mardi 4 novembre 2008 par Notre Voie

En cette période d'avant-élection, élection présidentielle s'entend, beaucoup de choses se susurrent ou même se disent à haute voix, comme pour être entendues par les pires mal-entendants avant la date fatidique de la confrontation.
Tel est le cas, nous semble t-il, des probables candidatures de MM. Francis Wodié, Gnamien Konan, Mabri Toikeusse, ou même, celle hypothétique de l'ancien chef d'Etat-Major Mathias Doué.
Naturellement, il ne dépend que d'eux seuls pour confirmer ou infirmer ces rumeurs. Pour l'heure, pour notre part, scrutant l'horizon assez brumeux de cette élection, il nous appartient d'interpeller les uns et les autres sur leur vision, non seulement de la politique, en général, mais de l'élection présidentielle, en particulier.
Après M. Bédié, dans le numéro un de Point de Mire, la tentation a été grande, pour nous, de nous intéresser à un de ces hommes qu'on pourrait qualifier "d'outsiders" dans cette élection. Il s'agit de M. Francis Vangah Wodié.
Bien sûr, ce n'est pas facile d'écrire sur quelqu'un qu'on considère comme un ami et dont on respecte les opinions sur le plan politique. Je me flatte, je le dis franchement, de me compter parmi ses amis. A un ami, on doit toujours la vérité. Foin d'hypocrisie donc, même si Francis, je l'aime bien.
Oh ! il pourra essayer de me convaincre de la nécessité de sa candidature, avec tous les argument.
Malheureusement, moi, c'est moi et le peuple, c'est le peuple. Il est comme l'animal qui dévore ses propres enfants. Il est sans pitié.
Il y a certes cet adage du Français Pierre de Coubertin, celui qui a rénové les Jeux olympiques dans leur forme actuelle, qui dit que "l'essentiel est de participer". Mais à quoi bon, quand on n'a pas la moindre chance de son côté ? A part cette approche affective de ma part, la question essentielle qui vient immédiatement à l'esprit est celle-ci : "N'est-ce pas une élection de trop" pour l'ami Francis ?
Naturellement, M. Francis Wodié est un homme bien. Il est un de ces hommes dont la Côte d'Ivoire peut s'enorgueillir à juste titre d'avoir comme citoyen. Il est honnête, affable, toujours distingué, le propos docte. Il parle avec assurance parce qu'il est sûr de lui. Il ne lève jamais le ton parce qu'il ne veut blesser personne.
Il y a, en cet homme, ce qu'on appelle communément avoir le sens de la mesure. Malheureusement, la politique qu'il aime ou qu'il fait comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, pour emprunter quelque peu cette image à Molière, est un champ d'empoignes, où les doucereux, les nostalgiques, les bons vivants n'ont pas leur place.
Bien sûr, il arrive à Francis de donner quelques coups de griffe, mais au prix de quel effort ? Si on pouvait utiliser encore cette formule d'Ernest Boka (car c'est lui, qui, le premier, l'a utilisée en Côte d'Ivoire c'était au Congrès constitutif de la JRDACI), Wodié serait, pour notre microcosme politique Ivoirien, "l'homme qu'il faut à la place qu'il faut". Ici donc, parmi les intellectuels de haut vol et non en politique. Suivez mon regard et vous saurez qui est Wodié. (lire plus loin).

