mercredi 5 novembre 2008 par Fraternité Matin

Le président de l'Institut de droit communautaire explique les mesures auxquelles s'exposent les étrangers qui seront convaincus de fraude. Monsieur le président de l'IDC, il y a peu, le Chef de l'Etat, SEM. Laurent Gbagbo, a, en recevant les populations de Samatiguila, annoncé l'expulsion des étrangers qui font des fraudes sur l'opération d'identification et d'enrôlement. Comment cela peut-il s'opérer dans le cadre de la Cedeao?
Ce que je voudrais indiquer, c'est qu'avant de parler des mesures qui devaient être prises contre les fraudeurs, il faut d'abord établir que ces personnes ont fraudé. Vous savez qu'en la matière, il y a un principe fondamental auquel nous tenons, c'est celui de la présomption d'innocence. On ne peut se fonder sur le fait que des personnes ont été interpellées pour en déduire que ce sont des fraudeurs. Pour établir leurs qualités de fraudeurs, il faut que ces personnes comparaissent devant une juridiction, qu'elles soient condamnées et que leur culpabilité soit retenue par une juridiction. Donc c'est seulement lorsque cette culpabilité aura été retenue par une juridiction qu'on pourra en déduire que nous avons affaire à des fraudeurs. Sinon, pour l'instant, il s'agit de personnes qui ont été soupçonnées ou suspectées de fraude. Affirmez-vous que condamnées par une juridiction, ces personnes peuvent être expulsées dans le cadre de la Cedeao?
Si ces personnes sont condamnées dans le cadre d'une procédure judiciaire tout à fait régulière, il y a un élément que nous devons avoir à l'esprit, c'est que aujourd'hui, les ressortissants de la Cedeao sont ceux qu'on appelle des citoyens communautaires. Parce que nous appartenons tous à une communauté : Cedeao. Nous sommes considérés comme faisant partie du même espace. Aussi bien les Ivoiriens que les personnes non ivoiriennes ressortissantes de la Cedeao. Bien entendu, s'agissant des citoyens communautaires, leur expulsion ne devrait intervenir qu'au terme d'une procédure exceptionnelle. Parce que ce sont des citoyens communautaires qui ont le droit de résider normalement en Côte d'Ivoire et le droit de mener leurs activités. Et qui subissent également la rigueur de la loi en cas d'infraction. Maintenant, bien entendu, lorsqu'ils commettent une infraction, l'expulsion ne peut être qu'une mesure exceptionnelle. Et l'expulsion peut être décidée déjà par des juges. Le juge, lorsqu'il prononce la décision, peut prendre la décision d'interdiction de séjour sur le territoire ivoirien pendant un certain temps. Le juge peut infliger à des citoyens de l'espace Cedeao l'interdiction de séjour. L'autorité administrative peut également, si elle estime qu'il y a des atteintes à l'ordre public, ou s'il y a des motifs de sécurité nationale, prendre une mesure d'expulsion. Mais ces mesures ne doivent en aucun cas avoir un caractère général. Et ces mesures d'expulsion éventuelle doivent tenir compte des droits qui sont reconnus à des citoyens communautaires. Ces mesures d'expulsion ne doivent pas les empêcher d'exercer tous les recours auxquels ces citoyens ont droit. Donc ces citoyens doivent rester sur le territoire jusqu'à ce qu'ils aient épuisé tous les recours auxquels ils ont droit. Parce qu'il faut qu'on s'assure que ces expulsions n'ont pas un caractère arbitraire, étant donné qu'il s'agit de citoyens communautaires. Et puis il faudrait également appeler votre attention sur le fait que, désormais, nous avons dans notre espace, une Cour de justice. On l'appelle Cour de justice de la Cedeao. Qui a compétence pour se prononcer sur tous les faits de violation de droits humains. Donc nous devons faire extrêmement attention à toute mesure d'expulsion qui pourrait avoir un caractère arbitraire et nous amener à nous expliquer devant cette Cour de justice de la Cedeao.
Donc il est tout à fait possible d'expulser dans des cas exceptionnels mais en respectant un certain nombre de garanties quand il s'agit de citoyens communautaires qui bénéficient d'un certain nombre de droits.
Concrètement, quel commentaire faites-vous de la déclaration du Chef de l'Etat d'expulser les étrangers fraudeurs?
Je dirais tout simplement qu'il faut éviter d'aller trop vite en besogne. Vous savez, ces personnes sont poursuivies pour faux et usage de faux, alors il me semble que si pour toute infraction, on devrait expulser des citoyens communautaires, on risque de mettre à mal le processus d'intégration. Puisqu'il me semble qu'on devrait envisager une telle option pour des infractions particulièrement graves telles que les faits criminels, etc. Sinon, s'agissant du délit, il me semble nécessaire, dans l'intérêt du processus d'intégration, que nous fassions extrêmement attention à la manipulation de ces expulsions. Puisque vous savez que si pour tous les détails on pourrait expulser également nos ressortissants qui sont à l'étranger, pour telle ou telle infraction, il nous appartient de faire attention à ces genres de questions.
Donc je prends la déclaration du Chef de l'Etat avec beaucoup de réserve. Je la mets surtout sur le compte de la colère d'un responsable politique qui désapprouve fortement ces genres d'attitude. Mais c'est un point de vue que je ne partagerais pas.
Que peut entraîner comme conséquences une mesure d'expulsion sur l'intégration régionale?
Les conséquences, c'est que déjà si nous envisageons une mesure d'expulsion, nous sommes obligés d'alerter les autorités concernées et nous devons également alerter la Commission de la Cedeao afin qu'elle soit tenue informée de l'évolution de la situation. C'est pour cela que je dis que nous devons faire attention à ce processus. Parce que si nous commençons à expulser tous ceux qui se rendent coupables d'infraction, quelle qu'en soit la gravité, nous devons nous exposer également à des mesures de représailles qui pourraient mettre à mal le processus d'intégration. Donc moi, je suis tout à fait d'accord pour que nous puissions envisager les sanctions qui sont prévues par la loi : sanctions pénales et autres par rapport à tous ceux qui commettent ces infractions. En revanche, j'emets de petites réserves en ce qui concerne les mesures d'expulsion qui peuvent porter un petit coup fatal au processus d'intégration. D'autant que la Côte d'Ivoire a toujours été un exemple en matière d'intégration. Nous sommes une terre d'intégration et nous avons toujours appliqué les principes de libre circulation, de liberté d'établissement des ressortissants de la Cedeao. Il y a quelques mois, le Chef de l'Etat a pris la décision importante de supprimer les cartes de séjour pour les ressortissants de la Cedeao, ce qui a constitué une mesure révolutionnaire. Et donc il ne serait pas convenable, après avoir pris des mesures aussi encourageantes pour le processus d'intégration, que nous nous retrouvions dans cette situation.
La décision d'expulsion n'est donc pas, pour vous, opportune?
Elle ne paraît pas opportune, en l'état actuel de la construction de l'intégration. Il me semble qu'une simple sanction pénale devrait être une décision largement suffisante pour justement mettre en garde les fraudeurs et tous les complices.

Interview réalisée par
Emmanuel Kouassi

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