jeudi 6 novembre 2008 par Le Nouveau Réveil

Au terme des élections, le candidat démocrate a été élu Président des Etats-Unis d'Amérique. Au cours de cette interview, l'ambassadeur Jean Vincent Zinsou explique les raisons du choix des Américains. Leurs attentes, celles des Africains et du monde entier.
Excellence, Barack Obama, on s'y attendait un peu, a été élu. On connaît ses origines, mais le choix des Américains a été clair sur ce candidat démocrate.
Ça a été un ras de marée et j'avoue que j'ai été agréablement surpris. Je me suis dit qu'il allait gagner mais pas avec ce grand écart. Il a gagné parce que d'abord tout le monde regardait les Etats-Unis. Et il faut dire aussi que ça a été les élections les plus longues, les plus harassantes, les plus difficiles et les plus chères, que les Etats-Unis ont connues. Et puis, il faut dire aussi que Barack Obama a beaucoup séduit. Le message qu'il a donné au peuple américain était un message mobilisateur et surtout un message que le peuple attendait. Après 8 ans de Georges Bush, les Etats-Unis avaient peur, les Américains avaient peur. Ils étaient épuisés. Et puis, le coup de barre qui est venu a été la récession et la crise de suprims. Vous êtes dans votre maison, vous n'avez plus d'argent, vous vous retrouvez nu. Il a mené une campagne très intelligente. Il a commencé en 2004, personne ne le connaissait. Il a fait un très beau discours à la convention de Boston. En plus, il y a eu le discours du 17 mars sur les races à Philadelphie et puis le discours sur la convention. La porte était ouverte pour lui. A sa faveur, il faut dire qu'il a une superbe équipe. Il a réussi aussi à révolutionner la campagne américaine en introduisant les nouvelles technologies de communication. En fait, il a mouillé la chemise, il a pris rendez-vous avec le peuple américain. Il est entré dans l'histoire aujourd'hui. Je pense qu'il a tous les leviers, la chambre des représentants, il a le congrès, et il a l'exécutif. Il a tous les atouts pour être un grand président.
Excellence, quand vous parlez d'atouts, justement, Barack Obama n'en avait pas assez. Il n'était pas très connu, il n'était pas issu d'une classe de privilégiés, il est d'origine noire américaine. Son père est originaire d'Afrique. Les Américains n'ont pas regardé tout cela. C'est une révolution.
C'est la rédemption des Etats-Unis. Et comme je le dis souvent, Barack Obama, c'était un candidat mondialisé, un candidat globalisé. Les Etats-Unis, après 8 années de George Bush, avaient besoin de quelqu'un qui avait un charisme pour illuminer le pays. S'ils avaient voté le ticket Mc Cain-Sara Palin on serait entré encore dans une ère de flou qui n'était bonne pour les Etats-Unis. Les Etats-Unis ont peur et je pense que c'est un homme qui a un destin qui s'est signalé au peuple américain.
Barack Obama, il est jeune, il est métis, il est brillant. C'est le condensé de tout ce que l'Amérique a en terme de melting pot.
C'est un pays où tout est possible. Et il vient de confirmer de très belle manière que rien n'est impossible aux Etats-Unis. Il suffit seulement de bien travailler surtout qu'il y a quelque chose de fondamental là-bas qui est la discrimination positive. Ça lui a permis de faire de grandes études. Il est né à Hawaï, il a grandi à Honolulu, il est sorti d'Haward et je pense que ça doit être un exemple pour les autres pays occidentaux.
Pour les grandes démocraties, les vieux pays d'Europe où le racisme est encore très fort.
Où pour avoir accès à un poste, si ce n'est pas le fait du prince, vous n'y arrivez pas. Parce que, quand il y a des élections, on envoie des minorités visibles au Casting, dans les circonscriptions où c'est difficile. Aujourd'hui, vous prenez la France, le seul député de couleur, c'est une dame. Mme Paul Angevin. Vous prenez par exemple l'Allemagne, c'est très difficile pour un Turc de pouvoir avoir un poste électoral.
