jeudi 6 novembre 2008 par Le Temps

L'art est bien souvent dans la rue. Dans le détail comme dans le monument. Dans les choses et dans les hommes. Et quelquefois, on se surprend à le découvrir, à la recherche de promoteur. C'est le cas de celui de Tano M'Bra. Il a choisi un espace peu commun pour valoriser son orchestre, dénommé " Petit-à-petit ". Le grand carrefour de Koumassi. Jeudi 31 octobre 2008. 15 h 45. Sa tête de Ghanéen " raté ", luisante, avec un "punch" bien frappé, et les couleurs dominantes de son ensemble instrumental - orange, blanc, vert-, suscitent la première curiosité pour cet homme épris de musique. Il est le batteur endiablé et le chanteur convaincu qu'une petite foule se plaît à écouter. Quand les temps sont durs, n'est-ce pas le produit qui se déplace vers le consommateur ? Si. Et Tano M'Bra, natif d'Aboisso, prend son affaire au sérieux. A travers son micro, une sorte d'entonnoir, disons, un instrument de balise routière, il tente de faire la promotion de son rythme : le tôgbô. Rythme qu'il compare au Ziglibiti de feu Ernesto Djédjé.
On ne peut pas dire que Petit-à-petit est un orchestre bidon. Parce que, même s'il n'a pas encore pu trouver de producteur, alors qu'il revendique la cinquantaine, Tano M'Bra semble être un artiste né. Mais son ensemble musical est composé de vieux bidons, d'objets de récupération et d'une vieille guitare électrique, plus décorative que fonctionnelle. Il a indiqué avoir acquis son expérience, en exerçant dans un certain nombre d'orchestres de renom de son terroir (Eba Aka Jérôme). Ce, pour expliquer que la musique est dans sa peau. Sa peau ? Une peau non négligée, d'un noir du type Agni, brillant. Ce qui laisse penser également, au regard de sa tenue vestimentaire sans tache, que si cet homme n'a pas les moyens de ses ambitions (avoir un orchestre digne de ce nom et un producteur), il ne peut être un indigent dans l'âme. Il chante les choses de la vie. Joie et tristesse : "Quand il y a des baptêmes ou des funérailles, on m'appelle pour jouer, souvent à Abengourou, Agnibilékro, Bongouanou, un peu partout." Il joue ses propres compositions, en Agni et en français, mais fait également des interprétations. L'artiste M'Bra vit à Abobo. Son revenu varie selon les quartiers où il joue : " ça peut être 500 F ; 2000 F ou 3000 F". Comme les " titrologues " qui achètent rarement le journal, mais s'abreuvent des titres, ceux qui, touchés par ses prestations, lui glissent un jeton dans la main, sont moins nombreux que ceux qui se contentent de se divertir gratuitement. L'Ivoirien aime cadeau, avait chanté un autre artiste. La passion pour son métier, la joie d'être l'objet d'admiration d'un public et l'espoir que Dieu exaucera un jour son v?u, se lisent sur le visage de Tano M'Bra. De même, le drapeau Orange-Blanc-Vert, qui couvre une partie de son orchestre, ces mêmes couleurs nationales formées par son micro, son boubou et son sous corps, montrent que la résistance patriotique est également culturelle. Et que le virus de l'acculturation, malgré une tête culturellement marquée de la griffe du voisin, ne passera pas par le patron de Petit-à-petit.

Germain Séhoué

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