mercredi 6 août 2008 par RFI

En moins d'un semestre, le chanteur burkinabè Victor Démé a réussi la performance de gagner sa place sur le devant de la scène internationale des musiques du monde. Ce quadragénaire, qui s'était fait un nom auprès de ses compatriotes avant de tomber dans l'oubli, entend bien profiter des festivals européens où il est programmé pour accroitre le capital sympathie suscité en début d'année par son premier album.

A peine assis, le voilà qui sort sa guitare de son étui. Les gestes sont délicats. "C'est un peu ma femme. On ne se quitte pas. On dort sur le même lit, on se lève et on prend le petit déjeuner ensemble. Quand je bois mon café, je commence à la caresser", confie Victor Démé. A 47 ans, c'est la première fois que ce musicien burkinabè est propriétaire de son instrument, offert récemment par ses producteurs-managers.

Jusqu'à présent, quand une mélodie lui venait à l'esprit, il n'avait d'autre choix que de parcourir à pied autant de kilomètres que nécessaire pour espérer trouver un ami à qui il pourrait emprunter une guitare, avec le risque que l'idée originale s'effiloche sur le chemin. Ce temps-là semble désormais révolu. Depuis quelques mois, la carrière de cet artiste à la vie duraille a pris un tournant décisif.

Une belle rencontre




Son premier album éponyme, paru en mars, est pour lui un vrai cadeau du ciel. Il avait fini par se persuader qu'il était vain d'espérer une telle opportunité, endurci par les déceptions des promesses jamais tenues. Lorsque Camille Louvel, Français installé au Burkina, l'entend jouer et lui propose d'enregistrer d'abord quatre titres gratuitement, il accepte de bon c?ur mais reconnaît avoir eu bien du mal à croire à cet accès de philanthropie.

Une aventure sans lendemain, a-t-il imaginé. Quelque temps plus tard, alors qu'il habite chez sa tante, il reçoit à sa grande surprise la visite du jeune homme venu lui dire : "Mon gars, on a démarré le travail, il faut l'achever." La persévérance de Camille amène le musicien à réaliser que ce partenaire-là est plus sérieux que ceux qu'il avait croisés.

En 2007, le disque prend forme dans les locaux de Ouaga Jungle, un "petit studio de fond de cour" où les vitres des cabines sont des pare-brises de camion recyclés. Autour de la voix et de la guitare, quelques invités ajoutent ici des percussions, là une ligne de basse. Sur certains morceaux, on se surprend à repenser à l'album Moffou de Salif Keita. Un style mandingue mi rural mi urbain. "Il y a des chansons composées depuis fort longtemps et d'autres tout dernièrement", résume Victor.

Un bon début



Dans la famille, la musique était plutôt une affaire de femmes : la grand-mère puis la mère chantaient lors des baptêmes et mariages. Durant son enfance, le garçon se nourrit de tout ce qu'il entend et se transforme en jukebox. Contre 10 ou 25 francs CFA, il reprend a cappella les succès du moment qu'on lui demande, de la variété française à la rumba zaïroise. A Abidjan, où il est arrivé à l'adolescence, il partage son temps entre l'atelier de couture de son père et le bouillonnant milieu musical de la capitale ivoirienne.

Abdoulaye Diabaté le prend comme choriste dans son orchestre du Super Mandé, une référence. Dans les années 80, il participe à la célèbre émission Podium de Roger Fulgence Kassy avec le groupe de son quartier. Pendant ses congés qu'il passe au Burkina, Victor rejoint les rangs d'Echo Del Africa, formation emblématique de Bobo Dioulasso. A son retour définitif dans son pays natal, il trouve une place à Ouagadougou au sein des Suprêmes Kombemba, très en vue à l'époque dans la capitale. En 1989, il remporte même le concours organisé par le Centre culturel français, puis gagne à deux reprises le prix de la Semaine nationale de la culture.



Il a de l'expérience et un début de reconnaissance. Pour se lancer enfin sous son nom, c'est une bonne base. Encore faut-il avoir les moyens ou les relations pour produire un album. Mais aucun projet ne se concrétise. L'artiste disparaît petit à petit de la scène et, découragé, finit par céder temporairement aux pressions de sa famille paternelle. "Un chanteur ne verra pas le royaume de Dieu", lui répète-t-on. "Ça ma faisait peur. A la longue, j'ai compris que ce n'était pas vrai. A la mosquée, on chante. A l'église aussi. En fait, Dieu aime la musique. Il faut le prier en chantant, il adore ça", explique Victor. Sa conversion tardive à la religion catholique le libère et lui donne du courage. Plus ses proches, musulmans, le rejettent, plus il s'entête : "J'étais obligé de reprendre la musique. Je ne pouvais pas l'abandonner. Vraiment pas."

Les épreuves traversées au cours de cette période ont modifié son écriture. "Avant, je chantais mais je n'avais rien à dire", assure-t-il. Son ambition n'est pas d'enfiler le costume de porte-parole. Il souhaite juste prendre part au débat, donner son point de vue sur les problèmes de société auxquels fait face son continent. Et pour bien se faire comprendre du public européen qui lui a réservé un accueil chaleureux, il pense déjà à faire traduire les textes en dioula de son prochain album, "si Dieu le veut".

Bertrand Lavaine

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