vendredi 26 juin 2009 par Le Repère

"Nous sommes simplement soupçonnés de nous être livrés à des malversations. Sans plus. Cela fait plus d'un an que nous sommes détenus dans cette prison, sans qu'on ne dise à chacun d'entre nous, le montant qu'il a réellement détourné. Nous ne savons absolument rien de ce qu'on nous reproche. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on raconte officiellement qu'il s'agit de milliards de francs. Cela fait plus de 8 mois que certains, parmi nous, n'ont pas rencontré le juge d'instruction. Nous sommes plus de 23 personnes qui avons été inculpées. Pendant que nous sommes en prison, d'autres sont en liberté et se promènent à Abidjan au vu et au su de tout le monde. Il y a des gens qui étaient avec nous dans cette prison et qui étaient poursuivis pour atteinte à la sûreté de l'Etat, une infraction autrement plus grave. Ils ont tous bénéficié d'une libération provisoire en attendant la fin de l'instruction et des enquêtes. Plus récemment, dans la bousculade survenue au stade Houphouët-Boigny, il y a eu 20 morts et 132 blessés. Les enquêtes menées ont conduit à l'inculpation de 12 personnes qui vont être jugées pour des infractions diverses dont notamment l'homicide involontaire, l'escroquerie, le faux et usage de faux en écriture privée, etc. Toutes ces personnes inculpées sont en liberté, en attendant leur procès, parce que ce sont des responsables bien connus en Côte d'Ivoire ; ils ont des domiciles fixes, des fonctions, des familles, etc. Aucun d'entre eux n'a fait l'objet d'un placement sous mandat de dépôt, ni déféré ici à la Maca. Et pourtant, cela fait plus d'un an qu'on refuse de nous reconnaître les mêmes droits, les mêmes garanties. Cela fait plus d'un an qu'on nous traite comme de petits voyous sans domicile fixe. Pendant 8 mois, le procureur a mené son enquête. Pendant ces 8 mois, nous étions dans le pays, il n'est venu à l'esprit de personne de fuir. Et pourtant, on prétend que nous sommes des milliardaires. Nous sommes restés dans le pays. Nous avons été entendus à plusieurs reprises par la police économique. Et pendant tout ce temps, il n'est venu à l'esprit de personne de quitter le pays. Un jour, on nous dit que l'enquête est finie et le lendemain, nous nous retrouvons en prison sans qu'on ne nous explique quoi que ce soit. Absolument rien. Et depuis, nous sommes là, traités comme des coupables, qui n'ont absolument aucun droit. Il est possible que nous ayons commis des fautes dans la gestion des structures en question. Nul n'est parfait. Et si on nous démontre que nous avons tous détourné les montants qu'on cite partout, alors, qu'on nous juge et qu'on nous applique la loi dans toute sa rigueur. Mais jusqu'à preuve du contraire, rien ne nous a été démontré. On ne peut pas prétendre que nous avons tous commis les mêmes fautes au même degré. Nous sommes déjà humiliés. Nos enfants, nos familles ont été déjà humiliés. Dans nos villages respectifs, nous parents ont été déjà humiliés. Quel honneur avons-nous à défendre encore, autrement que devant le tribunal qui devra nous juger ? Où pense-t-on qu'on peut aller se cacher si on nous met en liberté provisoire ? Que pouvons-nous faire pour empêcher le juge d'instruction à charge de notre dossier, de faire sereinement son travail ? Quelle obstruction pouvons-nous faire dans la poursuite de ses investigations ? Aucun parmi nous n'ira réoccuper la fonction qu'il occupait avant son emprisonnement. Nous avons tous été remplacés. Parmi nous, il y a des gens qui avaient démissionné de leur structure parce qu'ils ne percevaient pas de salaire. Et on les a mis en prison, tout simplement parce que à un moment donné de leur vie, ils ont été employés d'une structure de gestion de la filière café-cacao. Comment peut-on faire ça ? Et on dit qu'ils ont détourné des milliards ? En réalité, nous sommes des otages. Nous voyons bien que ce dossier a quitté depuis longtemps le domaine du droit. S'il y avait une seule once de droit dans cette affaire, nous aurions bénéficié de liberté provisoire. L'Etat de Côte d'Ivoire a les moyens de faire en sorte que toute personne inculpée ne puisse quitter son territoire. Et puis, en l'état actuel de notre situation, toute fuite équivaudrait à un aveu de culpabilité. Nous avons toutes les garanties prescrites par les lois pour bénéficier d'une libération provisoire. Mais on nous la refuse depuis plus d'un an, en violation de toutes les règles de droits et toutes les conventions sur les droits de l'homme ratifiées par notre pays. En fait, on nous a appliqué la présomption de culpabilité qui n'existe pas dans les lois ivoiriennes. Et c'est un précédent absolument grave. On nous a dit qu'on ira au procès. Eh