jeudi 6 août 2009 par Le Temps

Le village de Niangon Lokoa est pris en otage par deux camps. Qui se disputent le poste de chef. Alors que l`arrêté n°676 PA/SG/D1 du 28 août 2008 pris par le préfet Sam Etiassé a déjà tranché en faveur d`un camp.

Le village de Niangon Lokoa sis dans la commune de Yopougon est en proie à un conflit latent de chefferie traditionnelle. La nomination de M. Akré Akré Albert comme chef par l`arrêté n°676 PA/SG/D1du 28 août 2008 en est la pomme de discorde. Deux camps s`opposent lesquels sont pourtant issus de la même génération, à savoir les Dougbo. Pour bien démêler l`écheveau de ce bras de fer, nous nous sommes rendus dans ledit village, à la demande d`un des camps impliqués dans cette affaire. De l`explication des membres dudit camp, il ressort que tout a commencé le 23 juillet 2006. Les Gnando qui ont épuisé leurs quinze années de règne, doivent passer le pouvoir aux Dougbo. Cette génération a donc transmis le pouvoir au doyen du village, Akré Akpan Bernard (décédé il y a peu). A son tour, celui-ci a réuni tout le village et la génération Dougbo le 26 juillet 2006 pour dire que les Gnando lui ont remis le pouvoir. Les Blessoué, aînés des Gnando qui devaient conseiller au doyen de remettre le pouvoir aux Dougbo, ont préféré le garder par devers eux pendant un mois. Le doyen Akré, reprend le pouvoir des mains des Blessoué le 22 août 2008 et le remet ensuite au doyen des Dougbo, M. Djama Dogbo Gédéon, le 27 août 2008. A lui, le doyen a demandé de désigner dans un bref délai un ou deux candidats pour la chefferie. Ainsi le député N`Kragbo Mobio Simon Pierre (1er) et M. Boto Akré M`moué Moïse Claver (2e) ont été proposés aux villageois par l`entremise du doyen. Ces deux choix, démontrent aux yeux du doyen du village qu`il n`y a pas de consensus au sein de la génération Dougbo. Il les a renvoyés à une seconde réflexion. Contre toute attente, pendant que les Dougbo approfondissent leur réflexion, le doyen du village s`arroge le titre de chef intérimaire pendant 5 mois par une décision provisoire signée par M. Eben-Ezer Guébo Dja, alors Directeur général de l`administration territoriale. Huit mois après cet acte que ses détracteurs qualifient de "putsch", le doyen réunit le 18 avril 2007 toutes les générations, à savoir les Gnando, Tchagba, Dougbo et les Blessoué. Devant tous, il demande au doyen de la génération Dougbo de lui proposer pour une dernière fois un chef. Malheureusement, Djama Dogbo Gédéon s`autoproclame chef devant tous. Il brandit pour cela un arrêté signé par M. Eben-Ezer Guébo Dja. Cet acte est vite rejeté par l`assemblée qui, séance tenante, choisit M. Boto Akré M`moué Moïse Claver comme chef. Car l`autre candidat, le député N`Kragbo Mobio Simon Pierre est rendu forclos par l`article 88 du code électoral qui interdit à un élu de briguer un poste de chef de village. Sur ces entrefaites, par courrier daté du 18 avril 2007, le chef du village sortant, Djomoh Paulin sollicite auprès de l`administration du territoire, un arrêté de nomination en faveur de Boto Akré, le nouveau chef de Niangon Lokoa. Cette lettre porte également la signature du doyen du village. Une cérémonie de libation a même eu lieu. Ils croyaient si bien faire, selon leurs propos, qu`ils ne s`attendaient pas à un revirement de situation.

