jeudi 13 novembre 2008 par Le Temps

L'intégration prônée par l'Union africaine est sérieusement mise à rude épreuve par le bras de fer qui engage le Rwanda et la France. Dans ce combat où la France est quasiment assurée du soutien de toute l'Europe, l'Afrique ne devrait pas abandonner le Rwanda seul dans cet ultime combat. Rose Kabuyé, Directeur de protocole du Président rwandais Paul Kagamé, est arrêtée à Francfort en Allemagne où elle séjournait dans le cadre de la préparation d'une visite privée de son patron. Un autre rwandais, Joseph Mpambara risque quant à lui, la prison à vie au gré du tribunal néerlandais de la Haye. Des deux personnalités, l'une serait impliquée dans l'attentat contre l'avion de l'ex-président rwandais Juvénal Habyarimana. La deuxième dans le génocide de 800000 Tutsi et Hutu modérés, qui a suivi la mort accidentelle de Juvénal. Depuis le resurgissement de ces deux affaires, un bras de fer oppose la France et le Rwanda duquel bras de fer nul ne peut prévoir l'issue. Au-delà de ces arrestations des personnalités africaines sur un territoire étranger (Europe), il se pose la question de la place et de la responsabilité de la Cour de justice créée par l'Union africaine. La justice africaine n'est-elle pas compétente ou outillée pour légiférer sur des cas qui se posent sur le continent noir ? Si la mort accidentelle en 1994 du Président Juvénal Habyimana est à regretter, est-ce pour autant qu'il faille conclure que la France peut s'arroger le droit de juger les supposés criminels ressortissants africains ? A quel titre ? Dans nos précédentes éditions, nous faisions cas de la solidarité agissante européenne dans les affaires judiciaires inhérentes au continent noir quand il s'agit de mettre en branle sa justice, comparativement à l'indolence, le mutisme sinon la traitrise des dirigeants africains là où besoin est. La Commission de l'Union africaine se dit " stupéfaite " de la situation qui découle de l'arrestation de Rose Kabuyé proche de Paul Kagamé et s'inquiète et espère qu' "un mécanisme de contrôle et de régulation soit mis en place au niveau international ou européen pour s'assurer que ces mises en accusation ne sont pas motivées politiquement". Une réaction timide plutôt troublante des Africains là où l'Europe -ne sachant que faire des jérémiades des africains, n'a pas tenu compte des considérations diplomatiques. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui siège à Arusha en Tanzanie a compétence pour juger ces genres d'affaires et c'est même pour ça qu'elle est créée. Encore faudrait-il que ce tribunal ait les mains libres pour statuer. Car, à l'allure où vont les choses, on peut aisément conclure que les mains de la France sont très visibles. La France tire les ficelles. Ne l'oublions pas, ce pays est profondément impliqué dans le massacre des Tutsi. Des officiels français dont l'ancien ministre de l'Intérieur, Alain Juppé, et des militaires présents à Kigaly au moment des faits sont nommément cités. Malgré ces accusations des autorités rwandaises, la justice internationale n'a jamais réagi encore moins celle française d'interpeller les mis en cause. C'est le cas en Côte d'Ivoire dans la pendante affaire du bombardement, en novembre 2004, du camp français à Bouaké et dans d'autres affaires notamment celle du journaliste franco-canadien mystérieusement disparu. Jusqu'aujourd'hui, personne ne sait en Côte d'Ivoire qui a bombardé le cantonnement français de Bouaké, la France ayant interdit la justice ivoirienne à accéder au lieu du crime. Même scénario pour la disparition du journaliste Guy-André Kieffer affaire dans laquelle des ressortissants français ayant proféré des menaces de mort à l'encontre de celui-ci quelques jours seulement après sa disparition. Selon les investigations de la justice ivoirienne, le journaliste travaillait pour les ressortissants français Eric Latham, Stéphane de Vaucelles, Aaron Brunétière et Robert Dulas dans le négoce du café et du cacao et sa disparition aurait un lien avec une affaire de gros sous qui lui seraient dus par ses employeurs. Il s'agit bien ici de crime qui se déroule sur le territoire ivoirien dont la justice ivoirienne devait avoir compétence en la matière. Ces suspects courent toujours sans être inquiétés, ils peuvent sortir de la Côte d'Ivoire et se retrouver en toute sérénité de l'autre côté des frontières dans un autre pays africain pourtant membre de la CEDEAO, sans que ce pays ne s'offusque outre mesure. Sans que la justice de ce pays africain ne lève le petit doigt pour les interpeller, ne serait-ce que par instinct de coopération sous-régionale. Dans ce chapitre, la réaction des pays de la CEDEAO aurait été une grande première dans la coopération sud-sud. Une surprise, d'autant plus que des chefs d'Etat de cet espace sous- régional se permettaient d'écrire une motion d'embargo. En effet, en novembre 2004, à Abuja, les chefs d'Etat Denis-Sassou Nguesso du Congo Brazzaville, Olusegun Obasanjo du Nigeria et John Kuffuor du Ghana, tous membres de l'Union africaine appelaient le Conseil de Sécurité des Nations unies à mettre la Côte d'Ivoire sous embargo alors que ce pays venait de voir ses fils et filles tués sans défense sous des balles assassines de l'armée française. Une poignée de jours plus tard, leur projet était validé et reformulé sous la forme d'une résolution. Et depuis cette date, la Côte d'Ivoire, pays frère, membre de toutes les instances de coopération sous-régionale, régionale et continentale continue de subir les affres de cette traitrise de la part des dirigeants africains prompts à jeter leurs frères en pâture. La parenthèse est certes honteuse, mais il n'y a pas à désespérer de l'Afrique. Ses dirigeants peuvent se racheter vis-à-vis d'eux-mêmes. La France et l'Allemagne leur en donnent de sérieux prétextes. En atteste la complicité par affinité de la justice allemande avec la France (les deux pays étant membres de l'Union européenne (UE), dans le bras de fer qui oppose Paris et Kigaly depuis 14 ans et dont le point culminant est atteint avec l'arrestation en début de semaine, de Rose Kabuyé, directeur de protocole du Président Paul Kagamé. L'Afrique doit se saisir de l'acte de bravoure que ne cesse de poser Paul Kagamé. Le Président rwandais n'y est pas allé du dos de la cuillère, a commencé par le rappel de son Ambassadeur en poste en Allemagne et l'expulsion du diplomate allemand. Depuis avant-hier M. Kagamé est passé à une autre étape: les mandats d'arrêts projetés contre des ressortissants français entreront bientôt en vigueur. L'Afrique ne doit pas laisser le Rwanda de Paul Kagamé seul mener ce combat. Si la France bénéficie de manière indéfectible du soutien de toute la communauté européenne et y compris celui des Tribunaux pénaux que l'occident crée à dessein, pourquoi n'en serait-il pas de même pour le Rwanda ? Il faut que l'Afrique se réveille !

Simplice Allard
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