jeudi 14 août 2008 par Nord-Sud

Manque d'entretien, problèmes d'assainissementla voirie connaît un état de dégradation avancée à Abidjan et à l'intérieur. Le Directeur général du Fonds d'entretien routier explique les raisons et appelle au civisme des usagers.


?La voirie se porte de plus en plus mal à Abidjan. Qu'est-ce qui est à la base de cette dégradation avancée?

Vous parlez d'Abidjan mais je souhaiterais m'étendre sur tout le réseau routier national. La capitale économique couvre à peine 5% du réseau national. Abidjan est une ville de consommateurs et non pas de producteurs. Il y a eu récemment les manifestations contre la cherté de la vie. Mais on a oublié que ce sont nos parents qui sont en zone rurale qui approvisionnent les grandes villes en produits alimentaires. Malheureusement ceux-ci sont confrontés à d'énormes difficultés du fait du mauvais état des routes. Donc nous avons mis en place un plan qui va permettre de pouvoir sortir les produits des zones de production vers les zones de consommation. Ceci passe nécessairement par la réhabilitation de tout le réseau. Le gouvernement a annoncé il y a quelques semaines qu'il investissait 17 milliards Fcfa pour l'aménagement des bassins rizicoles. C'est une bonne chose. Mais s'il n'y a pas de routes pour sortir ces produits, ce sera un travail vain.





?L'entretien de ces voies rurales ne relève-t-il pas de votre compétence?

Il faut faire la distinction entre l'Ageroute et le Fer qui est la structure chargée de la collecte et la mobilisation des ressources pour l'entretien routier. Il s'agit également du financement des études et autres ouvrages à péage au niveau du Pk 30 à Attinguié et la voie Abidjan-Adzopé qui va aller jusqu'à la frontière du Burkina. Il faut réhabiliter aussi les ponts-bascules. Mais le rôle de l'Agence de gestion des routes (Ageroute) c'est d'identifier l'état du réseau, faire un programme et maintenant soumettre ce programme au ministère des Infrastructures économiques. Il le valide avant de le soumettre à nouveau au Fer.





?Dites-nous clairement, à qui doit-on s'adresser en cas de délabrement de la voirie ?

On ne peut pas jeter la pierre à quelqu'un. Ce n'est pas une structure qu'il faut accuser mais chacune des composantes de la nation ivoirienne. La Sotra a décidé de suspendre son trafic sur le boulevard Nangui Abrogoua du fait de l'état de dégradation avancée sur cette voie. L'Ageroute est partie faire une reconnaissance du réseau. Il est vrai qu'il y a un manque d'entretien sur cet axe, mais sa dégradation est venue en partie des populations qui sont dans la périphérie de cette zone. Quand on dépose des conteneurs d'ordures sur une voie qui doit être empruntée par les bus, quand on bouche les canalisations qui doivent permettre d'évacuer les eaux, ce n'est ni le Fer, ni l'Ageroute qu'il faut accuser. Le premier ennemi de la route c'est l'eau. Le premier souci des ingénieurs qui conçoivent les voies, c'est de trouver le passage pour l'eau. Malheureusement, la Côte d'Ivoire investit des dizaines de milliards Fcfa pour faire des canalisations mais du fait de l'incivisme des populations, elles sont bouchées. L'eau stagne sur la voie et s'infiltre en créant des crevasses pour la dégrader. C'est ce qui s'est passé sur le boulevard Nangui Abrogoua. Les rôles sont bien déterminés. Dans certains pays, c'est le même ministère qui gère l'eau et l'assainissement. Mais en Côte d'Ivoire ces deux volets sont gérés séparément par deux ministères. C'est cela qui crée quelques fois ces dysfonctionnements. Un seul ministère aurait permis que les choses aillent mieux.





?Est-ce que ces difficultés liées aux problèmes d'assainissement gênent le Fer dans son programme d'entretien ?

C'est un élément qui gêne forcément compte tenu de la faiblesse des ressources dont nous disposons. C'est pourquoi nous appelons au civisme des citoyens. Nous avons 82.000 Km de routes que l'Ageroute doit entretenir dont 6.700 Km bitumées. Si on peut éviter de dégrader le réseau, le peu d'argent que nous avons, peut nous permettre de maintenir ce qui a été construit.





?A ce jour, de combien disposez-vous pour l'entretien routier?

Nous disposons d'une enveloppe d'environ 10 milliards Fcfa par an. Il y a environ deux semaines les experts des ponts et chaussées se sont réunis à Grand-Bassam pour réfléchir sur la problématique de l'entretien routier en Côte d'Ivoire. Ils étaient autour de 36 milliards Fcfa par an. Le minimum pour éviter les coupures de voies. Il s'agit bien du programme d'urgence. Sinon pour un programme normal d'entretien, il faut 80 milliards Fcfa par an. Le Bénin, qui a les mêmes problèmes climatiques que la Côte d'Ivoire, a autour de 6.000 Km de voie, tout réseau confondu. De 23, ils sont passés à 30 milliards Fcfa pour l'entretien routier.





