mercredi 13 août 2008 par Fraternité Matin

M. Koupo Gnoleba, directeur de l'Habitat et de la copropriété au ministère de la Construction, diagnostique, analyse et présente la nouvelle vision. La question du logement en Côte d'Ivoire est devenue une préoccupation majeure. Comment peut-on appréhender la politique nationale de l'habitat?
La politique de l'habitat est un domaine très vaste parce que le mot habitat regorge plusieurs facteurs dont le logement auquel l'on fait plus allusion lorsqu'on parle de l'habitat. La finalité même de l'urbanisme, c'est l'habitat. L'urbanisme permet de faire une projection sur la ville, sur l'évolution et la mise en ?uvre de la politique par le biais des constructions, c'est-à-dire la politique de l'habitat. En effet, c'est par la politique de l'habitat qu'on définit les zones de logements, de services publics, de tout ce qui est commerce et autres. Donc, elle est la base de l'urbanisation qui reflète la vision et l'attitude du pouvoir public. En Côte d'Ivoire, à l'indépendance, il fallait créer des sites habités modernes pour le mieux-être des populations. Cette politique mise en place a été soutenue par l'Etat. Il s'est impliqué lui-même aussi bien dans le financement que dans la production de terrains urbains et de logements. Et ce, à travers un certain nombre de structures qu'il a mises en place. Ce sont notamment la Sicogi et la Sogefehia qui produisaient des logements. Mais en amont de la production de ces logements, il fallait de l'espace, il fallait produire des terrains. Cette tâche a été confiée à des structures comme la Setu (Société d'exploitation des terrains urbains). C'est à travers cette politique que l'Etat a réussi à donner une belle allure à la ville d'Abidjan. Malheureusement, avec les pesanteurs de la crise économique et la dette extérieure, l'audit des structures susmentionnées a révélé que l'Etat dépensait beaucoup d'argent dans le domaine de l'habitat. Ce qui a amené les institutions internationales à demander la fin de cette politique qui a couvert la période 1960- 1985. Après quoi, une seconde politique va voir le désengagement de l'Etat à partir de 1986. Mais l'Etat me semble-t-il ne s'est pas totalement désengagé
Quand l'Etat s'est retiré, il a pris d'autres dispositions. C'est ainsi que la Sicogi (Société de construction et de gestion immobilière) est restée; mais elle a changé de manière de produire des logements. Car, elle agit désormais comme un promoteur immobilier privé parce qu'après tout, pour sa survie, il faut bien que cette société ait de l'argent, n'ayant plus la subvention entière de l'Etat. On assiste alors à la naissance d'une nouvelle politique qui a consisté à la mise en place d'autres mécanismes. Par exemple le Fonds de soutien de l'habitat (FSH), la Banque de l'habitat de Côte d'Ivoire, le Cdcmh pour permettre aux promoteurs privés de prendre la relève. Donc jusqu'à ce jour l'Etat ne produit pas directement de logements. Le secteur a été libéralisé.
Après le désengagement de l'Etat, qui contrôle désormais le secteur du logement dans le pays?
Vous posez une question de fond. En fait, le désengagement de l'Etat n'est pas sans inconvénients et a aussi des avantages. En effet, en termes d'avantages, il a ouvert la voie à l'accès à la propriété privée dont beaucoup d'Ivoiriens ont bénéficié. Il y a près de 28 000 logements qui ont été vendus dans le cadre de cette nouvelle politique. Mais l'inconvénient, c'est que l'Etat n'ayant pas la maîtrise du contrôle, il y a eu beaucoup d'abus. En plus, cette politique n'a pas toujours aidé les pauvres à devenir propriétaires de logement malgré les structures d'accompagnement créées par l'Etat après s'être désengagé. Pour rappel, il y a eu la politique d'accompagnement dans la production de logement social et de logement économique. Mais à quoi assiste-t-on?
