vendredi 7 novembre 2008 par Autre presse

Le Point.fr - En 1992, Barack Obama, qui courtise assidûment Michelle, sa future femme, est invité à une fête dans sa famille. Craig Robinson, son frère, le prend à part pour le sonder sur ses projets. "J'aimerais bien enseigner et peut-être faire de la politique explique le futur fiancé. - Élu local ? s'enquiert Robinson. - Non, le Sénat et peut-être même la présidence, répond Obama. - OK, c'est ça, allez, viens que je te présente à tante Gracie, l'interrompt moqueusement Robinson. Et pas un mot de tout ça", ajoute-t-il, pour lui épargner les quolibets familiaux. Seize ans plus tard, à 47 ans, Barack a réalisé son rêve. Le voilà promu, lui, "ce type maigrichon avec un drôle de nom", premier président noir des États-Unis. Même tante Gracie ne doit pas en revenir. "C'est une victoire historique extraordinaire. On ne peut s'empêcher d'être fier, même si on est républicain. C'est un tel progrès !"~, s'exclame Andra Gillespie, une Noire professeure de sciences politiques à l'université Emory.

Et pourtant, jusqu'au bout, l'Amérique n'a pas osé y croire. Il y avait bien les sondages qui donnaient régulièrement 7 ou 8 points d'avance au candidat démocrate. Mais qu'est-ce que 8 points ? Et peut-on se fier aux sondages ? Dans le New Hampshire, en janvier, ils annonçaient Obama gagnant et c'est Hillary qui l'a emporté. Il y avait, certes, l'enthousiasme des militants. Oui, mais les foules en délire ne se traduisent pas forcément en victoires électorales. Il y avait les sommes colossales qu'Obama a collectées qui lui ont permis d'inonder les ondes de pub. Mais, en Pennsylvanie, Obama avait dépensé trois fois plus en publicité que Hillary pour perdre au final. Et puis, et puis... il pouvait encore se produire une bizarrerie du système électoral, un attentat terroriste, une invasion de Martiens...

Maniaque de l'ordre

"Ils disaient que ce jour ne viendrait jamais", déclarait Barack Obama en janvier, lors de sa surprenante première victoire dans l'Iowa. Cent quarante-trois ans après l'abolition de l'esclavage, le jour est finalement arrivé. Un triomphe doux amer. Sa grand-mère bien aimée qui l'a élevé n'aura pas vu son triomphe. Elle s'est éteinte juste la veille du scrutin. Il faut dire que le chemin de la victoire a été long. Une interminable campagne. Les Américains n'en dormaient plus. "Je suis complètement stressé. Je passe ma journée sur Internet à consulter les sondages", avouait un enseignant de Washington qui, du coup, ces derniers jours, ne regardait plus les infos et se berçait de musique classique. Il n'y a que Barack qui soit resté imperturbable. À se demander s'il est tout à fait humain, cet homme-là ! Même quand il accumulait les défaites lors des primaires au printemps, il ne s'est jamais départi de son flegme. Dans les débats, surtout, alors que son adversaire est apparu agité, balançant sarcasmes et provocations, Obama a conservé un calme olympien. Pas très excitant en termes de spectacle, mais très efficace en termes de popularité. "L'attrait d'Obama, c'est une combinaison de charme rhétorique, de charisme et de calme qui en fait une figure rassurante", estime Bruce Buchanan, professeur à l'université du Texas.

Ce qui ne veut pas dire qu'il soit sans coeur. Dans une très belle scène de son livre Les Rêves de mon père , il raconte comment il a pleuré sur la tombe de son père et de son grand-père au Kenya. C'est les larmes aux yeux qu'il a annoncé lundi le décès de sa grand-mère au cours d'un meeting. Il confie que ce qui lui manque le plus depuis qu'il est sur les routes, c'est le petit déjeuner avec ses deux fillettes, "le plus doux des moments". Sous ses airs nonchalants, Obama est un maniaque de l'ordre. Il n'y a qu'à voir son bureau au Sénat : pas un papier qui traîne, tout est méthodiquement arrangé, des photos de famille aux portraits de ses héros, Lincoln, Martin Luther King et John Kennedy, qui tapissent les murs. Il y a aussi placardé la célèbre photo du boxeur Mohammed Ali dominant de toute sa hauteur Sonny Liston allongé sur le ring. Le nouveau président a dû rêver de ce combat. Le match d'Ali avait duré moins de deux minutes. Celui d'Obama a duré vingt-deux mois. Quand un de ses collaborateurs a déplacé un tableau, Obama l'a remis au même endroit. Son seul accroc à la discipline, c'est la manie du gribouillage, avouent ses collègues. Et le basket, son défouloir quotidien. Obama a contrôlé ses sentiments, mais aussi son histoire. À 33 ans, alors qu'il n'est pas encore lancé en politique, il écrit lui-même Les Rêves de mon père , où il met en scène avec un vrai talent littéraire sa mère du Kansas, aussi blanche que son Kenyan de père est noir. Leur mariage, en 1960 à Hawaii, alors que les unions interraciales sont encore interdites dans la moitié de l'Amérique, son enfance à Jakarta et à Honolulu, sa recherche de racines dans les ghettos noirs de Chicago... très beau, mais pas si candide qu'Obama voudrait le faire croire. Car, à cette époque, il rêve déjà de politique. D'ailleurs, le livre sort en 1995, presque au moment où il brigue un siège au congrès local de l'Illinois.

