jeudi 6 août 2009 par Le Repère

L'heure de la révolution a sonné dans le secteur de la télécommunication. Surfer à moindre coût est désormais possible et les cybercafés se créent partout dans les quartiers. La population ne se prive plus de connexion, car les prix de navigation ont été considérablement revus à la baisse. Ce boom, tant au niveau du coût de la connexion que de la fréquentation des cyberespaces, a par conséquent diversifié la clientèle des gérants de cybercafés. Cette nouvelle clientèle non négligeable concerne les enfants dont l'âge varie entre 7 et 15ans. Que viennent-ils exactement faire dans ces cyberespaces ? Sont-ils surveillés ? Comment par la même occasion les gérants arrivent-ils à s'en sortir face aux prix dérisoires de navigation qu'ils proposent à leurs clients ? Enquête.


Ce qui attire les enfants

Ce 5 juillet, sous une pluie battante dans un village ébrié, sis à Cocody, six enfants sont assis en face de trois ordinateurs dans un cybercafé. Ils sont assis à deux sur chaque chaise, en train de jouer. Ils se disputent le tour de passage parce qu'ils disposent de 30mn pour pouvoir tous surfer. Quelques dizaines de minutes plus tard, le temps imparti pour la connexion s'estompe. Ils sont obligés de ceder la place. Les 30mn ont coûté 125 Francs Cfa et chaque enfant a contribué. Dans ce petit village situé au bord de la lagune, ces enfants, à l'instar de nombreux enfants d'ailleurs, sont fascinés par l'Internet. Pour eux, l'Internet est un moyen de rêver, de voyager, de sortir du quotidien routinier et surtout de se distraire. Homestation.com, abidjanjeux.com, jeux.fr, yahoojeux.fr, Pro Evolution Soccer, sont entre autres sites parmi la multitude qu'ils visitent.
Le 8 juillet, il est 12h. A l'intérieur d'un cybercafé au Plateau-Dokui, il y a une concentration absolue de visiteurs. Josiane, 14 ans, élève dans un collège à Abobo a deux écouteurs enfoncés dans les oreilles. Elle a les yeux rivés sur l'écran de l'ordinateur. Interrogée, cette accro de la toile nous affirme que fréquenter les cybers lui permet de chercher sur le net des informations sur tout ce qu'elle affectionne et de se faire aussi des amis. " Internet est un moyen pour moi de me distraire et à chaque fois que je me connecte, j'en profite pour me faire des amis ", nous dit-elle, en gardant une oreillette à l'oreille droite et l'autre pendue. Pour Ali M., âgé de 12 ans, surfer est un des moments qu'il utilise pour s'isoler avec Sandra, l'une des filles qu'il a rencontrée sur un site de tchatche et avec qui, il est toujours impatient de discuter, voire flirter. En ce qui concerne les sites de jeux, les plus prisés par les filles, ce sont des sites de mannequins où elles ont une panoplie de choix pour habiller les poupées. Les garçons, eux, préfèrent les jeux de combat ou de football. Les sites des stars de films brésiliens, américains ainsi que de chansons font aussi partie des choix de première classe des enfants.


Les dangers qu'ils courent

En fréquentant les cybercafés, les enfants courent de nombreux dangers. En effet, force est de constater que l'Internet rend les enfants paresseux. Face à la panoplie d'informations qu'ils peuvent avoir, ils ne se fatiguent plus à ouvrir des ouvrages, à se documenter ou à réfléchir. Le copier-coller? (utilisation abusive de paragraphes d'un sujet sur le site Internet) devient donc la méthode la plus rapide et la mieux appropriée pour eux pour pouvoir vite faire leur exposé. A côté de ce piratage intellectuel, ils s'adonnent à des parties interminables de jeu où la plupart du temps, il est question de guerre virtuelle au cours de laquelle ils doivent triompher après plusieurs manches. Comme nous l'a confié un gérant de cybercafé aux Deux Plateaux, " la plupart des jeux en ligne sur lesquels les enfants s'amusent sont recommandés aux majeurs ou adultes ". Cela signifie donc qu'ils sont témoins et acteurs de la violence des jeux vidéo qu'ils visionnent et qu'ils reproduisent souvent avec leurs amis par la même occasion. Les enfants ne sont également pas à l'abri de la perversion. Par le net, ils accèdent aux sites d'amour gratuits ou de rencontres pour tchatcher (NDLR : discuter), avec leurs correspondants ou amis. Pour ce qui est des correspondants, ils revêtent de ce fait, de fausses identités. L'âge et la fonction sont alors changés pour mieux appâter les filles célibataires qui n'hésitent pas souvent à utiliser des propos osés avec ceux qu'elles prennent pour des adultes. Les enfants, surtout les jeunes filles dont l'âge varie en 10 et 15 ans sont aussi les proies des prédateurs sexuels. Les jeunes garçons, quant à eux, utilisent des astuces pour pouvoir visionner des films pornographiques. Avec des clés Usb, ils vont sur les sites gratuits desdits films qu'ils téléchargent. Faisant alors croire aux gérants qu'ils travaillent sur des sites de recherche qu'ils prennent le soin d'ouvrir au préalable, ils visionnent les films pornographiques sans vraiment être inquiétés.

