mercredi 12 novembre 2008 par Fraternité Matin

La guerre civile, qui a repris en Rdc après la présidentielle organisée par l'Onu fait craindre une répétition du scénario en Côte d'Ivoire si les ex-combattants restent armés.
M. le président, depuis 48 heures (Pr Mamadou Koulibaly a séjourné à Bouaké les samedi 8 et dimanche 9 novembre), vous êtes à Bouaké. Quel sens peut-on donner à cette visite?
Compte tenu de l'évolution de la situation nationale et du désir des populations d'avoir la paix, je me dis que c'est le bon moment pour parler aux Bouakéens. Non pas dans le cadre de grandes rencontres sur le processus de sortie de crise ou de grands meetings qui rassembleraient tout le monde. Mais je viens faire du porte-à-porte pour rencontrer les populations, leur parler. Parce qu'il est temps maintenant que nous arrêtions d'avoir peur et que nous nous engagions effectivement, non pas à la réconciliation, non pas à la paix mais à la recherche de la prospérité. La pauvreté est telle que si l'on veut attendre de retrouver la paix avant de chercher à devenir riche, on perdra du temps inutilement. La paix est un processus permanent alors que la pauvreté continue de s'approfondir ici à Bouaké et sur l'ensemble du territoire national. C'est ma façon à moi d'approcher les Bouakéens pour les rassurer et les mettre en confiance pour que nous effacions nos peurs et angoisses.
Le pays baoulé est devenu la nouvelle destination des hommes politiques. Votre présence aujourd'hui vise-t-elle à les imiter?
Moi, je suis militant du FPI d'abord. C'est vrai que je viens dire aux gens qu'il est temps de passer à autre chose. Mais je viens leur expliquer que la politique n'est pas une affaire de tribu, d'ethnie ou de religion. Parce que les Ivoiriens, où qu'ils vivent, ont les mêmes droits. J'en profite, bien entendu, pour recruter pour mon parti ou si vous le voulez, ce qu'on appelle aujourd'hui le camp présidentiel. Mais ça, c'est le second volet de mon message. Le premier volet, c'est de leur dire que la démocratie ne peut être véritable que si elle exclut toute sorte de catégorisation liée à la tribu, à l'ethnie, à la région ou la religion.
Hier (Samedi 8 novembre, ndlr), vous êtes revenu à plusieurs reprises sur le cas de la République démocratique du Congo. Vous avez dit que le désarmement n'avait pas été réussi et l'on a vu ce que cela a donné. Voulez-vous insinuer qu'en Côte d'Ivoire, si le désarmement n'est pas effectif et que l'on va aux élections, la paix ne sera pas consolidée?
Oui. Sur ce plan-là, je critique assez fortement la nouvelle méthode africaine de résolution des conflits. Quand il y a un conflit en Afrique, on s'arrange toujours pour qu'il y ait un gouvernement de réconciliation ou de transition. Une fois qu'il est en place, on oblige presque les hommes politiques et les populations à aller à des élections. Le conflit armé n'est donc pas résolu parce que l'on fait une catégorisation entre un volet militaire et un volet civil. On essaie de résoudre les questions liées au volet civil et on va aux élections en oubliant que ce qui fait le plus peur aux populations, ce sont les armes détenues par ceux qui sont dans la rébellion. On ferme les yeux là-dessus, on organise des élections à grands frais et une fois qu'elles sont terminées, on se retrouve avec des hommes politiques intégrés qui ont perdu ou gagné les élections. Et en général, ceux qui sont à l'origine de la rébellion en créent une nouvelle pour protester contre les résultats des élections.
Est-ce le cas en Rdc?