Plan de bataille minutieux

Obama a planifié également méticuleusement sa carrière. Il a choisi avec soin une série de mentors, des personnages très influents de Chicago qui l'ont aidé à s'imposer. Même son courageux discours de 2002 contre la guerre en Irak, à une époque où les critiques sont rares, est sincère, mais mûrement réfléchi. Il s'est assuré auparavant auprès de ses conseillers que cela ne risquait pas de nuire à sa carrière. L'an dernier, avant les primaires, on ne donnait pas cher de la peau d'"Obambi", comme l'a surnommé Maureen Dowd, éditorialiste du New York Times , face au loup Clinton. Mais c'était bien mal connaître le petit sénateur de l'Illinois. Il avait préparé sa course dans les moindres détails. Des mois avant d'annoncer sa candidature, il a rassemblé un groupe de conseillers, étudié tous les scénarios, échafaudé un plan de bataille minutieux, de l'organisation aux sources de financement.

Une fois lancé, il n'a jamais changé d'équipe ni modifié d'un iota son message de changement et d'espoir. Son mot d'ordre, c'était "Pas de drame". Et, chose incroyable, il n'y a pas eu une seule crise majeure, alors que chez Clinton et McCain se jouait un psychodrame permanent. Si Barack Obama a tant besoin de discipline, c'est peut-être parce qu'il a vécu une enfance chaotique, élevé en partie par ses grands-parents. Sa mère, idéaliste, un peu fantasque, était partie finir sa thèse en Indonésie. Quant à son père, brillant économiste, il l'a abandonné à 2 ans pour aller à Harvard. Il rentre ensuite en Afrique en rêvant de tout réformer. Mais il végète dans un ministère et finira, alcoolique, dans un accident de voiture.

Changer le monde

Obama a hérité de l'idéalisme de ses parents. Après la fac, lui aussi imagine pouvoir changer le monde. Il part pour Chicago et travaille pendant trois ans dans un ghetto noir où il aide les habitants des HLM à se mobiliser pour le désamiantage, l'ouverture d'un centre d'emplois... Mais c'est un travail de fourmi. Et Barack est pressé.

Alors, il entre à la fac de droit de Harvard et se lance en politique. Car il y a deux qualités dont Obama ne manque pas : l'ambition et l'assurance - l'arrogance, disent ses détracteurs. À peine en deuxième année à Harvard, il postule pour diriger la très prestigieuse Revue de droit et il a choisi un sceau de campagne qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celui de la Maison-Blanche. Ce n'est pas entièrement sa faute. Partout où il passe, ce grand type à la démarche aérienne et au sourire ravageur suscite l'adulation des foules. Sa popularité, il la doit à son charisme et à sa biographie patchwork, qui cristallise toutes sortes d'aspirations. Mais le jeune sénateur promet bien plus. Un rêve. Celui de transcender les clivages entre Blancs, Noirs, gauche, droite et de tourner la page sur huit ans de bushisme. McCain s'est moqué de l'obamania délirante en lançant une pub intitulée "L'élu" qui mêle des images d'Obama et de Moïse-Charlton Heston au passage de la mer Rouge. Plus que "Moïse", le modèle serait plutôt Devine qui vient dîner ?, une comédie de 1967 où une jeune Blanche amène à la maison son fiancé (Sidney Poitier), médecin diplômé de Yale, bien sous tous rapports, "si calme et si sûr de tout", qu'elle a rencontré à Hawaii ! Mais qui est noir, au grand dam de son père. Comme Sidney Poitier, Obama a dû surmonter des monceaux d'obstacles pour se faire accepter comme gendre idéal. Et pas seulement "parce qu'il ne ressemble pas aux présidents qu'on voit sur les billets de banque", selon Michael Gerson, un ex-conseiller de Bush. Il a dû se battre contre le couple démocrate le plus puissant, les Clinton, puis affronter un héros du Vietnam qui l'accuse d'être un "élitiste-terroriste-communiste- extraterrestre"... Il a dû résister aux campagnes de calomnies sur Internet, qui le traitent de musulman déguisé et de traître à la patrie. Sans parler d'au moins deux tentatives d'assassinat. Il a même dû désavouer son père spirituel, le révérend Wright, dont les sermons incendiaires ont failli faire capoter sa candidature.