Excellence, pensez-vous que le Président Barack Obama présenté comme inconnu et inexpérimenté pourra répondre aux attentes des Américains et du monde entier ?
En matière d'expérience, je prends l'exemple le Lincoln. Il a occupé deux ans le Sénat et il a été président. Et puis on ne demande pas aux présidents de la République de connaître tous les dossiers par c?ur. Tout ce qu'on lui demande, c'est faire preuve de discernement. Je pense que les Etats-Unis avaient besoin d'un président d'action et surtout d'un président qui réfléchit pour apporter des solutions aux problèmes des Américains. L'attente est forte, il ne faut pas se faire d'illusion. Il n'aura pas la tâche facile. La vie politique aux Etats-Unis n'est pas un fleuve tranquille. Il aura beaucoup de difficultés, tout est urgent. Mais s'il sort de là, il sera un grand président. Parce que, voilà un président qui arrive et qui trouve des dossiers urgents sur sa table. Il y a la récession, il y a deux guerres (Irak, Afghanistan) et il y a une crise de confiance. Alors qu'on ne peut rien faire dans un pays s'il n'y a pas de confiance. Il y a les rapports avec l'Iran, la Syrie, l'Union Soviétique. Va-t-il continuer à utiliser la force pour régler les problèmes. Ou bien va-t-il utiliser une politique douce avec les pays émergents comme l'Inde, la Chine, le Brésil. Beaucoup de questions se posent. Va-t-il entrer dans un monde multipolaire au lieu de s'arcbouter sur la politique de Bush ? Est-ce qu'il va continuer avec ce que Condoleeza Rice a dit dans les dernières années de George Bush, la diplomatie transformatrice ? C'est-à-dire changer le monde en douceur. Mais vous savez le plus difficile dans tout ça, c'est qu'une politique étrangère est liée à la géographie et à l'histoire.
Excellence, vous avez soulevé beaucoup de questions. Est-ce que Barack Obama lui-même n'est pas une réponse à toutes ces questions parce que le choix du monde entier s'est porté sur lui ?
C'est pourquoi il ne faut pas qu'il déçoive. Parce que le système américain est un système très complexe. Parce que voilà un président qui a été élu, il ne prendra fonction que le 20 mars. Que va-t-il faire pendant tout ce temps ? Il va essayer de concocter son équipe, pour pouvoir, une fois qu'il prête serment, prendre sa place dans le bureau. Rappelez-vous quand Reagan a prêté serment, quelques jours après, on a libéré les otages américains emprisonnés en Iran. Donc d'ici là, il peut avoir une crise. Mais le système est fait de telle sorte que s'il y a une crise, c'est George Bush qui est chargé de régler le problème. Il y a aussi le problème de la complexité de la politique américaine. C'est que le président est élu pour 4 ans. C'est-à-dire qu'il a près de 10.000 fonctionnaires à changer. Il faut placer les démocrates à la place des républicains qui étaient là. Ça prend pratiquement 1 an. Ensuite, il a 1 an pour faire les reformes. Deux ans pour répondre à l'attente des Etats-Unis, du monde et de l'Afrique. Un président américain passe plus de temps à consolider son pouvoir. A préparer la prochaine élection qu'à régler les problèmes.
Excellence, en tant qu'Ivoirien, pensez-vous qu'Obama aura un regard sur la sortie de crise en Côte d'Ivoire. Qu'est-ce que l'Afrique peut-elle attendre d'Obama ?
