mercredi 13 août 2008 par Notre Voie

L'ex-ministre à tout faire d'Houphouet-Boigny, l'un des rares qui, à juste titre, peut se targuer d'être le seul compagnon du "Bélier" de Yamoussoukro, s'est essayé à l'écriture.
Disons-le franchement sans aucune autre forme de procès, il a écrit un livre monumental, colossal, costaud, pourquoi ne pas le dire, grandissime à tous points de vue.
Les adjectifs sont si étroits, si petits qu'on ne peut que se contenter de l'expectative qui doit être de mise dans ce cas là, et l'admiration.
Premier livre d'un compagnon
Le récit est simple, époustouflant de précision qu'il devient à certains moments pathétique et invite inéluctablement à l'émotion, à la tendresse, un brin de mélancolie et surtout au regret qu'un livre de ce genre ne fut pas publié plutôt, aux moments des grandes fractures que notre pays a connues.
Pour un coup d'essai, c'est sûrement un coup de maître. Je ne crois pas exagéré, si je disais plutôt c'est un coup de génie, tellement le langage est limpide, les phrases apaisantes sur des sujets aussi graves les uns que les autres.
Depuis la disparition de Félix Houphouet-Boigny, c'est la première fois que, parmi ceux qui l'ont côtoyé, approché, étaient dans son univers, un homme ose écrire sur, non pas hélas, Houphouet-Boigny lui-même, mais sur la longueur du temps passé en sa compagnie, sur la profondeur de leurs relations. D'où le titre quelque peu flatteur de "Disciple d'Houphouet" et, ici, même, l'absence d'article au mot disciple ajoute quelques interrogations que nous allons tenter de comprendre.
Pourquoi Aliali, n'écrit pas "le disciple d'Houphouet-Bopigny" ou encore "un disciple d'Houphouet-Boigny". C'est ça à mon sens toute la problématique que soulève ce livre.
La vie d'Houphouet-Boigny a été tellement tissée de mille et un mystères qu'on a cru certaines fois que ce n'était pas un homme comme vous et moi. Après tout, ce n'était qu'un homme, donc un mortel.

Le sens du mot disciple
Houphouet-Boigny est décédé officiellement le 7 décembre 1993. Voici donc quinze (15) ans sans qu'aucun écrit ne soit venu étayer quelque peu les "on dit" autour du personnage. certains allaient jusqu'à dire que si c'était Houphouet, ce qui est arrivé à notre pays ne serait pas survenu. nous autres savions qui était l'homme, pour avoir écrit sur lui, sur ses faits et gestes depuis son avènement, sa gouvernance et sur l'homme lui-même.

Une si longue question
Au colloque organisé du 18 au 25 octobre 1986 à Yamoussoukro sur le RDA (Rassemblement démocratique africain), à la sempiternelle question du docteur Djédjé Mady, le président du PDCI-RDA, qui voulait tant qu'on écrivait sur sa vie, faits et gestes, disait ceci :
"Mon cher Mady, bien que je sois un tout petit homme, une toute petite créature de Dieu, je ne vais pas m'élever à ce niveau, mais j'ai dit qu'il me fallait des disciples, comme hier il y eu des disciples pour la parole de Jésus, pour la parole de Mahomet, pour transcrire et les porter à la connaissance des hommes... J'ai préféré pour vous qui êtes mes disciples de toujours, vous connaissez ce que vous me demandez de porter à la connaissance des autres que ce soit vous qui demain l'écrivez".
Le ministre Camille Aliali, en se jetant à l'eau le premier, vient de répondre à cette espérance. Et c'est ici que se pose à ne point en douter, le problème, à propos justement, de ce qu'est être disciple de quelqu'un, en somme, le disciple d'un maître dont on a tout reçu, je veux parler, l'enseignement.
Littéralement, que signifie le mot disciple ? Le disciple est une personne qui suit la doctrine qu'il a reçue d'un maître. Elle suit son exemple dans tout ce qu'elle fait (morale, religion, philosophie, politique).
Ainsi notons, par exemple, que Aristote est le disciple de Platon. Alors que, nous dit-on, son maître Platon privilégiait les mathématiques et les idées, lui, il réhabilite la connaissance de la nature, suspendue au "premier moteur" qu'étudie la métaphysique. Il créa la logique et aborda dans une ?uvre encyclopédique tous les domaines du savoir. Etc... En quelque sorte, le disciple complète ou améliore même le travail du maître.
Comme dans une moindre mesure, Marx, qui était pourtant un discipline de Hegel à qui il emprunte la dialectique, alla plus loin dans la critique de son maître et affirma la nécessité d'un dépassement de l'analyse de Hegel.
Sur le plan de la spiritualité, les disciples de Jésus ont créé la chrétienneté qui leur survit jusqu'aujourd'hui.
Est-ce ce débat que le doyen Aliali a voulu fuir en ne mettant pas d'article à son "disciple d'Houphout-Boigny". Car s'il avait mis un des deux articles possibles, c'est-à-dire un ou le, en ce cas-là, on lui aurait réglé des comptes. Dans le cas de "un". Un disciple, cela voudrait dire parmi tant d'autres. Si c'est "le disciple", là aussi, il aurait mis, sans doute, un manteau lourd à porter tellement la dimension supposée paraissait lourde pour lui.
En précisant d'ailleurs dans son "avant-propos", à la page 11, ceci : "c'est de ce parcours à ces différents postes de responsabilité que je voudrais rendre compte". Il a volontairement limité la portée de son ?uvre.
Saint Jean, le disciple que Jésus aimait, n'a pas conté seulement les responsabilités qu'il a exercées auprès de celui-ci il a longuement écrit pour les générations futures. Je ne blasphème pas en faisant cette comparaison.
C'est en cela que le livre m'a laissé sur ma faim. Aucune leçon ne vient instruire le lecteur. Par exemple, le comportement de Ouattara à la mort d'Houphouet. Il aurait pu donner son opinion là-dessus. Dire, par exemple, que la Constitution étant claire en ce domaine de la succession, il n'a pas apprécié les faits et gestes du Premier ministre d'alors, qui avait voulu soumettre la question à des magistrats. Par ailleurs, sur "l'Ivoirité" de Monsieur Bédié et l'emprisonnement des membres du RDR, il aurait pu exprimer son point de vue. Il a préféré s'enfermer dans le mutisme akan qui veut que le chef a toujours raison. Lorsque Philippe Grégoire Yacé, paix à son âme, justement à propos de cette succession, a dit que "la Côte d'Ivoire brûlait", Fologo, pour ne pas le nommer, s'est dressé contre cette assertion. Il a dit que rien ne brûlait du tout. En cela, à mon sens, le sieur Fologo a fait montre de disciple d'Houphouet, qui, sur la fin de sa vie, avait épousé la paix comme une religion. Et d'ailleurs tous les actes posés par l'autre Laurent, vous voyez de qui je veux parler, vont dans ce sens.
Sans vouloir les opposer, les trois Fologo mérite mieux, à mon sens, le titre de disciple.
A part ces quelques griefs, Aliali a fait une ?uvre utile quand il nous apprend que, devant certains problèmes juridiques insolubles, Houphouet se taisait pour toujours, parce qu'incapable de les résoudre. Il faut toutefois se convaincre qu'en toute chose, la réalité est là, la dimension humaine a des limites.

Jacques Préjean

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