jeudi 14 août 2008 par Le Quotidien

Il a reçu carte blanche du Procureur de la République. Le procureur Diakité Mamadou lève un coin de voile sur l'enquête relative à la filière Café-Cacao.

Comment avance l'enquête depuis la mise en examen des principaux dirigeants de la filière ?
Quand vous vous dites comment avance l'enquête, j'espère que vous parlez de la procédure Parce qu'au niveau de la procédure, on fait la distinction entre l'enquête qui est menée par une unité de police ou une unité de gendarmerie et l'instruction. Aujourd'hui, on n'est plus au stade de l'enquête, mais au niveau de l'instruction. Cette instruction est confiée au doyen des juges d'instruction ; des auditions ont eu lieu, des interrogatoires ont eu cours et des mesures d'expertises ont été ordonnées. Donc, la procédure suit son cours normal et véritablement elle avance bien.

Au cours de l'enquête préliminaire, le procureur de la République a tenu une conférence de presse qui a précédé l'arrestation de barons de la filière qu'il a cités à cette rencontre. Il a accusé les experts d'avoir violé le secret de l'enquête. Pourquoi le procureur n'a-t-il pas respecté cette disposition ?

Au niveau de l'enquête préliminaire, lorsque le procureur de la République a été saisi par courrier du président de la République, il a instruit deux unités à l'effet de procéder à l'enquête préliminaire : la brigade de recherche et la direction de la police économique d'Abidjan. Ces unités ont procédé à toutes les mesures utiles à la recherche de la vérité. Moi-même, j'ai dirigé la procédure au niveau de la police économique. Lorsque le dossier a été bouclé au niveau de ces deux unités, le dossier a été transmis au procureur de la République qui en a fait une lecture et une analyse. C'est ainsi qu'il a décidé par la suite une procédure d'informations. Et c'est ce qui a été fait. La conférence de presse du procureur de la République était simplement destinée à informer la population (qui a droit à l'information) de ce que l'enquête avait été bouclée et de ce qu'une information judiciaire avait été ouverte. Vous le verrez, regardez les médias étrangers, vous verrez tous les jours des procureurs de la République en train de dire qu'une enquête est ouverte, en train de dire qu'une enquête est bouclée, ou encore que des personnes sont poursuivies au niveau de l'enquête. C'est dans ce cadre que depuis pratiquement 2004, le procureur a toujours fait des conférences de presse. Vous vous rappelez le dossier des déchets toxiques, le dossier de M. Adjoumani dans l'affaire qui l'opposait au président Laurent Gbagbo, le dossier dit des Maisons de placement d'argent, le dossier Kieffer. Il y a plusieurs dossiers de ce genre. Le procureur fait son travail d'informations. Parce que le procureur, il ne faut pas l'oublier, est le défenseur de la société. Lorsque les populations se posent des questions, il est en droit de venir les éclairer. Voici la procédure qui a été engagée, voici ce qui a été fait et voici ce qui doit être fait. Bien entendu, sans rentrer dans les détails.

A vous entendre, le procureur de la République a le droit d'informer l'opinion mais en même temps il n'a pas le droit de donner certaines informations. Dans ce cas, qu'appelle-t-on secret de l'enquête ou de l'instruction prévue par la loi ?

C'est une question très pertinente. Ici, il faut faire la part des choses. Il y a le secret de l'enquête préliminaire. Vous savez en droit, il y a toujours des droits qui sont contradictoires et je dirais même qui se combattent très souvent. Lorsque vous avez un droit, il y a un autre droit qui vient combattre ce droit. Il y a le secret de l'enquête préliminaire mais aussi le droit à l'information et aussi et surtout les techniques que le Parquet utilisent pour aboutir à la recherche de la vérité. Le parquet n'est pas le Siège. Le Parquet n'a pas strictement les mêmes obligations que le juge d'instruction. Le Parquet cherche les éléments de preuve et la communication peut être un moyen pour obtenir des éléments de preuve. Il y a des techniques que le parquet utilisent que les officiers de police judiciaire utilisent pour avoir des informations. Par exemple quand vous voyez qu'une infraction est commise, on vous dit qu'on a tel élément et qu'on demande des gens de produire tel autre élément. Mais ce sont les éléments du dossier de l'enquête préliminaire. On est obligé de donner d'autres informations. D'aucuns diront qu'on viole le secret de l'enquête préliminaire mais nous, ça peut être un moyen pour avoir des informations. En Europe par exemple quand on diffuse des portraits robots, quand on dit qu'on a fait des analyses ADN et qu'on a découvert un ADN de type masculin, etc. mais ce sont des éléments du dossier. Mais on les publie pour pouvoir avoir gain de cause. En fait, le secret de l'enquête préliminaire commande qu'on ne divulgue pas les éléments du dossier, mais la recherche de la vérité peut commander parfois qu'on dise des choses qui sont les choses du dossier. Le tout pour nous, c'est d'avoir gain de cause en ayant la vérité au bout du compte. Ce sont des débats qui existent depuis toujours. Ce qu'il faut retenir dans tous les cas, il faut préserver les droits de la défense. Lorsqu'on dit secret de l'enquête préliminaire, lorsqu'on dit secret de l'information, c'est parce qu'on fait référence au droit de la défense. Il ne faudrait pas que les éléments qui sont divulgués soient de nature à nuire au droit de la défense, à mettre celui qui est mis en cause dans un état où il ne peut plus se défendre.