Le préfet d`Abidjan Sam Etiassé accusé

Le camp d`Akré Boto accuse le préfet de la Région des Lagunes, et d`Abidjan, Sam Etiassé d`avoir remis en cause la nomination de leur chef. Car à en croire ceux-ci, le député N`Kragbo Mobio, non content de son inéligibilité, serait allé voir le préfet Etiassé avant que la génération Dougbo ne rencontre celui-ci pour lui demander de délivrer un arrêté de nomination à Akré Boto. Suite à la visite du député au préfet d`Abidjan, c`est finalement le beau-frère, M. Akré Akré Albert qui est imposé comme chef par le gouverneur Sam Etiassé. Qui lui a délivré à cet effet, l`arrêté n° 676/PA/SG/D1 du 28 août 2008 à l`insu des autres parties. Le village et le doyen Akpan ainsi que la génération Dougbo seront informés de cette décision par la rumeur qui sera confirmée. La rencontre qui s`en est suivie avec le préfet d`Abidjan, n`a pas produit le résultat qu`ils ont souhaité. "J`ai fait ce que j`ai à faire. J`ai jugé utile de signer cette lettre de nomination", aurait dit le gouverneur Sam Etiassé. Pourtant, le camp de Boto soutient avoir eu plusieurs séances de travail avec le gouverneur concernant cette nomination. Le préfet, à les écouter, n`a pas du tout apprécié le long temps mis par la génération pour se choisir un chef. Le préfet aurait même menacé de mettre aux arrêts leur leader Akré Boto, si ce dernier persiste à contester son arrêté. Leur tentative pour inviter le préfet à se rendre à Lokoa pour connaître réellement le choix des populations est restée vaine. Depuis la nomination d`Akré Akré Albert, règne une vive tension dans ce village. Le 29 juin dernier, le chef "autoproclamé" et son groupe ont convoyé des loubards pour empêcher tout véhicule d`avoir accès au village. Cela a perduré une semaine environ, au dire des partisans du contestataire Boto Akré. Des affrontements ont également eu lieu peu de temps après. Un blessé assez grave a été enregistré du côté des syndicalistes de transport contacté par le chef Akré Akré Albert. Le camp de Boto est formel. Ils n`accepteront jamais cette "imposture orchestrée" par le préfet Etiassé. Qui aurait pris fait et cause pour un putschiste. Faux, rétorque le camp du chef Akré Akré Albert.

