500.000 Fcfa. Je ne peux pas payer ce que je dois. C'est pourquoi j'ai décidé de venir voir les miens, révèle-t-il, se disant choqué par le manque d'humanisme de la société cotonnière. D'autres, de loin les plus nombreux, ont choisi de brader les matériels agricoles. Koné Nourlogo, membre de coopérative a liquidé sa charrue à 78.000 FCFA pour éponger une partie des 320.000 Fcfa qu'il doit à Ivoire coton. L'engin lui avait coûté la bagatelle de 192.000 FCFA. Son frère, Koné Yacouba, a carrément mis aux enchères ses b?ufs, qui servaient aux labours.

Le temps des bradages

Les deux bulldozers ont été vendus à 200.000 FCFA. Que va-t-il se passer la saison prochaine ? Personne n'ose y réfléchir, l'urgence étant de se sortir de l'enfer Ivoire coton. Le ministère de l'Agriculture affirme ne pas être informé de ces problèmes qui touchent au premier chef son département. Nous n'avons pas été officiellement saisis par qui que ce soit. Ils ont une interprofession au sein de laquelle ils règlent ce genre de situation et c'est le cas échéant qu'ils nous avisent, fait remarquer le directeur de cabinet, Alassane Zié Diamouténé.

Malheureusement, l'Intercoton, (plateforme regroupant producteurs, usiniers, égreneurs) n'a pas jugé utile de jouer son rôle d'arbitrage. Nous avons mieux à faire , tranche un responsable. En attendant, les conditions de vie dans les zones de production cotonnière se dégradent sévèrement. Les producteurs deviennent fragiles parce que n'ayant quasiment plus accès aux services de base. Ils sont incapables de financer les frais liés à la scolarisation des enfants et les retirent de l'école.

Lanciné Bakayoko

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