vendredi 8 août 2008 par Fraternité Matin

Ivoiriennes,
Ivoiriens,
Mes chers compatriotes,
Chers amis de la Côte d'Ivoire.
Demain (Ndlr, hier), 07 août 2008, nous allons célébrer le 48ème anniversaire de l'indépendance de notre pays, la Côte d'Ivoire. Comme le veut la tradition républicaine, nos Forces de défense et de sécurité vont défiler sur l'esplanade du Palais de la Présidence de la République à Abidjan, devant le drapeau, symbole de notre souveraineté, devant le Président de la République, le corps diplomatique accrédité en Côte d'Ivoire et tous nos invités. Au même moment, des cérémonies de prise d'armes et des défilés de troupes se tiendront dans les chefs-lieux de chacun de nos départements; devant le préfet et les autorités représentant l'Etat, sur l'ensemble du territoire national. Nos compatriotes, à travers le monde, marqueront ce moment sous l'autorité de nos représentations diplomatiques. Le sens de cette commémoration doit être connu de tous. Il s'agit, selon un rite républicain, de réaffirmer et de célébrer, à l'occasion de la fête nationale, l'unité de la nation incarnée par l'autorité effective de l'Etat sur l'ensemble du territoire, les institutions de la République et le lien sacré entre le peuple, son armée et le Chef de l'Etat. Je suis heureux et fier de voir que, par-delà les vicissitudes de l'histoire, le peuple de Côte d'Ivoire demeure fidèle à ces principes. Chaque année, depuis 1960, y compris dans les périodes de crise, quand le pays était divisé, nous avons tenu à marquer ce moment précieux dans notre histoire. Ce soir, un an après la cérémonie de la Flamme de la Paix, dont nous avons fêté le premier anniversaire mercredi dernier à Bouaké, un an après la signature de l'Accord politique de Ouagadougou, et à quatre mois de la date fixée pour l'élection présidentielle, toutes mes pensées vont à la Côte d'Ivoire, à notre chère patrie. A ce pays éprouvé par la guerre, ce pays dont on disait qu'il allait sombrer dans la crise, mais qui reste debout et se raffermit de jour en jour par la volonté de paix et d'union de ses fils et de ses filles. Mais aussi par la solidité de ses institutions. C'est pourquoi cette année, la fête nationale sera dédiée à ce qui fait le lien entre nous et assure la continuité de notre communauté de destin: je veux parler de l'Etat républicain et de la démocratie.
Mes chers compatriotes,
La Côte d'Ivoire est une République. C'est le choix opéré à l'indépendance. De tous les régimes, nous avons choisi de vivre en République c'est-à-dire sous un régime où le pouvoir n'appartient ni à une famille, ni à une région encore moins à un individu. Il est l'expression de la souveraineté d'un peuple et c'est au nom de ce peuple que le pouvoir est exercé. C'est pourquoi la clé de voûte de l'Etat en République, c'est la loi et l'égalité de tous devant la loi. D'où l'importance de la Constitution, la loi fondamentale. En prenant la défense de notre Constitution, comme axe principal de la résistance du peuple de Côte d'Ivoire durant la crise, il s'agissait pour moi, pour vous tous de sauver d'abord la République. Et nous avons gagné ensemble cette bataille. C'est à partir de là qu'il a été possible de construire une solution à la crise, sur la base de ce que nous sommes, et non selon les vues des autres. C'est également la Constitution qui donne son sens à l'Etat et définit les règles de son fonctionnement. Lorsqu'on parle de l'Etat, on désigne, bien sûr, l'autorité qui incarne la souveraineté sur le territoire national et vis-à-vis de l'extérieur. Mais je voudrais insister ce soir sur les fonctions et obligations de l'Etat vis-à-vis du pays et de ses habitants. Il s'agit, en premier lieu, des fonctions régaliennes de l'Etat qui sont connues de tous: la défense du territoire, l'exercice de la justice, et le maintien de l'ordre public. La Côte d'Ivoire doit pouvoir assurer la défense de son territoire et, pour