Le promoteur privé investit son argent pour en tirer des bénéfices. Ainsi, on s'est rendu compte qu'à un moment donné, les promoteurs privés ne faisaient plus du social. Alors même que la politique du logement social est en vigueur partout dans le monde; en Côte d'Ivoire, la problématique de logement social se pose avec acuité. Dans le temps, il y a avait des maisons qui étaient louées à des coûts très bas grâce à la subvention étatique. En trouver maintenant est du domaine du rêve, parce que les privés sont plus attirés par les logements à de gros bénéfices. S'ils construisent des maisons sociales dont le coût varierait entre 3 et 4 millions de FCFA, quelle est la clientèle? Il y a donc une déviation. Par ailleurs, les promoteurs immobiliers qui n'ont pas toujours de gros moyens ne peuvent pas produire les mêmes types de logements comme, par exemple, ce que l'Etat a réalisés au quartier 220 logements d'Adjamé et qui donne une belle allure à la ville et qui sont moins consommateurs d'espace que les maisons individuelles qui en sont consommatrices. Ces opérations immobilières posent le problème d'équipements collectifs. Cela dit, le problème d'espaces se posant de plus en plus, les promoteurs vont souvent en périphérie pour avoir de grandes superficies d'un seul tenant parce qu'il n'y a plus de places au centre- ville. Agissant ainsi, ils devancent l'évolution normale de la ville et construisent souvent à partir de lotissements sous-équipés. Cette situation ne pénalise-t-elle pas finalement le consommateur ou le locataire?
L'Etat s'étant désengagé de la production de terrains urbains, la spéculation est désormais entre les mains des propriétaires terriens. Les occupations des terrains en périphérie désorganisent la ville qui va à perte de vue. On assiste alors à la non viabilisation des terrains. L'Etat n'ayant pas mis les moyens à la disposition de la structure technique qu'est le Ministère de la Construction, il se trouve limité dans le contrôle. Or, tant qu'il n'y a pas un contrôle rigoureux, toute politique et tout plan mis en place seront déviés. Parce que le promoteur véreux cherche son argent à sa guise, l'Etat étant souvent absent. A mon avis, c'est une politique qu'il faut revoir. Elle n'a pas d'avenir. Comment, M. le directeur?
Nous allons nous inspirer du passé et voir le présent, pour mettre en place, une nouvelle politique qui va amener l'Etat à mettre de l'ordre dans la gestion immobilière en Côte d'Ivoire. Justement, qu'est-ce que le Ministère de la Construction,de l'Urbanisme et de l'Habitat propose pour sortir de cette situation?
Des études ont été faites. Il y a même eu un séminaire en 2005 à partir duquel les spécialistes ont fait l'évaluation des deux politiques (engagement et désengagement de la puissance publique) et ont proposé de nouvelles solutions suivies de proposition de décrets qui ne sont pas encore signés. La mise en place d'une agence immobilière qui va coordonner tout ce qui est production de logements sur le territoire national pour revoir les différents comptes mis en place en vue d'aider les couches les plus pauvres. Cependant, l'on commet une erreur d'appréciation en ne pensant aujourd'hui qu'à la location vente. Dans les grands pays, le locatif accueille plus d'habitants que le logement individuel. Donc, on va certainement revenir à l'ancien système en mettant en place le mécanisme de HLM (habitat à loyer modéré). Cela va nous permettre de mettre en place une politique qui va amener l'Etat à maîtriser le coût du loyer. Car, si chacun doit avoir un logement à lui, la ville d'Abidjan risque de s'étendre jusqu'à l'infini. Je ne connais pas de pays au monde où chaque habitant de la ville est propriétaire de maison. Il y a toujours la partie locative qui permet aux jeunes cadres de transiter par un genre de HLM. Ils y économisent pour acheter leurs maisons plus tard. On n'est pas obligé d'avoir chacun un jardin. C'est impossible! Au regard de cette donne, nous sommes en train de revoir les choses pour la mise en place d'une politique de l'habitat digne de la Côte d'Ivoire. Celle-ci va non seulement satisfaire les populations mais en même temps contribuer à la mise en place d'une vraie politique de la ville qui mettra un terme au désordre qui s'installe dans tous les quartiers (modifications anarchiques des logements).
Désordre lié aux besoins croissants de logements
Effectivement, le besoin de logements est tel que les gens construisent n'importe comment. Et la demande étant très forte, l'Etat devient faible puisqu'il ne subventionne pas, donc ne peut plus trop réglementer, sinon les promoteurs privés vont se retirer du secteur parce qu'en terme d'investissement, ce secteur n'est pas trop rentable dans l'immédiat. Et pour cause, si quelqu'un construit, par exemple, une maison à 10 millions de FCFA, et la loue à 70.000 FCFA par mois pour rester dans une certaine logique, il lui faudra 10 ans pour encaisser 8.400.000 FCFA. En d'autres termes, il n'a pas encore amorti son investissement dix ans après. Il multiplie donc ce loyer par 2 pour accélérer son retour sur l'investissement. Et comme le besoin est immense, des gens vont louer cette maison. Pour pouvoir maîtriser tout ça, l'Etat doit identifier tous ces producteurs de maisons locatives à travers une enquête urbaine afin de les aider comme cela se fait dans les grands pays. Ainsi, l'Etat pourra avoir une influence sur les coûts du loyer. Aujourd'hui, des gens ont 4, 5 ou 6 immeubles en location à Abidjan qui sont en location mais l'Etat ne les connaît pas. Si l'on identifie ces promoteurs privés individuels qui ont déjà un poids financier, l'Etat pourra leur consentir une aide en mettant par exemple à leur disposition des terrains déjà viabilisés, ces derniers pourront à leur tour aider à la promotion de logements locatifs à des coûts accessibles. En ce moment- là, l'Etat peut dire je réglemente le secteur. L'Etat peut-il à nouveau investir dans la construction au-delà de la subvention à laquelle vous faites allusion?