Fréquentations

Mais il a profité également de la campagne calamiteuse de McCain, qui a changé de messages comme de chaussettes et multiplié les bourdes. Là-dessus, la crise économique a renforcé son image d'homme sérieux et responsable, alors que McCain cafouillait lamentablement. Et il peut remercier la presse. Selon une étude du Project for Excellence in Journalism , depuis la fin des conventions, la couverture de McCain a été trois fois plus négative que celle d'Obama. Pour ses légions de fans, Barack Obama est un réformateur, cultivé, nuancé, un leader "transformational", comme l'appelle Colin Powell, qui va guider l'Amérique vers une nouvelle ère. Pour ses détracteurs, il n'est qu'un politicard ambitieux qui a beaucoup retourné sa veste. Il a rejeté, après l'avoir accepté, le financement public pour sa campagne. Bien lui en a pris, puisqu'il a levé ainsi plus de 600 millions de dollars, écrasant son rival, limité, lui, à 84 millions. Il a milité pour renforcer les normes de sécurité des centrales nucléaires, avant d'assouplir son texte devant l'opposition de l'industrie. Et il a abandonné son opposition aux forages en Alaska et au contrôle des armes.

Il y a aussi ses fréquentations. Celle de Tony Rezko, notamment, un promoteur et un gros bâilleur de fonds véreux qui a acquis, le jour où Obama achetait sa maison à Chicago, le terrain d'à-côté pour le lui revendre ensuite.

Le futur président reste un mystère

À 47 ans, Barack Obama, les tempes un peu plus grisonnantes, se retrouve donc dans ce Bureau ovale dont il a tant rêvé. Mais qui voudrait d'un job pareil alors que le pays est englué dans deux guerres et une crise économique majeure ? Sans doute pas Michelle, qui a freiné des quatre fers à l'idée d'une candidature de son mari parce que ça allait bouleverser la vie familiale. Mais cette Noire dynamique toujours suprêmement élégante s'est révélée, depuis, une formidable partenaire. Sa priorité à la Maison-Blanche, a-t-elle dit, c'est d'être la "maman en chef" pour ses deux filles. Mais il y a peu de risques que cette avocate diplômée, comme son mari, de Harvard se mue en First Lady potiche. "Tout vote présidentiel est un pari et le CV d'Obama sans aucun doute est léger", résumait un éditorial du Washington Post . C'est d'autant plus un acte de foi que, même après des milliers d'interviews, de discours électoraux et trois livres, le futur président reste un mystère.

À son avantage, il va pouvoir compter sur le soutien d'un Congrès à majorité démocrate. Et d'un colistier, Joe Biden, qui a de la bouteille, notamment en matière de politique étrangère. Mais il sait aussi qu'il aura du mal à tenir ses promesses, car il n'y a plus un sou en caisse. Ce qui va l'obliger à changer son slogan, si l'on en croit un humoriste : au lieu de "Yes we can", ce sera "No we can't !". Tout compte fait, conquérir la Maison-Blanche n'était peut-être pas le plus difficile...


REGARDEZ - Barack Hussein Obama électrise la foule

http://www.lepoint.fr/presidentielle-americaine/regardez-le-discours-de-barack-obama-en-version-originale-sous/1781/0/288902&xtor=EPR-6

Une heure après son intronisation par les médias américains, une demi-heure après que son adversaire John McCain a reconnu sa défaite, Barack Obama est apparu sur la scène du Grant Park, à Chicago, devant des dizaines de milliers de supporters. "Le changement est arrivé en Amérique," a-t-il déclaré lors de ce premier discours de président élu des États-Unis, devant une foule en liesse. "Il a fallu longtemps. Mais ce soir, grâce à ce que nous avons accompli aujourd'hui et pendant cette élection, en ce moment historique, le changement est arrivé en Amérique", a affirmé le premier Noir élu à la Maison-Blanche.

"Si jamais quelqu'un doute encore que l'Amérique est un endroit où tout est possible, se demande si le rêve de nos pères fondateurs est toujours vivant, doute encore du pouvoir de notre démocratie, la réponse lui est donnée ce soir", a-t-il fait valoir, devant 125.000 personnes. "C'est votre victoire", a-t-il déclaré à ses partisans, réunis en masse pour célébrer l'élection du sénateur de l'Illinois. Il a salué son adversaire républicain John McCain. "Je le félicite" pour sa campagne, a-t-il dit. Barack Obama a également rendu hommage à sa femme Michelle et à ses deux filles, Malia et Sasha, qui l'accompagnaient à la tribune.

Le programme de Barack Hussein Obama

http://www.lepoint.fr/presidentielle-americaine/le-programme-de-barack-obama/1781/0/288469

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