Quand j'ai suivi l'élection d'Obama j'ai été un peu malheureux. Je me suis dit, il ne faudrait pas qu'on se réveille après cette belle soirée avec des conflits en Afrique. Malheureusement, quand on ouvre la radio ou la télé, on nous dit que Laurent Kounda est à quelques kilomètres de Goma. En ce qui concerne la politique africaine des Etats-Unis, il ne faut pas se leurrer. S'il peut faire plus que Bush a fait, ce sera fantastique. Parce que Bush a beaucoup fait pour l'Afrique. Il a fait des voyages, même si certains se résumaient à des escales dans les aéroports. Je pense qu'il a été le président qui a fait plus pour l'Afrique que les autres. Il avait prôné le pragmatisme en Afrique. Il a lancé un certain nombre de programmes. L'AGOA, le PEPFAR, pour lutter contre le SIDA. Il avait promis de doubler l'aide à l'Afrique à 8 milliards de dollars. C'est un président qui a fait beaucoup pour l'Afrique. Ça passe inaperçu dans le bilan de George Bush. On voit le va-t-en guerre, le monsieur qui utilise la force. Je pense que le bilan de George Bush en ce qui concerne l'Afrique a été positif. Barack Obama et McCain, quand vous voyez leurs programmes, ils ne parlent pas beaucoup de l'Afrique. Au niveau de l'Afrique, il y a des conflits. Comment reconstruire ces pays post crise. Mais comme c'est un président qui va se baser sur le multilatéralisme, je pense qu'il va relégitimer l'Organisation des Nations Unies et puis il va s'appuyer sur l'ONU pour régler les problèmes. Malheureusement comme disait le deuxième secrétaire de l'ONU, un Suédois, l'ONU a été créée non pas pour amener l'humanité au paradis. Mais surtout pousser l'humanité à aller à l'enfer. Ce qui se passe aujourd'hui sera un coup terrible pour Barack Obama. Parce que quand on voit les images de déplacés dans une région, et la plus forte force de maintien de la paix, dans un pays africain (17.000) augmenter de 3000, c'est-à-dire que cela va faire 20.000 personnes. Et qu'on n'a même pas pensé à renforcer au niveau de Goma les troupes onusiennes, où il y avait seulement 800 personnes. Quand vous pensez qu'un mandat de l'ONU n'est pas défini, alors qu'ils peuvent s'appuyer sur le chapitre 7 ou le chapitre 8 de la charte. On a vraiment beaucoup de questions à se poser. Tous ces conflits sont des conflits post électoraux. C'est pour cela que le ministre Chié, quand il était président de la commission Union Européenne, avait prévu des standards pour les élections au niveau de l'Afrique. Pour éviter qu'après les élections, il y ait des conflits post électoraux. Il avait raison malheureusement, ça n'a pas été suivi.
Obama président, c'est le rêve de Martin Luther King qui se réalise. La fierté de la minorité noire aux Etats-Unis. Est-ce qu'au-delà de cela, ils peuvent gagner plus ?
Ce qui me fait peur, c'est l'attente des noirs. Elle est très très forte. Est-ce que Barack Obama sera l'homme qui va régler tous les problèmes. Parce qu'il ne faut pas se faire d'illusion, la ségrégation existe aux Etats-Unis. Est-ce que les noirs pourront aller dans toutes les universités ? Est-ce qu'il va normaliser la politique vis-à-vis des noirs aux Etats-Unis ? Et c'est là que les déceptions peuvent être fortes. Vous savez, l'histoire est aussi un cimetière d'illusions. Et j'ai bien peur que sur ce côté, s'il va trop vite, qu'on dise qu'il favorise les Noirs. S'il ne va pas vite, les noirs vont crier à la trahison. Et ça sera intenable pour lui. Je fais confiance à son intelligence, à son sens de l'action pour résoudre petit à petit ces problèmes. Au niveau des Etats-Unis aujourd'hui, tout est urgent. Et je ne pense pas que les noirs vont attendre longtemps. Ça me fait penser à la fin de l'apartheid, avec le gouvernement de transition, victoire de Mandela, premier président. Thabo Mbeki qui arrive. Vous voyez que l'attente était forte pour les noirs d'Afrique du Sud. Comme ont dit, chasser le naturel, il revient au galop. Comme je le dis souvent, en Afrique du Sud, il y a des digues. Il y a Mandela, il y a Desmond Tutu. Lorsque ces deux digues vont partir, les vieux démons vont resurgir. J'ai bien peur qu'un pays comme l'Afrique du Sud bâti sous l'apartheid, redevienne un pays africain normal.

Interview réalisée par Patrice Yao et Akwaba Saint Claire

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