Nous avons une structure étatique, la Sicogi qui existe toujours. Par elle, on peut essayer de revenir à la politique de logement social. L'Etat peut subventionner à nouveau cette structure pour revenir à cette politique qui nous a donné une belle architecture dans le temps. Il faut revenir à l'ancien système. Nous avons des espaces. On dit souvent qu'il faut faire du neuf sur de l'ancien. Treichville présente une belle assiette dans ce domaine. D'abord parce que cette commune est au centre de la ville. L'existence de son bâti vieillissant peut faire l'objet d'une expropriation et y édifier des modèles de logements à étages et à loyers modérés. C'est une politique volontariste qu'on peut réussir. On constate des blocages dans la conduite de la plupart des projets immobiliers. Le ministère a-t-il identifié ces promoteurs immobiliers et quelles solutions propose-t-il pour résoudre ce type de problème?
Il faut reconnaître que les structures techniques de l'Etat n'ayant pas les moyens d'être rigoureux sur le terrain, il y a des promoteurs véreux qui ne sont même pas connus dans nos fichiers et les populations aussi manquant d'information, se lancent dans des opérations immobilières où elles se font en général gruger. C'est pour cela que nous faisons de la sensibilisation. Les promoteurs immobiliers doivent se faire connaître d'ici à décembre 2008. Nous avons déjà lancé une campagne dans ce sens avec l'appui des médias. Les promoteurs reconnus qui ont déjà fait leurs preuves pourront continuer de travailler. Nous allons extirper de leur rang les mauvais grains qui font trop souvent de publicités mensongères. C'est l'occasion d'inviter la population à s'adresser à nos services pour être mieux instruite avant de s'engager dans des opérations immobilières. A ce niveau, la Direction de l'Habitat ne peut-elle pas interdire le passage des spots
à la télévision?
Justement, c'est déjà fait et nous en avons discuté ici au cours d'une réunion. Cela a permis d'arrêter les activités de quelques promoteurs immobiliers qui n'étaient pas en règle. Il y a même une opération dont quelques maisons sont construites dans l'emprise d'une voie projetée pour l'avenir, à Cocody. Je veux parler de la voie Y4. Ce promoteur n'a aucun document, ne serait-ce qu'une lettre d'attribution. Il travaille sur un terrain qui ne lui appartient pas légalement. Et, pendant ce temps, il construit. Nous avons interpellé les populations en leur disant de prendre soin de s'informer avant de se lancer dans les projets immobiliers pour ne pas jeter leur argent par la fenêtre. Il y a des conditions urbanistiques qu'il faut remplir: la superficie et la viabilisation du terrain. On ne fait pas de haut standing sur de petits terrains avec des rues qui ne sont pas normalisées pour mettre ensuite les acquéreurs devant le fait accompli. Aujourd'hui, des Ivoiriens sont grugés. D'aucuns affirment que seulement 8% d'Ivoiriens sont propriétaires de biens immobiliers en zones urbaines contre 92% de non Ivoiriens. Confirmez-vous ces chiffres?
Nous avons une enquête urbaine à faire qui pourra donner des résultats intéressants. On pourra identifier les propriétaires, le type de logement, le type d'activité exercée dans chaque zone etc. Ceux qui avancent ces chiffres ont raison de le dire, parce que la Côte d'Ivoire connaît une longue crise. Les nationaux n'ayant pas de moyens, il y a une pression démographique étrangère. Les Libériens, Nigérians et les voisins immédiats sont venus avec des capitaux et il y a effectivement une pression sur Abidjan. Cela est dû au fait que c'est une plaque tournante de la sous-région. Mais de là à donner les chiffres, nous n'avons pas les statistiques. Cependant, un étranger me disait qu'il avait 53 lots à la huitième tranche aux Deux- Plateaux. Tout cela est la preuve de manque de rigueur dans les attributions des lots. Dans certains pays, on met les conditions d'attribution: d'abord les nationaux, ensuite les étrangers opérateurs économiques. En principe, si l'on octroie 3 lots par exemple à un individu, il faut qu'il les mette en valeur avant d'accéder à d'autres terrains. Cette politique peut permettre à l'Etat de maîtriser l'évolution de la ville. Or dans notre pays, si quelqu'un a plusieurs lots, il fait de la spéculation. Il attend à ce que la zone devienne très convoitée pour se livrer à de la spéculation. En attendant, ces terrains non construits enlaidissent la ville qui évolue en tâche d'huile. Alors, que fait le ministère pour mettre fin à cette situation anormale?
