mercredi 6 août 2008 par Fraternité Matin

L'ancien ministre d'état, Camille Alliali, collaborateur, conseiller, voire confident de Félix Houphouet-Boigny, vient de sortir un livre sur l'homme. Il est heureux de lire un disciple, non de la lignée de ceux qui en font un fonds de commerce intéressé, prendre sa plume, débarrassé des contraintes de la vie politique trépidante et si prenante pour dire sa part de vérité sur un homme, Félix Houphouet-Boigny, dont l'histoire personnelle se confond avec celle de son pays qu'il a façonné de mains de sage. C'est à cette entreprise de salubrité mentale, de devoir de mémoire aussi et surtout, s'étant extrait de nos quotidiens si mornes, à l'heure des Accords de paix, que nous invite un auteur et non des moindres, Camille Alliali. Inconnu certes au Panthéon des écrivains, ce ministre d'Etat, dans un ouvrage qui a l'avantage d'avouer son objet, son but, défend, à travers son itinéraire personnel, la pensée de son Maître, bâtisseur de la Côte d'Ivoire moderne, afin qu'on s'en serve comme d'un commandement à méditer. Le titre : Camille Alliali, Disciple d'Houphouet-boigny. A l'image des apôtres, il nous entraîne sur les chemins de sa vie, mais insensé qui croit qu'il ne parle que de lui, il nous parle de Félix Houphouet-Boigny à l'ombre de qui il a crû dru comme tant d'autres, des millions de silencieux. Comme une sorte de peur de témoigner Dédié à son épouse du doux prénom de Françoise, épouse attentionnée et fidèle, aujourd'hui disparue, ce beau livre se veut un témoignage marqué du coin de la sincérité et de la fidélité à un sage dont la disparition marque d'une certaine manière l'éclipse d'une ombre tutélaire qui fut pour les hommes de (sa) génération protectrice et rassurante, source intarissable (Abdou Diouf, ex-président du Sénégal). Et l'auteur de dire : Je suis de ces hommes J'ai grandi à l'ombre de Félix Houphouet-Boigny et vécu avec lui quarante années d'une vie publique au service de la construction de la Côte d'Ivoire moderne. 36 ans exactement, puisque c'est un jour de 1957 que le député de Côte d'Ivoire à l'Assemblée nationale française, Félix Houphouet-Boigny, invite le tout jeune avocat à abandonner sa carrière pour entrer en politique et être le crayon de l'ensemble de (ses) concitoyens. Il sera élu à l'Assemblée territoriale, pour représenter une circonscription martyre : la circonscription de Dimbokro dont faisait partie la subdivision de Toumodi : (là) où se sont déroulés (les) épisodes parmi les plus sanglants de la lutte pourl'indépendance; Ambassadeur de la Côte d'Ivoire indépendante auprès de la République française ; dirigé de 1963 à 1989, pendant vingt-six ans, trois départements ministériels ; occupé les plus hautes fonctions au sein de la direction politique du PDCI ; conseiller, voire le confident de Félix Houphouet-Boigny... Après avoir été vice-président de l'Assemblée territoriale, de l'Assemblée législative, délégué général de Côte d'Ivoire à Paris, ambassadeur à Paris, à l'approche de l'indépendance : Je n'ai occupé les fonctions de délégué que quelques mois. Dans l'esprit d'Houphouet-Boigny, cette position devait me permettre, dans la période transitoire où nous nous trouvions, d'établir des contacts avec les milieux diplomatiques et de me faire connaître des autorités françaises. Nous sommes en 1959 et comme le dit si bien l'auteur, en dépit de ses proclamations de foi en la Communauté, Houphouet-Boigny se préparait aux charges de l'indépendance de la Côte d'Ivoire qu'il savait imminente. Et le disciple de révéler un autre trait de caractère de son Maître: L'horreur de l'improvisation et de la médiocrité.
