lundi 10 août 2009 par Nord-Sud

Une autre réforme du café cacao est en cours depuis quelques mois. Quels buts et quel modèle poursuit-elle?

40 % de la production mondiale, 15 % du Produit intérieur brut (Pib), 45 % des exportations, 700.000 emplois directs, environ 4 millions de personnes qui en vivent. Le café cacao représente un enjeu capital pour la Côte d'Ivoire. Malgré cette place prépondérante, le constat est implacable : la filière éprouve beaucoup de mal à impulser la dynamique nécessaire à un développement harmonieux de tous les acteurs. Pis, elle bat de l'aile. Au terme de cette campagne 2008-2009, par exemple, la production devrait connaître une baisse de l'ordre de 150.000 tonnes, révèle le président du Comité de gestion de la filière, Gilbert Ano. D'aucuns pensent que la situation peu reluisante est due à la rupture brutale avec la politique de stabilisation. En 1999 en effet, sous la pression de la Banque mondiale, l'Etat ivoirien a dû engager le processus de libéralisation du secteur. L'objectif était d'établir une concurrence plus équilibrée et plus efficace entre les différents intervenants du marché.

Ah, la gabegie !

Mais, ce retrait de la puissance publique des opérations de commercialisation n'a pas donné les fruits escomptés. Depuis 2002, divers rapports et inspections ont mis en cause l'efficacité de ce système avec en toile de fond, une baisse substantielle des revenus des paysans et surtout une multiplication des déperditions. En 2008, un rapport d'experts européens a émis un jugement particulièrement déprimant. Le texte pointe un doigt accusateur?: faiblesse du système de commercialisation, vieillissement du verger, parafiscalité excessive, gaspillage des ressources financières, mauvaise gestion, organisation approximative et manque d'évaluation des résultats. Ce rapport commandité par l'Union européenne, a ainsi préconisé une restructuration fondamentale aux plans juridique et institutionnel du secteur. Après quelques atermoiements, les autorités ivoiriennes se sont résolues à reconnaître les écueils. Je suis déçu, a dit le chef de l'Etat, Laurent Gbagbo suivi en cela par les producteurs eux-mêmes notamment ceux de la base. La libéralisation est un échec. Nous sommes devenus plus pauvres qu'avant, analyse pour sa part, Pierre Mabéa, membre de la Coopérative des producteurs de Gabiadji (Coopaga). Dans les zones de production comme à Méagui, la libéralisation forcée du marché a plongé de très nombreux agriculteurs dans la précarité. La plupart d'entre eux ne disposent pas d'information sur les prix et n'ont pas la possibilité d'emprunter des fonds. La conséquence est qu'ils dépendent directement d'intermédiaires commerciaux souvent peu scrupuleux. Nous sommes à la merci des acheteurs véreux parce que nous n'avons pas le minimum , s'offusque Oupoh Koré, délégué Anaproci dans la Nawa. Ces intermédiaires de mauvais acabit se trouvent au contraire dans une position de force : ils ont facilement accès à des capitaux et à des moyens de transport et sont mieux informés que les paysans sur l'évolution des prix offerts dans les ports. Un autre facteur important qui renforce la position des intermédiaires, est qu'ils entretiennent des contacts entre eux, afin de fixer les prix offerts aux producteurs, dans le but d'obtenir le profit le plus important. M. Oupoh note que la quasi-absence de l'Etat dans ces deux secteurs a des conséquences graves au plan social, mais aussi au plan économique. En effet, des analphabètes peuvent facilement être trompés par les intermédiaires. Un mauvais état de santé limite la productivité du travail et les agriculteurs sont obligés de limiter leurs investissements, pour garder des économies destinées à payer d'éventuels soins. Si les agriculteurs préfèrent vendre leur production à des intermédiaires qui paient en liquide, plutôt que de vendre à crédit à la coopérative, c'est en partie parce qu'ils ont besoin d'argent liquide pour payer les frais de scolarisation de leurs enfants. Le début de l'année scolaire coïncide d'ailleurs avec le début de la récolte du cacao. Pour le président de la coopérative Kavokiva, la libéralisation a déstructuré la chaîne du cacao, devenue très complexe. Aux deux extrémités, explique Fulgence N'guessan, on trouve d'une part un grand nombre de petits agriculteurs qui produisent du cacao et, d'autre part, un grand groupe de consommateurs de chocolat. Le chemin parcouru par le cacao entre les producteurs de cacao et les consommateurs de chocolat, qui passe par les commerçants locaux, les exportateurs internationaux, les transformateurs, les fabricants de chocolat et les supermarchés, se caractérise en revanche par une forte concentration. En effet, dans chaque maillon de la chaîne, on ne trouve que quelques entreprises multinationales. En outre, les activités de ces multinationales sont dans de nombreux cas intégrées sur tout le long de la chaîne, ce qui leur donne un pouvoir de marché énorme, qui s'exerce sur des millions de producteurs généralement pas ou peu organisés.
Qu'on partage ou non ces diagnostics, ils illustrent une certaine insatisfaction aussi bien de la communauté internationale que des acteurs locaux, sur la mise en ?uvre de la libéralisation de la filière café cacao. En tout cas, la situation sociale des petits producteurs, font remarquer les observateurs, n'a guère évolué et une trentaine de personnalités ayant partie liée avec la gestion des structures nées de cette libéralisation sont en prison, placées sous mandat de dépôt. Le parquet les accuse de malversations financières, d'abus de biens sociaux, de faux et usage de faux, etc. Si les bailleurs de fonds ne s'en félicitent pas ouvertement, ils ne s'en émeuvent pas non plus. Preuve évidente que la libéralisation n'a pas connu les résultats escomptés. D'ailleurs, au cours de sa dernière mission ivoirienne où elle a pu toucher du doigt les difficultés du monde paysan, la vice-présidente de la Banque mondiale a soutenu la nécessité d'une réforme en profondeur de l'ensemble du système de management du binôme café cacao. Pour Obiageli Esekweli, la pratique en cours a montré ses limites. J'ai vu une femme de moins de 40 années qui ressemblait à une vieille femme de près de 70 ans. Ce n'est pas acceptable. Il faut que cela change , s'est elle révoltée. Certes, elle ne met pas en cause le retrait de l'Etat mais, exige une diminution de la parafiscalité. De son côté, le Fonds monétaire international (Fmi) estime que la compétitivité à l'échelon mondial, le développement d'une économie agricole, ainsi que la réponse à la demande sociale de travail sont les notions-clés d'une conception réformée du monde agricole, tournée vers le marché, la concurrence et surtout la professionnalisation. Or, souligne l'institution internationale, l'agriculture cacaoyère ivoirienne ne correspond pas à ce modèle d'autant qu'elle souffre d'un certain manque d'attractivité.