En République démocratique du Congo, ça a été la même solution. Les élections ont été saluées par tout le monde, jugées régulières et transparentes. Mais qu'est-ce que cela a donné ? Un rassemblement de tout le monde dans un gouvernement tandis que ceux qui avaient encore les armes ont continué la guerre et ce sont les civils, les gens dans leurs usines, dans leurs champs, dans leurs villages, loin de la politique, qui ont été tués. A quoi cela aura servi de faire des élections sans désarmement? En Côte d'Ivoire, je crains fort que si nous allons à ces élections sans désarmer complètement, nous nous retrouvions face à une protestation des résultats vu qu'il y a encore des gens en armes et la crise continuera. C'est ma crainte. On l'a vu au Congo, au Tchad, au Soudan et pratiquement dans tous les pays d'Afrique. On organise des élections et au lieu de demander au perdant d'aller se préparer pour les prochaines échéances, on dit de faire un gouvernement d'union qui rassemble tout le monde pour terminer la transition et les frustrés reprennent les armes.
Que proposez-vous donc dans le cas de la Côte d'Ivoire?
Je propose que l'on ait un désarmement complet et définitif, clair; que les personnes qui n'ont pas le droit d'être armées ne le soient pas pendant les élections. La sécurité des élections est exclusivement confiée aux forces légales.
Les forces rebelles, jusqu'à preuve du contraire, ne le sont pas ; elles sont des forces de fait. Si l'on décide de les intégrer dans l'armée régulière, alors que cela soit défini et qu'il n'y ait en Côte d'Ivoire que des forces uniques. Pas deux armées, pas deux troupes mais une seule force de police et de gendarmerie avec un commandement unique.
Si l'on a d'un côté les Fafn (Forces armées des Forces nouvelles, forces rebelles) et de l'autre les Fds-CI (Forces de défense et de sécurité de Côte d'Ivoire, forces régulières) et que l'on met en place un schéma qui nous permet de faire les élections, avec cette dichotomie, on va se retrouver avec un gouvernement unique regroupant vainqueurs et vaincus avec un statu quo et un chantage possible de ceux qui auront gardé les armes. L'histoire l'a prouvé. Je me demande donc comment nous allons faire pour échapper à cela même si l'on dit que la Côte d'Ivoire est bénie de Dieu.
On vous a vu circuler à Bouaké, au cours du meeting, sans garde du corps. Vous ne craignez rien en ex-zone assiégée?
Je ne me reproche rien au point d'avoir peur. Je ne sais pas si vous avez fait attention; je suis avec des députés, des militants syndicaux, des gens de la société civile et j'ai parlé avec la population de Bouaké qui n'était pas non plus armée. Il n'y avait personne qui détenait une kalachnikov; donc je n'étais pas seul à prendre des risques. Je suis venu pour rassurer les Bouakéens. Mais en même temps que je les rassure, je leur passe le message que si le président de l'Assemblée nationale peut circuler dans votre zone sans garde du corps et sans arme, peut-être qu'il est temps de montrer la vacuité de la détention des armes. Cela ne sert à rien, sinon il faudrait craindre qu'il y ait des arrière-pensées.
Quand on va à la paix on ne garde pas d'arrière-pensées. On vide tout, on met tout sur la table, on débat de tout et puis c'est clair. Mais si les armes sont cachées, stockées en se disant: On ne sait jamais?, cela veut donc dire qu'on n'a pas encore compris. Et mon problème, c'est que nous devons avoir confiance les uns dans les autres; sinon, on ne pourra pas construire le pays. Et pour montrer qu'on peut avoir confiance les uns dans les autres, il faut aller aux élections et montrer que soi-même on a confiance. Si malgré les visites du Président de la République et de la Première dame, on continue de venir avec la peur au ventre, ça veut dire qu'on n'a pas totalement confiance. Il faut qu'on arrive à briser ce tabou. Pendant que je suis ici, il y a bien des ex-militaires rebelles, qui sont à Abidjan et qui n'ont pas été inquiétés. Je présume qu'ils n'y sont pas avec leurs armes. Jusqu'à présent, on n'a pas appris que les soldats qui y sont ont été tués. Pourquoi alors avoir peur?

Interview réalisée à Bouaké par Adjé Jean-Alexis
Correspondant régional

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