Le ministère identifie les lots après un certain nombre d'années. Il fait des retraits. Ces lots retournent dans le domaine de l'Etat et sont ensuite réattribués. Il faut cependant reconnaître que ce n'est pas une politique sans inconvénient, sans accroc. Dans le passé, pour avoir un titre foncier, il fallait avoir mis son terrain en valeur. Et l'on fait un constat de mise en valeur après quoi, on fixe le droit à payer pour avoir le titre foncier. Mais aujourd'hui, pour des problèmes budgétaires, on a mis un nouveau système en place appelé certificat de propriété qui a remplacé le titre foncier. Cela pose des difficultés à l'évolution urbaine parce qu'un lot non mis en valeur avec un certificat de propriété est inattaquable. Tout à l'heure, vous parliez de moyens, de quels moyens s'agit-il?
De l'argent. Quand l'Etat aura de l'argent pour mettre en place la nouvelle politique dont je parlais tantôt, un seul individu ne pourra plus posséder plusieurs lots sans les avoir mis en valeur. On va amener l'Etat à revenir à l'ancien système qui consiste à mettre le terrain en valeur avant l'obtention d'un titre foncier. Au fait, quel est le besoin en matière de logements tant au niveau national que dans la zone d'Abidjan?
Les gens font des projections en fonction de l'évolution de la population. Il faut faire une enquête urbaine. Ce qu'on peut dire, c'est qu'il y a un dysfonctionnement, une catastrophe même urbaine depuis la guerre. Il y a véritablement une pression démographique qui n'est pas encore évaluée. On n'a pas le vrai chiffre de la population d'Abidjan. Mais il y a une chose qu'il faut reconnaître, la demande est forte. Si l'on veut la satisfaire, il faut une enquête urbaine. En France, par exemple, on donne l'état réel du patrimoine bâti sur la ville à partir d'une vraie enquête. J'ai l'impression que nous, nous voulons faire la politique de l'habitat sur des données qui ne sont pas fondées. Ce n'est pas scientifique. Retenons que les besoins sont énormes. Quand est-ce qu'une telle enquête est envisagée?
Cela demande de gros moyens. Nous avons élaboré le projet et allons le soumettre à la conférence budgétaire du ministère de l'Economie et des Finances. Si le projet est retenu, on va faire l'enquête en plusieurs phases à partir de 2009. Ce n'est plus possible cette année.
Où est-ce que nous en sommes avec le projet habitat rural?
Il fonctionne et c'est le FSH qui le finance. Les fonds sont logés à la BNI. Effectivement, il y a eu beaucoup de logements qui ont été construits notamment dans le Sud-est. Tout le territoire ivoirien en était pourvu plus ou moins mais la palme d'or revient à la région du Sud-est. L'Etat a produit un certain nombre de logements. Mais ce qu'on constate est que ces logements qui sont construits ne sont pas destinés aux villageois parce que le système mis en place ne permet pas à ceux-ci de bénéficier de cette politique dans la mesure où il faut avoir un compte bancaire, il faut donc avoir de l'argent qui arrive périodiquement (chaque mois) pour faire le prélèvement. Le coût varie de 4 500 000 à 7 000 000 FCFA pour un taux d'intérêt pratiquement nul. C'est pour cela que nous sommes en train de revoir si l'on ne peut pas réaliser ces projets à Abidjan parce qu'on se rend compte qu'il y a des promoteurs immobiliers à Abidjan qui produisent pratiquement le même type de logement construit en milieu rural. Des 4 pièces, de petites villas simples qui sont vendues à 15 millions de FCFA. Or, en milieu rural, c'est environ à 6 millions de FCFA qu'on les vend. Ce sont des résidences secondaires. En termes chiffrés, de 1995 à 2005, l'Etat a permis de construire plus de 3000 logements avec un coût de plus de 13 milliards de FCFA. Les conflits fonciers à Abidjan entre propriétaires terriens et promoteurs immobiliers ou encore entre acquéreurs de terrains sont monnaie courante. Comment gérez-vous ces conflits?