De nombreux propriétaires de ces lieux de surf ne prêtent malheureusement pas attention à ce que font ces enfants, car leur seul souci est de gagner de l'argent.


Entre la responsabilité et la recette

" Interdiction d'accès aux sites pornographiques " ! Au premier coup d'oeil, l'on est frappé par cette affiche postée à l'entrée du cybercafé de Koné, situé à la Riviera II. D'après le gérant, il n'est pas respectueux de voir certaines choses obscènes. Ces choses obscènes se traduisent par tout ce qui a trait à la perversion et à la dépravation des m?urs. Pour éviter que les enfants y aient accès, il nous indique que "les ordinateurs sont programmés de telle sorte qu'il est impossible à n'importe quel client d'avoir accès aux sites pornographiques ". Selon lui, pour protéger les enfants de la perversité, ils doivent être accompagnés par un parent âgé qui pourrait les guider parce qu'en raison des autres activités qu'ils exercent, les gérants n'ont pas le temps d'avoir un ?il sur les enfants. David gérant, aux 220 logements, nous explique comment il surveille les enfants qui fréquentent son cybercafé. " Vous voyez, nous avons déjà des restrictions ici", nous dit-il en nous montrant deux affiches collées au mur sur lesquelles on pouvait lire " sites pornographiques interdits ". " Les enfants n'ont pas le droit de regarder des sites pervers ici et ils n'ont pas le droit de surfer pendant deux heures de temps ". Selon lui, vu leur jeune âge, les enfants risquent d'abîmer leurs yeux en fréquentant régulièrement et pendant de longues heures les cybercafés. Cette responsabilité qu'il a prise au risque de sa recette journalière est, d'après ses dires, justifiée. " C'est vrai que nous devons faire une recette, mais nous connaissons les parents de la plupart des enfants qui viennent ici. Donc, nous les considérons comme nos propres enfants. Ils ne doivent pas visiter ici des sites indécents ". C'est l'avis partagé par Franck K, propriétaire et gérant de cybercafé qui nous a par la suite avoué que les enfants échappent souvent aux dispositifs de contrôle qu'ils ont instaurés.

Dans un autre cybercafé à la Riviera II, un groupe de quatre jeunes dont l'âge varie entre 12 et 14 ans, que nous avons rencontrés, des casques sur la tête, surfent. Certains que nous espionnons sont sur les sites de tchatche d'amour. Ce "cyber", contrairement aux autres, offre une totale liberté aux internautes en ce qui concerne leurs choix. Aucune affiche n'indique que les sites pornographiques ou les jeux de violence sont interdits. Cette particularité de ce cybercafé, d'ailleurs, favorise la venue massive des visiteurs. " Je ne m'occupe pas de ce que font mes clients. Ici, nous accueillons toutes les catégories d'âge confondues ". Nous a indiqué Alpha, le gérant. C'est la même politique adoptée par Koné, un autre gérant dont le cybercafé est situé juste à côté de celui d'Alpha. Selon lui, ce choix s'explique par le fait que les enfants et les jeunes constituent une large marge de sa clientèle. " Je suis déçu quand je vois des petites filles prendre des Webcam pour montrer leurs images à des inconnus ou les voir regarder des images destinées à des adultes. Mais que voulez-vous ? Moi, je dois faire ma recette ". Nous dit-il sans aucun remords.


Comment les gérants arrivent à s'en sortir

La commercialisation de la connexion à Internet n'est plus rentable. L'avoir comme ressource unique pour se faire de l'argent conduit à la faillite. Pour pouvoir donc faire face aux nombreuses dépenses qu'ils effectuent et se faire des recettes, les gérants de cybercafés multiplient parallèlement d'autres activités dans leur cyberespace. Ces activités concernent les appels internationaux, les fax, les traitements de texte, la prise de photo numérique et les impressions. D'ailleurs, tout comme les adultes, les enfants, pour ceux qui n'ont pas d'ordinateurs à la maison, se rendent dans les cybercafés pendant l'année scolaire pour aussi étudier. En compagnie du gérant, ils font des traitements de texte pour leurs exposés ou encore des recherches sur le net. David, un des gérants, nous a confiée à ce sujet que ces activités parallèles lui permettaient à l'instar de la majorité des gérants de cybercafés de subvenir à leur besoin. " On fait un peu de tout maintenant pour pouvoir diversifier les revenus. La navigation à elle seule ne rapporte plus ", nous a-t-il confié.

Cinthia R. Aka et Emeline P Amangoua

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