cela, nous avons besoin d'une armée pleinement réunifiée et républicaine. Mais la sécurité de notre pays ne dépend pas uniquement de la force de son armée. Elle dépend aussi et surtout de notre volonté de rechercher sans relâche la paix avec nos voisins; la paix en Afrique de l'Ouest, la paix sur le continent. Dans un monde de plus en plus interdépendant, la coopération en matière de sécurité entre les pays de même niveau et avec les grandes puissances, pour faire face aux nouveaux types de conflits et de menaces collectives est aussi un impératif de paix. La Côte d'Ivoire entend jouer pleinement son rôle dans cette coopération. Concernant l'exercice de la justice, je rappelle que la Côte d'Ivoire est un Etat de droit. Nous devons veiller à ce que les droits de nos concitoyens, mais aussi les droits de tous ceux qui nous font l'amitié de vivre et de travailler dans notre pays soient sauvegardés et défendus équitablement. C'est à cette condition que nous mériterons notre propre estime et le respect des autres. Quant à l'autre fonction de l'Etat, relative à la sûreté publique, il faut savoir que l'ordre ne dépend pas uniquement du recours aux forces de l'ordre. Il résulte de la volonté de vivre en communauté. Il repose sur le respect, en toutes choses, des limites au-delà desquelles l'on risque de compromettre cette vie en communauté. Je voudrais saluer à cet égard, l'esprit de civisme des mouvements et associations de la société civile, des syndicats et de l'ensemble des Ivoiriens, dans l'expression de leurs revendications les plus légitimes, comme ils ont toujours su le faire en cette période de crise. A ces fonctions régaliennes, il faut ajouter tout ce que l'Etat est en droit de faire pour la promotion de la croissance économique, pour la protection sociale des citoyens, pour le développement équilibré du pays et pour la correction des injustices sociales. C'est pour ces fonctions que nous menons la politique de décentralisation afin qu'il n'y ait pas un seul endroit en Côte d'Ivoire où l'action de l'Etat n'arrive et ne concoure effectivement à changer la vie des citoyens. A travers la décentralisation, nous visons trois objectifs. Un objectif démocratique tout d'abord. Dans les démocraties modernes, on demande aux peuples de choisir des dirigeants et des politiques portées par eux. Cela ne doit pas se limiter au plan national. Cela doit s'étendre également au plan local. La gouvernance est le deuxième objectif. Nous devons nous affranchir de la gestion de type jacobin, héritée de la colonisation, pour adopter un mode de gestion impliquant la participation des populations à la définition des priorités qui les engagent et faisant obligation aux élus de rendre compte de leur gestion. Le troisième objectif enfin est de faire de la décentralisation la base même de notre politique de développement. La Côte d'Ivoire reste un pays sous-équipé. L'éducation et la santé des populations ont besoin de notre engagement à tous les niveaux. Nous devons créer partout les conditions et un environnement propices à l'investissement privé dans les différents secteurs de production. Cela implique une répartition des rôles et des compétences entre l'Etat central et les collectivités territoriales.
Mes chers compatriotes, Nous avons tous constaté, durant la guerre, à quel point la contestation de l'autorité de l'Etat dans certaines régions a lourdement pesé sur la vie des populations et les activités économiques. Non seulement l'ordre, la justice, la défense du territoire étaient entravés dans ces régions mais aussi l'activité économique, la protection sociale des citoyens, étaient gravement compromises. Cette situation est intervenue dans un contexte international marqué par de graves crises qui ont contribué à fragiliser davantage nos Etats faibles en développement. En Côte d'Ivoire, nous avons été directement touchés par la crise alimentaire et la crise de l'énergie.