Pensez-vous que dans notre cas (enquête dans la filière Café-Cacao) les droits de la défense ont été préservés ?

Les droits de la défense ont été préservés dans la mesure où quand vous lisez la conférence de presse du procureur de la République, nulle part il n'a cité nommément personne pour dire contre celui-ci on reproche les faits d'abus de confiance, ou contre celui-là, les faits d'escroquerie. Il a dit que des faits d'escroquerie, d'abus de confiance, faux et usage de faux, etc. étaient reprochés aux responsables de la filière. Mais nous, on sait par exemple qu'à telle personne on reproche les faits de faux et usage de faux, à telle autre, d'escroquerie, ainsi de suite. Mais cela n'est pas clairement défini dans la conférence de presse du procureur Tchimou.

Pendant l'enquête préliminaire, selon ce que vous avez dit tout à l'heure, ce sont les unités de la brigade de recherche et de la police économique. Nullement, vous n'évoquez la réalisation d'un audit d'experts. Comment l'infraction de détournement a-t-elle été déterminée ?

Déjà la police économique est assez outillée pour mener ce type d'investigations. La police économique, c'est une police qui est spécialisée en matière économique et financière. Vous demanderez à tous ceux qui s'y connaissent même aux experts étrangers, nos éléments de la police économique sont très performants. De plus, il y a des audits qui ont été menés. Notamment par l'inspecteur général de l'administration et aussi l'inspecteur général des finances.

Si cela a été fait, pourquoi le doyen des juges vient d'ordonner un nouvel audit pour voir si éventuellement il y a eu détournement, les éventuels auteurs ?

Effectivement, on a lu dans la presse. Certains journaux ont titré que c'est maintenant que l'enquête commence. Je vous ai dit que l'enquête est bouclée. On ne peut pas saisir le juge d'instruction si l'enquête n'est pas bouclée. Maintenant, on est à la phase d'information judiciaire, d'instruction. A la phase d'instruction, on ne parle plus d'enquête. Donc l'enquête est bouclée. Ceux qui disent l'enquête n'est pas encore bouclée se trompent. En ce qui concerne l'expertise qui a été demandée par le juge d'instruction. D'abord, le juge d'instruction ? dans le cadre de son instruction ? peut ordonner qu'un expert dans une matière donnée lui donne son avis sur un problème technique donné. C'est ce qu'on appelle l'expertise. Mais lorsqu'on lit dans les journaux que l'expertise a dit ordonner l'expertise à l'effet de savoir s'il y a eu détournement. Et s'il y a eu détournement, quels sont les auteurs, et quel est le quantum ; justement on ne peut pas dire qu'on viole le secret de l'instruction ou la présomption d'innocence et s'attaquer à l'ordonnance telle que libellée. Si le juge d'instruction avait dit à l'expert donnez-nous le montant des détournements, dites-nous qui a détourné, il aurait violé le principe de la présomption d'innocence. Parce que le juge d'instruction n'a pas à dire avant la prise de son ordonnance de renvoi qu'un tel a volé ou un tel n'a pas volé. En disant voir s'il y a eu détournement, si oui dire quels sont les auteurs, il respecte le principe de la présomption d'innocence. Donc, ce n'est pas parce que l'ordonnance est ainsi intitulée que cela veut dire que c'est maintenant que le juge d'instruction est en train de savoir s'il y a eu détournement. C'est justement une formulation juridique pour respecter la présomption d'innocence. Aussi, l'objectif de l'expertise commise par le juge d'instruction est de fixer le montant global des sommes détournées dans la filière.

Mais pendant l'enquête préliminaire, des voix s'étaient élevées ? parmi celles qui sont incarcérés aujourd'hui ? pour dénoncer que l'audit n'a pas été fait

Vous savez, chacun se défend comme il peut. Notamment certaines personnes ont dit dans les journaux que la procédure comportait des zones d'ombre. On ne sait pas de quelle procédure il s'agit. Est-ce que ces personnes ont eu accès à la procédure (soit aux éléments de l'enquête préliminaire, soit à ceux de l'instruction) pour dire que la procédure comporte des zones d'ombre. Parce que c'est seul ceux qui ont eu la procédure entre les mains qui peuvent dire s'il y a des zones d'ombres ou pas. Et ce qui concerne les éléments de l'enquête, il faut dire qu'elle a été menée sur huit (8) mois. Des déplacements ont été faits aussi bien à Abidjan qu'à l'intérieur du pays. A l'extérieur, aux Etats-Unis. Tous les éléments de la police économique et de la brigade de recherche ont été remis au doyen des juges d'instruction. Nous pensons que c'est quelqu'un qui est outillé techniquement et les décisions qu'il a prises ont été en ce moment opportunes.