L'homme de la démocratie dans le parti unique

Hélas ! la politique n'est pas un jeu de billard, encore moins un jeu d'enfants. Il faut se battre et toujours se battre pour faire valoir son point de vue, même au risque de sa vie. L'a-t-il jamais risquée à cette fin ? Rien n'est moins sûr.
M. Francis Wodié est né le 25 février 1936 à Abidjan.
Au cours de ses études de droit en France, Francis Wodié se distingue, si on peut parler ainsi, par un militantisme actif. Il est à Poitiers, ceci peut expliquer cela sans doute. Ensuite, c'est l'Université de Caenoù il est vice-président de la Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France (FEANF). Il est membre du Bureau exécutif de l'Association des Etudiants ivoiriens en France (AECF - UGECI) comme délégué culturel chargé de la presse.
Ses difficultés commencent avec le régime du Bélier de Yamoussoukro, Houphouet-Boigny, en 1961. Car celui-ci voit en tous ceux qui aiment la libre expression des déstabilisateurs. Wodié est arrêté une première fois, en France, en juillet, pour atteinte à la sûreté de l'Etat de son pays, la Côte d'Ivoire. Quelle abomination ! Il est expulsé vers son pays natal, la Côte d'Ivoire, où il sera détenu à la Maison d'Arrêt d'Abidjan pour être libéré en 1962. Il reprend ses études en France et obtient un DES de Droit public en 1964, ainsi qu'un DES de Sciences politiques en 1965. Il ajoute, à cette panoplie, un CAPA d'avocat. Il n'exercera jamais cette fonction. Comme on le voit, c'est une tête bien pleine.
Passons rapidement sur le retour de Wodié en 1966 comme assistant à la Faculté de Droit de l'Université d'Abidjan pour retenir son activité syndicale à la tête du Syndicat national de la recherche et de l'enseignement supérieur (Synares), qui l'amènera à séjourner à Akouédo en 1967 et Bouaké à l'Ecole des Forces armées (EFA).
En 1971, il est à nouveau arrêté pour activités subversives?. Il prend la poudre d'escampette et se retrouve en Algérie en exil jusqu'en 1973. Il y obtient une agrégation de Droit public qui ne sera pas reconnue en Côte d'Ivoire. Il repart en France et passe ,cette fois-ci une "bonne" agrégation à la Faculté de Lettres d'Aix-en-Provence.
La carrière de Francis Wodié est telle qu'on ne peut l'appréhender en l'espace d'un simple article de journal. L'homme aux deux agrégations est devenu professeur de Droit public à l'Université d'Abidjan. De 1980 à 1986, il est le premier Ivoirien à occuper le poste de doyen de la Faculté de Droit. Et c'est ici qu'il va perdre sûrement ses illusions, car la politique ne fait pas bon ménage avec les têtes bien pensantes. Que croyez-vous que sont réellement Ronald Regan à côté de John Kennedy ou même Houphouet-Boigny à côté de Adrien Dignan Bailly ?
La politique, c'est autre chose. N'y réussissent que ceux qui sont dans le marais, non pas ceux qui sont sur la colline suprême de l'intelligentsia.
Au lendemain de l'instauration du multipartisme auquel il a participé activement tout en justifiant qu'il pouvait y avoir la démocratie dans un parti unique totalitaire comme l'était le PDCI (interview de Francis Wodié dans Ivoire-Dimanche "ID", aujourd'hui disparu), il crée le Parti ivoirien des Travailleurs (PIT).
Quelle audace ! Il n'a ni l'aura, ni la carrure pour mener les hommes, surtout ceux qui travaillent dur. Parce qu'il a été dirigeant d'un syndicat d'intellectuels comme le SYNARES, il rue dans les brancards. Ce n'est pas pareil. Le monde du travail c'est autre chose. Le PIT, le parti des travailleurs, n'a aucune emprise sur le monde du travail. En somme, c'est un nom. Un contenant qui n'a pas de contenu.
Ce monde-là, veut du concret. Il aime (le monde des travailleurs s'entend) ceux qui retroussent les manches et vont au charbon avec eux.