J'ai donné des instructions au gouvernement, et des mesures ont été prises pour amortir le choc de ces crises, en évitant une flambée des prix des denrées de première nécessité. Mais cela n'a pas suffi. D'où la hausse récente des prix du carburant à la pompe qui a suscité des remous dans le pays. J'ai compris la colère des Ivoiriens. Mais c'est ensemble que nous devons faire face. Aujourd'hui, l'autorité de l'Etat s'établit progressivement sur tout le territoire national. Les préfets et sous-préfets nommés dans les circonscriptions du Centre, du Nord et de l'Ouest ont pris fonction. L'administration financière se déploie avec pour mission de rétablir l'unicité des caisses de l'Etat et assurer ainsi le volet économique et financier de la réunification. Nous devons poursuivre et renforcer le redéploiement de l'administration. Il n'y a pas deux Etats. Il y a un seul Etat, dirigé par le gouvernement de la République. La reprise en main totale par l'Etat de Côte d'Ivoire de ses fonctions régaliennes sur l'ensemble du territoire national est l'objectif final de nos efforts pour mettre fin à la crise. Mais, comme vous le savez tous, nous avons décidé de mettre fin à la crise par les élections. Ce choix n'est pas imposé par les circonstances. Il est inspiré de notre culture républicaine et démocratique qui est inscrite dans notre Constitution. Aujourd'hui plus que jamais, dans cette période de sortie de crise, je répète que si la démocratie électorale n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer pour la Côte d'Ivoire. Il existe plusieurs définitions de la démocratie, connue pour être le gouvernement du peuple par le peuple. Ce qu'il faut retenir de cette idée, c'est le principe que le choix des dirigeants, de ceux qui auront le pouvoir de décider et d'agir pour le compte de l'Etat, se fait par la voie des élections. La Côte d'Ivoire est en effet une mosaïque de cultures dont la diversité fait la richesse de notre pays. Chacune d'elles recèle des trésors en matière de gestion des hommes, de règlement des conflits, ainsi que dans les questions concernant la continuité du pouvoir politique, l'accession au pouvoir, l'exercice et la perte du pouvoir, la succession et l'héritage, etc. Elles ont leur place dans notre communauté. Elles ont droit au soutien et à la protection de la République. La question que la démocratie vient régler est précisément celle d'un mode de désignation des dirigeants accepté par tous, par-delà les coutumes et les traditions. Et ce mode de désignation, c'est la démocratie électorale. Celle-ci n'est pas le mode de désignation d'une région ni d'une culture donnée, mais la voie tracée par la loi de la République. En optant pour la République, en 1960, au moment de la proclamation de l'indépendance, en adoptant la voie des élections pour désigner nos dirigeants, nous avons défini par-là même la démocratie comme la voie de la paix en Côte d'Ivoire. Et, dans notre histoire, chaque fois que nous avons dérogé aux règles démocratiques, chaque fois que certains ont voulu contourner la voie électorale pour accéder au pouvoir, la Côte d'Ivoire s'est trouvée plongée dans une crise plus ou moins longue, plus ou moins aiguë. Ce pays a besoin de la paix pour exister. Il a besoin de la paix pour se développer. La démocratie est pour ce pays la voie royale de la paix. Embrassons sans réserve la démocratie. Allons aux élections. Allons à la paix.
Nous devons consolider chaque jour la réconciliation nationale et la réunification du pays. Nous devons réaliser l'union à l'intérieur. Mais nous devons également renforcer chaque jour les liens d'amitié, de fraternité et de coopération entre la Côte d'Ivoire et les pays voisins et, au-delà, avec tous les pays de l'Afrique de l'Ouest, les pays du continent et tous nos amis à travers le monde.
C'est le sens de la visite officielle que je viens d'effectuer au Burkina Faso, un pays avec lequel la Côte d'Ivoire entretient des relations solides et partage une communauté de destin. A l'occasion de notre fête nationale, je voudrais encore une fois remercier les autorités et le peuple de ce pays frère pour leur invitation et les soins particuliers dont ils ont entouré la délégation ivoirienne. J'invite tous les Ivoiriens, toutes les Ivoiriennes, tous les habitants de ce pays et tous les amis de la Côte d'Ivoire à travers le monde à redoubler d'effort, à faire les derniers efforts pour nous sortir définitivement de la crise. Regardons notre pays. Ayons toujours présent à l'esprit ce qu'il représente pour nous et pour la sous-région ouest-africaine. J'ai confiance en l'avenir de ce pays. J'ai confiance dans la capacité des Ivoiriens à mettre l'intérêt de la Côte d'Ivoire au-dessus de toutes les considérations pour construire la paix.
Que Dieu bénisse la Côte d'Ivoire!
Fait à Abidjan, le 6 août 08
Laurent Gbagbo
Président de la République

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