Au vu de l'instruction, on a également constaté l'arrestation systématique de tous ceux qui ont été convoqués devant le juge. Pourquoi ?

Il a été dit quelquefois qu'il y a eu des arrestations systématiques. Ça veut dire que dès qu'on vous convoque, on vous arrête ; mais il y a des gens qui ont été convoqués mais qui n'ont pas pour autant été arrêtés.

Le dossier de l'enquête dans la filière Café-Cacao est particulier. M. le procureur, comment la vivez-vous ? Avez-vous reçu des pressions ?

Ce n'est pas facile. Dans tous les cas, il y a toujours des actes à poser qui eux-mêmes ne sont toujours pas faciles à poser. Mais c'est le métier que nous avons choisi

Etes-vous victime de pression politique ?

Non, vraiment pas du tout. Nous sommes très libres. Les pressions ne viennent pas du côté où on le pense. On pense que c'est le politique qui fait la pression mais pour un magistrat, la pression des amis est vécue au quotidien et c'est plus fort.

Parmi les structures de la filière, seule l'ARCC est étatique. Pourquoi avoir attendu que ce soit le président de la République qui ordonne l'enquête ?

Il s'agit d'une structure étatique et dans ce cadre-là, l'opportunité de la plainte relève de l'Etat. Donc, le président de la République lorsqu'il a saisi le procureur de la République du courrier demandant de faire une enquête (et dans le courrier il est précisé de faire une enquête et d'ouvrir des procédures si utiles), cette lettre constitue une plainte.

Et les autres structures (BCC, FDPCC, FRC, etc.) qui sont des privées ?

Le procureur de la République pour les personnes privées, peut poursuivre dès lors qu'il constate qu'il y a infraction. Il est le défenseur de la société et des individus. Voilà pourquoi, pour certaines infractions, lorsque vous venez porter plainte et qu'en cours de procédure vous dites je retire ma plainte et que le procureur ne veut pas, il poursuit la personne et fait condamner la personne. Pour certaines infractions évidemment, lorsque la victime a retiré sa plainte, le procureur de la République est obligé de constater que l'action publique est éteinte. Par exemple en cas d'adultère, griserie de boisson, de transport etc. Le procureur de la République en tant que défenseur de la société, pour les poursuites privées, peut se saisir. Il n'a pas besoin que le président de la République lui donne des injonctions dans ce sens. Exemple : dans votre quartier un club de football que vous appelez z. Dans le fonctionnement de ce club, il y a une infraction qui est commise. On n'a pas besoin qu'un membre de ce club porte plainte. Le procureur peut directement se saisir de l'infraction et poursuivre l'auteur.

Mais, pourquoi avoir attendu que le président de la République vous saisisse ?

C'est sans doute un problème d'opportunité (rire).

Ceux qui sont aujourd'hui inculpés le méritent-ils ?

Je ne peux pas dire qu'ils le méritent. Si je le dis, je viole le secret de l'information. Justement, le juge d'instruction a obligation d'instruire à charge et à décharge. Il cherchera des éléments contre ces personnes et il cherchera des éléments pour ces personnes. Comme toutes ces personnes ont des avocats, ces derniers vont les aider à démontrer qu'elles ne sont pas coupables des faits qu'on leur reproche.

Est-ce qu'il était opportun de les incarcérer quand on sait que ces personnes n'ont jamais cherché à s'enfuir depuis le début de l'enquête en 2007 ?

Il y va du libre arbitre du juge d'instruction. C'est lui qui décide d'incarcérer ou pas. Dans tous les cas, lorsqu'une personne est incarcérée, elle a le droit de faire une demande de mise en liberté provisoire

Mais, la liberté provisoire a été refusée à une dame de surcroît enceinte de 7 mois

Si la demande a été refusée, la personne peut saisir la chambre d'accusation. Qui va statuer pour dire que c'est à bon droit que le juge d'instruction a refusé ou ce n'est pas à bon droit. Dans ce dernier cas, la chambre d'accusation va ordonner que cette dame soit mise en liberté. Vous voyez, il y a des procédures mais on préfère polémiquer plutôt que de les utiliser.

Quelle est la sanction que les inculpés encourent-ils ?

Les peines encourues sont assez sérieuses parce que l'article 110 qui est un article d'aggravation a été visé. C'est au moins 10 années d'emprisonnement.

A quand l'ouverture des procès publics ?

On sait quand commence une procédure mais on ne sait jamais quand elle prendra fin. Je vous ai l'enquête préliminaire a duré environ huit (8) mois. Peut-être que l'instruction va durer moins, peut-être plus. Cela vraiment, on ne le sait pas.

Robert Kra (krarobert@yahoo.fr)

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