bien, qu'on aille au procès et que les vérités sortent. Qu'on aille au procès pour qu'on nous dise ce que nous avons fait. " Telles sont les confidences que nous a faites, à notre dernier passage à la Maca, le samedi 13 juin dernier, l'un des responsables incarcérés dans le cadre de l'enquête sur la filière café cacao. Sous le sceau d'un anonymat prudent, il s'est ouvert à nous et nous a donné son opinion sur le sort qui leur est fait. On le sait, depuis la date du 18 juin 2008, par vagues successives, les dirigeants des structures de la filière café-cacao, avaient été placés sous mandat de dépôt par le Doyen des juges d'instruction et expédiés à la Maca. Les choses s'étaient passées tellement vite qu'on avait tous cru que leur procès était imminent. Seulement voilà, plus de 12 mois après leur incarcération, ils ne savent toujours pas et leurs avocats avec, quand aura lieu leur procès. Le 20 février dernier, leur détention avait été prorogée de 4 mois. Cette prorogation s'est achevée le 20 juin dernier. Et s'ils sont toujours en détention. La conclusion s'impose. Quatre mois encore et ainsi de suite. Cette façon de procéder du juge d'instruction, est-elle respectueuse des règles de procédure pénale ? En réalité, le procureur de la république Raymond Tchimou, selon maître Adjé Luc, a visé l'article 110 du code de procédure pénale, article qui prescrit les circonstances aggravantes. Ce qui donne la possibilité au juge d'instruction de maintenir les inculpés dans les liens de la prévention, pendant au moins 18 mois. Et c'est justement ce qui provoque la colère des avocats qui estiment qu'avant de viser l'article 110 du code pénal, il faut d'abord faire la preuve de leur culpabilité. " Qu'on ne transforme pas la présomption d'innocence en présomption de culpabilité. Aujourd'hui, on a l'impression que ces personnes qui sont en détention sont considérées comme coupables. Et qu'étant coupables, la mission du juge est de rechercher les éléments de leur culpabilité. Alors qu'il appartient à l'organe de poursuite de rapporter la preuve de leur culpabilité avant de viser l'article 110. Au lieu d'appliquer les conventions internationales de justice, la nôtre s'emploie à traiter ses propres citoyens en violation flagrante des droits de l'homme " Avaient protesté les avocats, en février dernier. Depuis, rien n'a bougé. Mais on a encore à l'esprit, la sortie du chef de l'Etat sur cette affaire, en janvier dernier : " Je veux que quand on commence un procès, on aille jusqu'au bout il ne s'agit pas de milliers de francs, ni de millions, mais de milliards qui ne sont ni dans les caisses de l'Etat, ni dans les poches des paysans. Je n'ai demandé à personne de faire libérer qui que ce soit. " Traduction : ces milliards sont dans les poches de ceux qui sont en prison. " Quand un chef d'Etat se prononce sur un dossier qui est en instruction, le juge d'instruction ne peut plus rien faire. Même s'il ne trouve aucune preuve, sa marge de man?uvre est si étroite qu'il ne peut prendre aucune décision favorable aux inculpés. Car le procureur dont tout le monde sait que la carrière est liée au politique, ferait immédiatement appel. Pour ne pas que le chef de l'Etat perde la face. C'est comme ça et c'est dommage. " Nous a confié récemment, une source proche du dossier. En réalité, dans ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire de la filière café-cacao, la procédure qui a conduit les dirigeants en prison a fonctionné comme un piège qui, en fin de compte, s'est refermé sur ceux qui l'ont posé. Dès le départ, tout s'est déroulé comme si l'objectif était de les présenter comme d'affreux coupables. Et comme le disait un avocat français : " si des individus sont mis en cause dans une procédure judiciaire pénale, pour le commun des mortels, c'est qu'il est très vraisemblable qu'ils soient probablement coupables, quand bien même cette supposition, ce jugement n'est pas fondé sur des preuves, mais sur des indices. Si la gravité des faits reprochés est manifeste, si le rôle que l'on veut leur faire jouer est compatible avec les accusations portées contre eux, alors ces individus seront, sauf miracle, nécessairement triplement coupables : coupables aux yeux des enquêteurs, donc coupables aux yeux du parquet et donc définitivement coupables aux yeux de la justice. " Et quand on ajoute à tout cela les yeux du politique, la coupe est pleine. Et il faut maintenant la boireen apportant les preuves. A moins que tout ne soit politique. Et dans ce cas, attention à l'explosion pendant le procès. Si toutefois, ceux qui l'ont commencé ont les moyens de le terminer. Qui vivra verra.

ASSALE TIEMOKO

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