lundi 13 juillet 2009 par Le Nouveau Réveil

John Atta Mills, boubou blanc et bleu ample, rayonnant de fierté dans un palais des congrès d'Accra, hystérique. Barack Hussein Obama, humble et ému, plus Africain que jamais. Samedi, le Ghana a connu son (laps de) temps de gloire. Incontestablement.

" Yes they did it ! ". Oui, ils l'ont fait, les Ghanéens ! Après l'Allemagne, la France, l'Italie, etc, le Ghana a reçu samedi, le président des Etats-Unis Barack Obama, accompagné de son épouse Michèle et de ses deux filles Malia et Sasha. Pour sa première visite en Afrique noire, Barack Obama a donc choisi le Ghana, notre voisin de l'est. Il aurait pu choisir le Kenya, pays d'origine de son père. Il ne l'a pas fait. Tout simplement parce qu'au pays où les restes de son père sont toujours, il y a un certain Mwai Kibaki qui s'est arc-bouté au pouvoir, au prix du sang d'au moins 1500 (bilan officiel) de ses compatriotes, tués pendant les violences post-électorales du premier trimestre 2008.

Il aurait pu choisir d'aller en Guinée équatoriale où règne depuis 30 ans, le colonel Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, putschiste richissime d'un pays pauvre, moins peuplé qu'Abidjan.
Il aurait pu choisir notre voisin du nord-est, la Guinée du défunt général Lansana Conté, aujourd'hui aux mains du capitaine Moussa Dadis Camara.

Il n'a, non plus, choisi (pourquoi pas ?) notre pays, où règne depuis 9 ans dont 4 sans élection, un chef d'Etat expert en humour noir et spécialiste d'incompétences, qui refuse obstinément d'être assimilé à un sous-préfet français mais qui obtempère, sans gêne, aux ordres d'un secrétaire d'Etat à la Coopération (cf la libération du photographe français Jean Paul Ney, obtenue par Alain Johandet à l'issue d'une rencontre à Yamoussoukro avec Laurent Gbagbo).
Barack Obama a poliment évité tous ces pays " infréquentables " du fait de leur démocratie détestable. Il a choisi le Ghana, et le Ghana seul.

Ce n'est pas un choix fait au hasard. Le Ghana, en effet, c'est 22.112. 800 d'habitants (recensement 2005), une masse monétaire en progression de 40% en 2008, un Pib par habitant de l'ordre de 612 dollars.

Le Ghana, c'est aussi et surtout une démocratie ancrée dans les moeurs politiques et citée en exemple par les pires pourfendeurs des Etats africains et par les plus irréductibles des afro pessimistes.

La vraie leçon que nous donne le Ghana n'est certes pas d'avoir accueilli sur son sol, pour un bref moment, le président le plus puissant et le plus populaire du monde. La vraie leçon que donne le Ghana à ses voisins dont nous surtout, au continent africain et aux pays aux démocraties instables, c'est qu'il a su tirer les leçons de ses erreurs et des ses échecs du passé. Le Ghana, après l'éviction le 24 février 1966, du " père fondateur " Kwame N'Krumah, a été pendant au moins deux décennies, le lieu d'expérimentation de putschs sanglants ou non, d'assassinats politiques et de grand banditisme.

Au demeurant, le pays de l'or nous donne à nous Ivoiriens (surtout), une réelle leçon de patriotisme. Il ne s'agit pas de ce patriotisme intéressé chanté par des fabulateurs-tricheurs-ignares, impécunieux comme Job avant 2002, opulents comme Crésus 7 ans après. Le patriotisme ghanéen a des noms : Jerry Rawlings, John Agyekum Kufuor, John Atta Mills, Nana Akufo-Addo.