Conférence nationale

Partisan infatigable de la "Conférence nationale" au lendemain de l'instauration du multipartisme, à l'instar de nombre de pays africains, hélas ! pour Francis Wodié, cette idée ne prospérera pas. Il remettra ça au lendemain de la rébellion qui a ensanglanté la Côte d'Ivoire en 2002 en parlant encore de "consensus national" ou de concertation nationale. Là aussi, il ne sera pas suivi.
Mais revenons un peu en arrière pour nous poser la question de savoir pourquoi cette candidature.
En 1990, M. Wodié ne sera pas candidat contre Houphouet pour la seule et unique raison, ont avoué, par la suite, les nouveaux mentors de partis politiques qui sont sortis de l'ombre subitement, qu'il fallait d'abord faire l'unité de la Gauche à ce temps-là. Ils avaient peut-être raison, tellement Houphouet paraissait immense et indémontable.
Il faut peut-être rappeler aussi que l'ensemble des partis de l'opposition naissante avait formé une coordination dite de Gauche censée les représenter tous, et que c'était à celle-ci que devait revenir la primauté de désigner le candidat de la Gauche toute entière.
Quelle ne fut la bataille sournoise et malsaine qui fut livrée au FPI et à Laurent Gbagbo que d'aucuns accusaient de populiste, c'est-à-dire ne faisant appel qu'au peuple sans approfondir les analyses qui concernent les gens.
Les intellectuels, dont Francis Wodié, étaient en train de s'agglutiner sur le sexe des anges quand la candidature de Laurent Gbagbo, au premier Congrès du FPI à l'Hôtel Ivoire, fut proposée par "votre serviteur".
Ce fut le désarroi dans ladite coordination de la Gauche.
A leurs yeux, Gbagbo avait trahi ou, si vous voulez Gbagbo et sa bande venaient d'assassiner l'opposition toute entière en ne se conformant pas à l'éthique démocratique. Que n'avons-nous pas entendu à ce temps-là ! Or, du point de vue de l'histoire, celle qui s'écrit avec H majuscule, Gbagbo venait de terrasser l'ogre, le dragon des temps immémoriaux en mettant fin à un tel mythe. Celui du candidat unique avec ses 99,99 % des voix. C'est ça la vérité de cette époque. Les gens peuvent parler aujourd'hui, mais l'histoire est là.
Oui, on savait qu'avec les intellectuels, il y a trop de discours et point d'actions, et Francis Wodié est un intellectuel. Du coup, la Coordination de la Gauche était morte et chacun vaqua à ses occupations. Cela se verra dans les combats qui seront menés dans ce pays : le 18 février 1992, Francis Wodié n'est pas arrêté alors que Dégni Ségui, qui lui a succédé à la tête de la LIDHO, épousant totalement la cause du petit peuple, l'est avec les autres. D'aucuns disent que les instructions sont venues de là-haut. Wodié sera gardé quelques petites heures à Agban et puis c'est le retour à la maison. Gervais Coffie, l'oncle, n'est-il pas secrétaire général du Gouvernement de Bédié. On comprend dès lors
Mieux, voulant sans doute prendre sa revanche sur Laurent Gbagbo qui s'était présenté contre Houphouët en 1990 sans l'accord de ses amis de la Gauche, en récoltant 18 % des suffrages, Francis Wodié, malgré l'appel au boycott actif en 1995, se présente contre Bédié. Il est battu irrémédiablement en ne récoltant que 3,8 %. On dit même que, pendant la campagne, il a annulé certains meetings faute de public. En somme, il a accompagné son ancien camarade de Poitiers pour légitimer son élection.
Après cette élection, le débat n'a pas manqué de s'envenimer entre Wodié et ses anciens partenaires qu'étaient Laurent Gbagbo et Djény Kobena, patron d'un RDR et mobilisateur à souhait. Mais c'était pour un troisième larron dont on parlera dans ces colonnes bientôt et qui n'était pas en piste encore. Vous voyez de qui je veux parler.
Et c'est sans surprise que Francis Wodié fera son entrée dans le gouvernement Bédié, peut-être, pourrions-nous dire, pour l'avoir accompagné dans sa chevauchée solitaire en 1995.
Moins charismatique que les autres leaders, cet intellectuel croit qu'on peut toujours tenter en essayant d'exister sans vraiment avoir des idées novatrices pouvant capter l'attention du peuple.
Un bon candidat, c'est celui qui a un programme, chiffrable et défendable en tout lieu et à toute époque. Il ne faut jamais faire la politique en se disant pourquoi pas moi ?
Nous ne jetons aucune pierre à personne. Mais nous disons, dans la boxe, il y a des catégories. Dans la politique, nos hommes du microcosme politique devraient s'en faire une saine idée avant de se lancer dans l'arène, car il y a combat et combat.
Si vous n'avez que vos mains seules, lutter contre un fauve nous apparaît quelque peu risqué.
Bien sûr, à moins de recourir à la rébellion et enjamber les murs des ambassades du Nord comme l'autre pour sauver sa peau alors qu'on a allumé soi-même le feu, il faut se dire que toutes les guerres ne sont pas bonnes à mener.
Si j'étais Francis Wodié, je prendrais position dans un cas comme dans l'autre et dirais que j'arrête. Non pas par faute de combattants, mais pour les arguments maigres et se fondant sur l'orgueil personnel. Cette nouvelle candidature ne s'impose plus à notre sens. Elle est même redondante si on veut parler ainsi.
On ne participe pas pour participer, mais pour gagner. Si M. Françis Wodié, "mon ami" comprend cet appel de l'ami que je prétends être, il arrêtera ce nouveau suicide. Et je suis persuadé que l'élu de demain quel qu'il soit le lui revaudra. Participer pour participer n'est pas une bonne chose. Il faut qu'on se le dise en toute amitié et franchise.

Jacques Préjean

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023