Le modèle ghanéen ?

Il semble que l'Etat n'a pas privilégié la valorisation des spéculations, notamment par un intéressement plus significatif des paysans et une politique de qualité plus profitable. Après une première phase de réformes dont le démantèlement des grandes structures de gestion, Laurent Gbagbo a pris le 27 février 2009 un autre décret portant création d'un comité de réforme chargé de la réorganisation administrative, scientifique et technique du secteur. Ce comité présidé par sa conseillère juridique, Géraldine Odéhouri-Brou va rendre ses conclusions au plus tard fin août. S'inspirant partiellement des modèles ghanéens (vente anticipée) les propositions contenues dans le mémorandum (non encore public) s'inscrivent dans des orientations très précises, prises sur la base des dysfonctionnements antérieurs. Au terme du séminaire organisé du 7 au 23 juillet 2009 à Abidjan, la nostalgie de la stabilisation ne fait l'ombre d'aucun doute. Le retour à un système stabilisé est la seule façon d'amener la richesse aux producteurs, tranche Christophe Douka, producteur de la région de Divo par ailleurs membre de la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire. Le schéma qui se dégage est le retour à une structure unique pour gérer la commercialisation et l'encadrement de la filière café-cacao , explique un haut cadre du ministère de l'Agriculture. Pour lui, Il est important de revenir à un système de stabilisation dans la filière café cacao. La crise financière mondiale actuelle doit convaincre ces institutions qu'il faut l'intervention de l'Etat, explique-t-il.


Lanciné Bakayoko

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