Pour réussir la politique de l'habitat, il faut maîtriser le foncier, c'est-à-dire que l'Etat, lui-même, purge les droits coutumiers, récupère les terres, les met à la disposition des communes qui peuvent les immobiliser et mener une réelle politique de l'habitat. Or, depuis que l'Etat s'est retiré, tout est dans les mains des propriétaires terriens. Et comme la demande est très forte, ils s'engagent dans la spéculation, notamment dans les zones périphériques que sont les frontières Bingerville-Cocody, Abobo-Anyama, Yopougon, Port-Bouët, où il y a encore de vastes terrains. Les conflits qui y naissent sont dus au fait que le vendeur n'est pas un professionnel. C'est un vendeur ponctuel. Il y a aussi des problèmes d'honnêteté, des problèmes de familles.
Et concernant le cas de Treichville où la démolition engagée par votre ministère a été sujette à polémique?
Ce qui s'est passé à Treichville n'est pas un conflit foncier. C'est la mauvaise interprétation de l'espace bâti. Parce qu'une ville n'est pas seulement faite de bâtisses ou de constructions. La ville, c'est l'ensemble d'éléments qui se superposent qui donnent une certaine harmonie. Quand on construit une maison, elle s'inscrit dans un espace qui a besoin d'éléments d'aération, donc d'espaces vides, d'éléments d'accès que sont les rues. Il faut aussi des noeuds qui sont des carrefours, et qui donnent un cachet particulier à la ville. Il y a également le visible et l'invisible. L'invisible est au sous-sol, tenu par l'assainissement. Par conséquent, le profane qui ne sait pas lire la ville ne peut pas savoir où se trouvent les canalisations de son quartier. A cet endroit précis, il y a un point de rencontre des réseaux d'assainissement (égouts, tuyaux).
On ne peut donc pas mettre une charge permanente de plusieurs tonnes à cet endroit de peur de toucher le sous-sol et endommager la partie invisible de la ville. Sur le plan esthétique, Treichville est une commune très dense par son bâti qui a besoin d'espaces d'aération et de couloirs d'aération. Quand le colon a tracé les rues, elles étaient belles avec des arbres. Aujourd'hui tout est parti. Ce coin est un jardin public, qui a même été à un moment donné un marché temporaire. Une ville a une histoire, on ne la détruit pas parce qu'on a des besoins immédiats. Or, aujourd'hui on détruit la ville au détriment des besoins économiques. Je dis qu'il faut que l'Etat soit fort. Nous sommes dans un système qui risque de nous détruire. L'Etat doit mettre une politique de développement rigoureuse en place et suivre son application sur le terrain. Aujourd'hui, chaque maire se lève et construit des boutiques où il ne faut pas construire. Ce n'est pas normal. Il faut une révolution urbaine pour que la ville d'Abidjan respire. Est-ce le même constat au niveau des monuments?
Il y a un réel dysfonctionnement et un laisser aller dans la gestion des espaces publics. Aujourd'hui, nous nous sommes entendus avec le ministère de la Ville pour mettre fin à cette pratique qui n'honore pas notre pays. Il est temps que l'Etat se mène une révolution urbaine. Il nous faut un Haussman ici en Côte d'Ivoire, qui va permettre à Abidjan de respirer, de vivre. Il faut de la rigueur, rien que de la rigueur. Mais j'ai espoir parce que le discours du Président de la République à ARCHIBAT en octobre 2007 à l'endroit des bâtisseurs et des ministères techniques, me fait dire que le sommet de la pyramide est conscient de tout ce désordre. Concernant les monuments, je dirais que tous ceux qui initient ces projets ne font pas de la conception des espaces publics mais plutôt essaient d'apporter une animation qu'on appelle dans le jargon des aménageurs urbains, la réparation urbaine parce que tous ces monuments n'avaient pas été prévus à ces endroits. C'est vraiment dommage, les gestionnaires de nos cités ont une mauvaise appréciation de la ville. La ville est l'objet le plus complexe que l'Homme a inventé dont la plupart des utilisateurs ne connaissent pas le mode d'emploi. La ville est codifiée, le premier code connu, c'est le Code de la route. Il y a d'autres codes qui doivent être élaborés par notre ministère, et qui doivent être expliqués, enseignés à tous les décideurs et les usagers ordinaires. Si non, la ville sera un chao total. J'en profite pour dire que les grandes villes sont codifiées parce qu'elles sont très complexes dans leur fonctionnement. Il y a le code de l'urbanisme, le code de l'habitat et de l'habitation, le code du loyer, le code de l'assainissement, etc. Alors faisons attention!



interview realisée par Gooré Bi Hué et Alfred Kouamé

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