La version du camp adverse

Nous avons pris attache avec le camp du chef Akré Akré Albert. Son secrétaire particulier, M. Akobé Bago nous explique que le 28 juin 2006, le chef de la génération Gnando, épuisé physiquement a, de son propre chef, rendu le pouvoir au doyen du village, Akré Akpan Bernard. C`est alors que celui-ci a demandé aux Dougbo de trouver un chef. Il précise que le doyen ne fait que prendre acte du choix des Dougbo, avant de le proposer au village. La population peut rejeter ou accepter le choix de cette génération. Après réunion des quatre catégories avec le doyen de la génération Dougbo, un délai leur a été imposé pour opérer leur choix. Les Djehou, Dogba, Agban et Assoukrou ont proposé chacun, deux candidats pour un seul poste. Ce qui ramène le nombre à huit candidats. Après réflexion, le nombre de candidats fut ramené à quatre. Soit un pour chaque catégorie. Il s`agit du député Mobio (Agban), de N`Kragbo Edouard (Djehou), Aké Thomas (Dogba) et de Boto Claver (Assoukrou). A la majorité, les doyens des quatre catégories, ont porté leurs choix sur le député Mobio. "On a choisi comme chef de village, le député Mobio. On lui a associé pour 1er adjoint, Boto Claver, 2e adjoint, Aké Thomas et 3e adjoint, N`Kragbo. Mais séance tenante, Boto Claver a refusé d`être adjoint. Car selon les indiscrétions, les Gnando lui auraient fait croire que c`est lui qui est prédestiné à diriger le village", révèle le secrétaire particulier du chef Akré Akré Albert. Une fois ces choix opérés, le nom du député a été porté à la connaissance du doyen du village par les catégories de la génération Dougbo que sont, les Djehou, Agban, Dogba et quatre membres des Assoukrou. Les autres membres de cette dernière génération ont opposé leur refus. Ils seront imités par le doyen du village. Celui-ci récuse le député comme chef de village. Il préfère que le député soit, le maire du village. "Cette proposition est utopique. Depuis quand, un village est dirigé par un maire. C`est inconcevable", rétorque le camp de Akré Akré Albert. Dans cet imbroglio, les Gnando et une partie des Assoukrou saisissent le 26 octobre 2006 par écrit le Directeur général de l`administration du territoire. Afin de savoir si un député peut devenir chef de village. Non, a répondu l`Administration le 3 janvier 2007. Cette réponse n`a pas été du goût du camp Akré Akré Albert. Qui à son tour, saisit le ministre le 24 janvier 2007. Mais celui-ci restera sans réponse face à cette même question. Pour pallier ce blocage, Djama Dogbo Gédéon de la catégorie Djehou et doyen de la Génération Dougbo est nommé par le Directeur général de l`administration territoriale chef intérimaire par l`arrêté n°559/AT/DGAT/DCA/SDCAD du 13 mars 2007 ce, jusqu`au 15 août 2007. "Dès son arrivée, le préfet d`Abidjan, actuel, Sam Etiassé a hérité de ce dossier et a entamé les discussions avec tout le monde. Pour éviter d`être la cause d`un embrasement au village, le député Mobio a choisi de se retirer. Nous nous sommes donc réunis à nouveau pour choisir quelqu`un d`autre dans la génération Dougbo. Nous avons tous désigné Akré Akré Albert. A aucun moment, Boto Claver n`a été notre choix. Le choix d`Akré Akré Albert a eu lieu au domicile du doyen des Dougbo", insiste M. Akobé Bago, secrétaire particulier du chef Akré Akré Albert. Qui témoigne que le préfet a prorogé le mandat du doyen des Dougbo jusqu`à l`arrivée du chef légitime. Dans le mois d`août 2007, le préfet convoque la génération Dougbo à son bureau. Et séance tenante, il lui demande de se choisir un chef. "Nous lui avons répondu que c`est impossible. Ainsi le 1er septembre 2007, au cours d`une réunion au village, les Dougbo dans leur majorité ont encore choisi Akré Akré Albert comme chef. Boto Claver et ses partisans étaient présents. Le rapport et le film de la cérémonie ont été remis au préfet à sa demande", révèle M. Akobé. Après avoir pris acte, le gouverneur a reçu à plusieurs reprises Boto et Akré Akré pour que ce choix soit respecté une fois pour toutes. Contre toute attente, au dire de M. Akobé, le doyen du village convoque une réunion express. Au cours de laquelle, il intronise discrètement Boto M`Moué Claver en qualité de chef, c`était le 18 avril 2008. Étaient présentes, 19 personnes. Le 26 avril 2008, le camp d`Akré Akré écrit au ministre de l`intérieur avec ampliation au préfet pour s`opposer à ce hold-up. Le 26 août 2008, le gouverneur Sam Etiassé convoque la génération Dougbo à ses bureaux. Où il lui demande de se choisir définitivement un chef. Après s`être retirés, les Dougbo choisissent pour la énième fois Akré Akré Albert. "M.Boto a félicité Akré Akré en lui disant qu`il l`a libéré d`un lourd fardeau. Nous avons informé le doyen du village, Adja Tata qui a remplacé Akpan Bernard, décédé. Le nouveau doyen du village a apposé sa signature sur le procès verbal, le 27 août 2008. Il en va de même du doyen des porte-parole et des quatre doyens des différentes catégories. Le 28 août 2008, le procès verbal est porté chez le préfet. A son tour, il délivre l`arrêté n°676/PA/SG/D1 portant nomination de Akré Akré Albert au poste de chef du village de Niangon Lokoa. Ce ne sont ni le député Mobio, ni le préfet qui l`ont imposé", éclaire M. Akobé. Cependant, depuis cette nomination, le nouveau chef n`a pu être intronisé. Les commissions qu`il a mises en place pour travailler, ont été boudées par le camp de Boto. Le premier chantier auquel s`est attaqué le chef Akré Akré, est la construction d`un marché. A cet effet, un engin lourd a été convoyé au village pour le déblayage du terrain. Mais le camp de Boto, aidé de certains villageois, à en croire le secrétaire particulier du chef de Lokoa, s`y est opposé. Malgré l`intervention de la police, l`espace pour le marché n`a pu être ouvert. Le 10 juin 2009, le préfet a convoqué les deux parties. Au cours de la rencontre a mis en garde les émissaires de Boto de ne pas empêcher le chef Akré Akré de travailler comme il se doit. Dans le cas contraire, il emploiera tous les moyens légaux pour les mettre au pas. "Malgré cet avertissement du préfet, ils nous ont menacé ouvertement. Ils ont décidé de nous empêcher de travailler durant tout notre mandat de 15 ans", accuse M. Akobé.

