mercredi 13 août 2008 par RFI

Le 13 août 1998, Nino Ferrer, le père de Mirza et du Sud mettait fin à ses jours dans un champ de blé en plein soleil. Retour sur une carrière et une personnalité hors normes.

Les historiens de la langue populaire sont formels : des chiens s'appelaient déjà Mirza avant 1965. Et c'était même un nom assez répandu chez de petites bêtes un peu ridicules que de grosses dames portaient sur le bras comme un sac à main, dans les dessins de Jacques Faizant ou de Bellus. Mais ceux qui l'ignoraient l'ont tout d'un coup découvert avec le holdup d'un jeune trentenaire à la page (on ne disait pas "branché" ni "pointu", à l'époque) sur les hit parade, qui lançait la France entière à la recherche de Mirza. Et, avec ce petit chien agaçant, elle découvrait une soul sexy, dansante, joueuse, libre. Car, cette année 1965, tout le monde en France chante "Z'avez pas vu Mirza, oh la la la la la" ? concierges, collégiens, "jazzeux". On ne connait pas encore très bien James Brown mais on a déjà un Français qui fait danser avec autant d'ardeur, et il a quelque chose de la désinvolture calembouresque de Charles Trenet tout en glissant à l'oreille des adolescents les plus turbulents quelques petites piques contre l'ordre prétendument immuable de la société gaullienne.

La chanson est hors normes ? Le garçon l'est plus encore. Agostino Ferrari est né en 1934 à Gênes, de père italien et de mère française. Son enfance a déjà été un roman quand la famille s'installe en France. Lycées d'élite, études d'ethnologie et d'archéologie, guitare, piano, trompette, trombone, clarinette, peinture, poésie Il travaille au musée de l'Homme, fait un tour du monde sur un cargo, participe à des fouilles archéologiques en Océanie. Il devient musicien de jazz, travaille avec Nancy Holloway, enregistre des 45 tours qui ne se vendent qu'au Liban ou au Japon. Il a trente ans passés, il a tâté de tous les genres quand, en désespoir de cause, son directeur artistique chez Barclay lui dit : "fais ce que tu veux". Ce sera Mirza, tube inespéré et imprévisible. Il faut continuer dans la même veine, lui dit-on.

Entre Cornichons et Téléfon

Inspiré par Sam & Dave ou Sam Cooke pour la musique, se livrant à son goût des associations surréalistes pour les textes, il aligne des tubes qui séduisent toutes les générations et font de lui, en un an, une des personnalités les plus vues à la télévision : Les Cornichons ("Du corned-beef et des biscottes/Des macarons, des tire-bouchons/Des petits beurres et de la bière, des cornichons"), Oh! Hé! Hein! Bon! ("Où est mon bâton, mon bouton/Mon tonton, mon saucisson/Mon cousin Célestin/Qui était académicien") et surtout Le Téléfon semblent lui assurer une carrière de star majeure des années 60. Car plus encore qu'avec Mirza, la francophonie entière, des HLM aux beaux quartiers, a son refrain sur les lèvres : "Gaston y'a l'téléfon qui son/Et y'a jamais person qui y répond".

Les tubes succèdent aux tubes, Madame Robert, Mon copain Bismark, Mao et Moa Il a beau essayer d'être plus profond, d'évoquer le monde qui l'entoure avec plus de gravité (en 1969, Je veux être noir), d'oser des recherches musicales, sa maison de disques, les médias et le public lui demandent encore et toujours d'être un pourvoyeur en refrains entraînants et absurdes. Ou alors d'être un romantique : quand il sort le concept-album Métronomie, le 33 tours n'intéresse pas grand monde ; en revanche, le single La Maison près de la fontaine, qui en est extrait, se vend à plus de 500 000 exemplaires. Alors il sort un album encore plus exigeant, encore plus ardu, encore moins "Mirza-Téléfon" : Nino and Leggs, qui est un échec commercial absolu.

Son album Nino and Radiah, tout en anglais, est résolument négligé par la critique, les radios et le public. Mais il en traduit en français une chanson dont il aime vraiment la mélodie. Cela fait "Tant pis pour le Sud/C'était pourtant bien/On aurait pu vivre/Plus d'un million d'années/Et toujours en été". Le Sud sera le tube de l'été 1975, un succès peut-être plus écrasant encore que Mirza ou Le Téléfon. Nino Ferrer y gagne de quoi acheter une bastide dans le Quercy Blanc, à deux pas du village de Montcuq, y aménage un studio d'enregistrement et à l'aube des années 80, claque la porte du show business.

Un profond malentendu

Désormais, il vivra et travaillera comme bon lui semble : il s'occupe de ses chevaux, peint, enregistre de loin en loin en changeant de label à chaque fois, part en tournée avec Jacques Higelin, joue le rôle de Dieu dans une comédie musicale biblique pour enfants, L'Arche de Noé, devient soudain une star en Italie au début des années 90, est redécouvert en France par la génération Inrockuptibles, chante aux Francofolies de La Rochelle mais annule une grande tournée française et l'Olympia A chaque étape, il est de plus en plus partagé entre l'envie de présenter son travail et le sentiment d'un profond malentendu. Il se sent nettement plus à l'aise dans son rôle de patriarche bohème dans sa grande maison où il vit avec sa mère, sa famille et toujours quelque ami de passage. A chaque fois qu'il propose une nouvelle couleur, un nouvel univers, une nouvelle aventure, on lui demande Le Téléfon Il en devient rugueux, intransigeant ? le métier, qui aimait l'idée qu'il ne soit qu'un rigolo, le dit "aigri". Pourtant, son apport à la chanson française n'est pas seulement une série de tubes ponctuels : des lustres avant Alain Bashung et la maturité du rock français, il a porté à des sommets inédits la fusion du texte et de la matière musicale.

En 1998, sa mère meurt au début de l'été. Il a commencé à travailler sur Suite et fin, un nouvel album avec de vieux complices musiciens, et dont il parle comme de son dernier disque. Le 13 août, dans l'après-midi, il se tire une balle en plein c?ur, dans un champ de blé non loin de chez lui. Il aurait eu soixante-quatre ans deux jours plus tard. Trois ans plus tôt, comme une grimace à son ancienne gloire, il avait enregistré une chanson intitulée Homlet : "Etre ou ne pas être/Telle est toujours la question/Et il n'y a toujours jamais person qui y répond".

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