?Le délabrement n'est-il pas aussi dû à la mauvaise qualité du bitume ? Par exemple, la côtière est littéralement dévêtue moins de 10 ans après sa livraison

A l'issue de la table ronde des bailleurs qui a eu lieu les 11 et 12 août à Grand-Bassam et à Abidjan, on a estimé le financement de l'autoroute Abidjan-Grand-Bassam (23,2Km) à 40 milliards de Fcfa. Du coup nous sommes autour de 2 milliards par kilomètre. La qualité de la route dépend de certaines composantes. En principe, la durée de vie des routes en Côte d'Ivoire est de 15 ans. Or 80% de notre réseau a dépassé les 15 ans et a besoin d'être réhabilité. En effet, la côtière a été faite dans une zone marécageuse. Il fallait beaucoup d'argent mais compte tenu du budget, on a demandé aux ingénieurs de faire du miracle. Après la construction, c'est l'entretien qui a manqué. Actuellement, il y a des zones sur cet axe qui sont toujours en travaux. Le Fer a dépensé de l'argent cette année pour réhabiliter cette voie (Sassandra-San Pedro). On a déboursé entre 2006 et 2007 environ 3 milliards Fcfa pour reprendre certaines portions. Cette route a besoin d'être entretenue et renforcée.





?Et la voie du zoo pour laquelle la Sotra menace également de suspendre son exploitation Les travaux avaient aussi démarré sur la voie Abobo-Anyama. Pourquoi ils se sont arrêtés?

L'Ageroute vient de mettre en place un programme d'un montant de 3 milliards Fcfa pour la remise à niveau de certaines voies dans la ville d'Abidjan. Mais le drame est que sur les 10 maires invités, seulement quatre ont répondu à notre appel. Or l'objectif était d'associer ces administrateurs à la politique de réhabilitation des voies. Il s'agissait de leur demander quelles sont les voies que le Fer et l'Ageroute pourraient réhabiliter en vue de permettre aux citoyens de circuler dans de bonnes conditions. Cela consistait aussi à les sensibiliser sur les problèmes d'assainissement qui demeurent dans plusieurs quartiers et l'envahissement des trottoirs par les commerçants. Nous sommes allés plus loin pour mettre à leur disposition des budgets pour installer des brigades de salubrité dans chacune des communes pour surveiller le réseau. Parce que, souvent des personnes ou des sociétés sans autorisation, se permettent de faire des tranchées dans les voies qui ne sont toujours pas faites selon les règles de l'art. Ce qui fait qu'on perd une partie de notre voirie. Nous avons identifié les travaux à faire dans toutes les communes. Aucune ne sera oubliée.





?En Afrique du Sud, chaque 4 ans on procède à la réhabilitation des voies. Cela n'est-il pas possible ici pour éviter de fortes dégradations qui vont occasionner de grosses dépenses après ?

Nous sommes en train de finaliser un programme qui nous a été soumis par l'Ageroute. Il porte sur un montant qui varie entre 200 et 300 milliards Fcfa. Depuis plus de 15 ans, il n'y a pas eu un bon entretien du réseau. Nous sommes en train de perdre près de 80% de notre réseau. Pourtant, le pays a investi plus de 4.000 milliards Fcfa pour créer les infrastructures routières. Donc, ce programme va permettre de réhabiliter une bonne partie du réseau. Tous les axes réhabilités auront un poste à péage en vue de collecter des ressources pour l'entretien. Par ailleurs, ces ressources supplémentaires vont permettre de faire face aux voies non bitumées. Nous allons remettre en état les ponts-bascules de Bonoua, d'Anyama, de Toumodi, de Divo, de San Pedro et bientôt celui de Bouaké pour mettre fin à l'indiscipline des transporteurs. En principe, la norme internationale c'est 11 tonnes à l'essieu maximum. Mais sur nos routes, des camions chargent à plus de 26 tonnes à l'essieu. On doit mettre fin à cela pour préserver nos routes.





?Est-ce qu'il y a des entreprises locales spécialisées dans la réfection de la voirie ?

Dans le cadre de la réforme du secteur routier qui a démarré en 1998 appelée Programme d'ajustement du secteur transport en Côte d'Ivoire, il y avait un volet qui devrait permettre d'encadrer les Pme locales mais il a été négligé puisque la réforme n'est pas allée jusqu'au bout. Il faut permettre aux entreprises locales d'être formées et de pouvoir faire face aux différents travaux. Il faut trouver des entreprises capables de consommer les ressources dans le cadre du vaste programme avec l'Ageroute. Nous mobilisons beaucoup de ressources à l'extérieur, mais la capacité interne d'absorption de ces ressources est très infime parce que nous n'avons pas un encadrement adéquat. Ce programme va permettre de classifier les entreprises.


Interview réalisée par Cissé Cheick Ely

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