Le premier a raflé (ce qui est du reste, détestable) le pouvoir une première fois, en 1979, puis une seconde fois le 31 décembre 1981, pour le quitter définitivement en 2000, comme le prescrivait la constitution adoptée huit ans plus tôt. Le deuxième a succédé au premier après avoir perdu, sans grogner, une première fois face à lui. Au terme de ses deux mandats constitutionnels, il s'est retiré, sans chercher à tripatouiller le texte fondamental. John Evans Atta Mills a perdu, sans contester, à deux reprises, face à Kufuor. Il lui a succédé en battant en janvier dernier, son challenger Nana Akuffo-Adoo. Ce drernier qui a patiemment attendu son heure, dans l'ombre de Kufuor, n'a pas cherché à destabiliser ce dernier pour vite monter au créneau, a perdu de justesse l'élection présidentielle. Il a accepté les résultats sans broncher. Ces leçons de patriotisme sont uniques en Afrique. Elles sont exclusives et frappées du label " Ghana ".

L'autre leçon que nous donne le Ghana est la bonne gouvernance. Ce qui lui vaut d'être appelé "le meilleur élève des institutions de Bretton Woods". Cela rappelle un peu, " le miracle ivoirien " qui continue, plus d'un quart de siècle après, de faire la fierté de millions d'Ivoiriens.
Tout est fait comme si, en réalité, c'était à nous Ivoiriens, que le Ghana faisait la leçon. Le Ghana de nos mépris avec ses " tutu " ou belles de nuit (et même de jour) aux accents ashanti, devenues objets sexuels d'Ivoiriens aux revenus modestes. Le Ghana de nos sarcasmes avec ses " masta ", surnom péjoratif donné à tous les ressortissants ghanéens, charlatans des petits métiers qui se "débrouillaient", une paire de ciseaux en main, une machine à coudre sur l'épaule, dans nos rues.

Regardons aujourd'hui autour de nous. Il n'y a plus ni "tutu" ni "masta". Tous sont rentrés au pays et ce n'est certes pas lié seulement aux violences qui ont éclaté dans nos villes après le fameux match Asec-Kotoko, dans les années 90.

Regardons toujours autour de nous. Nous verrons que l'histoire est en train de se réécrire à rebours. Aujourd'hui, chacun de nous a au moins un frère au Ghana. Certains y vont pour fuir l'instabilité politique de notre pays. D'autres y vont pour faire des études. D'autres encore pour faire des affaires ou pour y gagner leur pain. Impensable, il y a encore deux décenniesBelle revanche pour le Ghana !

Si le Ghana connaît aujourd'hui son miracle et que nous, nous en sommes à leur situation politique des années d'instabilité, c'est bien parce que nous faisons exactement le contraire de qu'ils font. Nous modélisons des cancres, auto baptisés patriotes. Nos dirigeants n'ont aucune vision économique, si ce n'est une vague stratégie de promesses électorales et de décentralisation tous azimuts. Pire, nous n'avons tiré aucune leçon de nos erreurs et de nos échecs.

Il y a deux exemples parfaitement patents. Premièrement, nous n'avons tiré aucune leçon ni conséquence du putsch de Noël 1999. Puisqu'il y a eu d'autres tentatives de putsch qui ont suivi après (complots du cheval blanc en septembre 2000, de la Mercedes noire en janvier 2001).
Nous n'avons tiré aucune leçon de la tentative de sécession, en 1970, de Kragbé Gnagbé.

Puisqu'en septembre 2002, il y a eu une rébellion qui, 7 ans après, continue de couper le pays en deux et qui est gérée par Guillaume Soro qui, à l'époque du sécessionniste, n'était pas encore né.
Nous n'avons surtout pas tiré les leçons ni de la tentative de sécession, ni de la rébellion armée, puisque Laurent Gbagbo, notre chef d'Etat, dans une rare honnêteté, a clamé haut et fort en décembre dernier, dans le Guébié, qu'il est l'héritier légitime de Kragbé Gnagbé.

Assurément, avec l'élection présidentielle hypothétique du 29 novembre dans notre pays, la réélection sans surprise du président putschiste, le Congolais Denis Sassou NGuesso, la candidature annoncée du fils du défunt président-doyen, le Gabonais Omar Bongo Odimba, etc, le pays de Kwame N'Krumah va certainement continuer de "coacher" au continent noir, ses bonnes leçons démocratiques.

*lesson : leçon en Anglais, langue officielle du Ghana

Par André Silver Konan (kandresilver@yahoo.fr)

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