Les premiers affrontements surgissent

"Nous avons constaté que les taxis et gkaba qui rentrent au village, gagnent beaucoup d`argent au détriment des populations. Nous avons alors décidé de leur faire payer des tickets d`entrée. Pour cela, nous avons sollicité l`appui et l`expertise des syndicalistes du transport. Afin qu`ils forment nos enfants à l`encaissement des taxes. C`est ce travail que les syndicalistes exercent avec nos enfants, ce n`étaient pas les loubards comme l`ont fait croire l`autre camp. Le mardi 30 juin 2009, ils ont menacé de nous attaquer au corridor où travaillent nos enfants et les syndicalistes. Et le mercredi 1er juillet 2009, ils sont venus avec des armes blanches nous agresser. Un des leurs, Mogué Jérémie, aujourd`hui, en fuite à Dabou, a planté son poignard dans le front d`un syndicaliste, Diagoné Bi Djessan. Nous avons déposé une plainte le jour de cette agression même chez le procureur de Yopougon et auprès du district de police du 16e arrondissement. Le jeudi 2 juillet, une seconde attaque a eu lieu. Cette fois, c`est un militaire de leur camp, nommé Aké Awo en civil ce jour-là qui s`est opposé que le taxi le descende juste au corridor et a exigé que ce soit jusqu`à son domicile. Ce qui est désormais interdit par la nouvelle chefferie. Mécontent, ce dernier a tiré le frein à main du conducteur du taxi, qui s`est opposé. Le militaire est descendu et s`en est pris à un syndicaliste. A qui, il a fracturé la tête à l`aide de son ceinturon. Très isolé, il a fait appel à son frère, policier qui est arrivé en compagnie d`autres jeunes pour pourchasser les syndicalistes. Nous avons au vu de la situation, fait appel à la police et au CeCos, qui ont rétabli l`ordre. Nous avons saisi le procureur et le préfet. Jusqu`à présent, le camp de Boto Claver nous empêche de travailler. Boto se considère comme le chef et signe des documents. En outre, le chef des Gnando a refusé de faire la passation de charges avec Akré Akré Albert. Nous nous en remettons au préfet Sam Etiassé", a éclairé le secrétaire particulier du nouveau chef de Niangon Lokoa. Interrogé, le gouverneur Etiassé, a clairement signifié avoir tranché en faveur de Akré Akré Albert. Donc il ne devrait plus avoir de problème à Niangon Lokoa.

La réaction de Sam Etiassé

C`est dans cette confusion, où chaque partie se tire la couverture que nous avons sollicité l`éclairage du Préfet de la Région des Lagunes et d`Abidjan, Sam Etiassé. Voici sa version :
"C`est le premier dossier que j`ai reçu dès ma prise de fonction en juillet 2007. Il y avait deux tendances. L'une, de Boto Claver et l`autre du député Mobio. Celui-ci, malgré qu`il soit soutenu par la majorité des Dougbo, a été disqualifié par le code électoral. Il a donc soutenu quelqu`un qui se trouve être Akré Akré Albert. J`ai mis un an et demi pour traiter ce dossier pour éviter toute erreur. Ils m`ont tenu informé de leur choix, en la personne de M. Akré Akré Albert. Les cassettes de la réunion au cours de laquelle, ils l`ont choisi, sont en ma possession. Je ne le connais ni d`Adam, ni d`Eve. Ce sont les vaincus qui créent des problèmes dans le village. Ils sont minoritaires au sein de la génération Dougbo. Je les ai pourtant exhortés à m`écrire s`ils ont des reproches à faire au nouveau chef. Nous allons permettre au chef Akré Akré de travailler. J`ai demandé au procureur de veiller à sa sécurité. Parce que force reste à la loi de protéger le chef qui est un auxiliaire de l`administration. Maintenant si l`autre camp conteste mon arrêté, qu`ils utilisent les voies judiciaires au lieu de s`attaquer au chef", a fait savoir le préfet Sam Etiassé. Malgré cette mise au point, la tension reste toujours vive à Niangon Lokoa. Les deux camps se regardent en chiens de faïence. Ce qui retarde le développement du village. Lequel, il faut le souligner, regorge d`énormes potentialités. Les autorités préfectorales doivent se montrer plus rigoureuses dans la gestion de cette crise. Qui n`a fait que pour l`instant des blessés.

Fabrice Tété

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