Au fil des pages, on suit l'itinéraire de ce fils de paysan, qui semble se souvenir de tout : d'être allé à l'école française pour relever le défi de sa tribu, les Baoulé N'Zikpri de Zaakro qui n'en comptaient sur les bancs de l'école ; de ses maîtres (Kablan Koizan, Jérôme Kacou Aoulou, Grégoire Yacé); de son tuteur, Jacques Aka, neveu de Félix Houphouet-Boigny ; de tous ceux qui l'ont aidé dans son parcours. Entre autres : premier ambassadeur de la Côte d'Ivoire à Paris, premier ministre délégué aux Affaires étrangères dont la mission se résumait dans les préceptes du Maître : paix, entente, solidarité et progrès. Pour lui trois conditions étaient essentielles à la paix en Afrique : la paix à l'intérieur de chacun des Etats africains
la paix entre Etats africains
la paix entre les Etats africains et le reste du monde. Mais un préalable était indispensable : instaurer la paix dans son pays avant de chercher à l'établir avec les pays voisins. Tour à tour, l'auteur nous fait revisiter les positions de son Maître sur les questions brûlantes. Concernant les Etats-Unis d'Afrique pour lesquels il fut accusé d'avoir été un balkanisateur. A l'unité hic et nunc, le Sage invitait les uns et les autres à la plus grande prudence et à procéder par étapes successives (car) l'unité recherchée ne peut être confondue avec l'uniformité ; ses engagements en faveur de l'Afrique, à travers les organisations politiques (OUA) et économiques ( la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, BCEAO, la BAD dont le siège est à Abidjan), Air Afrique, -qui ne vole plus-, etc. portent la marque du Grand homme. Qui avait su que tout homme d'Etat qui, en lieu et place de relations amicales, pratique une politique de défiance à l'égard de ses pairs, d'isolement ou de repli sur soi, place son pays dans une position délicate. Nostalgique, Camille Alliali ajoutera : Il n'y a pas si longtemps, la Côte d'Ivoire pouvait être fière d'abriter le siège d'organisations continentales, convoité par d'autres Etats. Son conseil, emprunté à Machiavel : Un prince doit s'ingénier à donner de lui, dans toutes ses actions, renom d'homme grand et d'esprit excellent. Aussi pense-t-il qu'on peut tout reprocher à Houphouet-Boigny, sauf de n'avoir pas su donner de lui-même l'image d'un homme grand et d'esprit excellent et de ne s'être pas ingénié à hisser la Côte d'Ivoire au rang des Etats qui comptent. D'où son amertume, aujourd'hui, de constater la mort de Air Afrique et le transfert du siège de la Bad à Tunis. Comment le Grand homme gérait les conflits, les troubles de voisinage avec la Guinée de Sékou Touré, le Burkina Faso de Sankara le révolutionnaire, ses rapports avec Kwame N'Krumah, Rawlings, le Nigeria, avec les questions biafraise, angolaise ; l'Afrique du Sud et l'apartheid ; les rivalités souterraines au sein du PDCI ; les complots de 1963-64, du capitaine Sio (28 juin, 1973), les affaires du Sanwi, en 1959, du complot dit du chat noir et du Guébié en 1970, le choix de Fologo comme secrétaire général du PDCI au congrès extraordinaire, les options économiques de Félix HB le libéralisme économique dans un cadre étatique , le remaniement de 1977, le problème Alassane Dramane Ouattara, la bataille autour de l'intérim du Chef de l'Etat, etc. tout y passe dans ce livre utile. Où le disciple fidèle livre aux lecteurs des traits de caractère du Sage, dont la diplomatie reposait sur l'action au service de la paix, à travers une prise en compte, toujours, de la notion des rapports de force dans le monde, pour se ménager des marges de man?uvre et préserver son peuple des errances des illuminés. Disciple d'Houphouet-Boigny, c'est en somme des souvenirs d'un destin contrarié, pour une mission plus vaste aux côtés d'un immense homme ; des vies pleinement vécues d'un homme secret ; vies villageoise, scolaire, estudiantine, politique (parlementaire, diplomatique, ministérielle) qui n'auraient sans doute pas eu cette ascension si elle n'avait pas rencontré Félix Houphouet-Boigny. Disciple de son action, cet homme des missions souvent secrètes, qui a quitté définitivement en 1989 le gouvernement, après y avoir passé auprès de FHB trente années de sa vie dans l'exercice de ses fonctions exécutives, a voulu parler. Sans partie pris, sauf celui de dire sa part de vérité. Et laisser aux jeunes générations présentes et à venir ce que fut l'homme.
Il est heureux, qu'après Frédéric Grah Mel, un intellectuel comme il faut, jamais appartenu au PDCI-RDA, jamais sans doute serré la main du Sage, auteur pourtant d'une édifiante biographie sur Félix Houphouet-boigny (1), Camille Alliali suive donc. Pour nous apprendre tout simplement à se souvenir, du sens profond de l'amitié et de l'amour de l'homme, de l'idéal de grandeur pour lui et pour son peuple que Félix Houphouet-Boigny nous laisse en se présentant sur la scène internationale en homme de conviction et de courage, qui savait tenir ses engagements et respecter la parole donnée. Après avoir occupé pendant dix ans les fonctions de maire de Toumodi, la dette envers sa commune natale qui lui a tout donné, le disciple nous donne ce qu'il sait de son maître. On n'épuise pas un tel Homme!
Michel Koffi
Camille Alliali, Disciple d'Houphouet-Boigny, Juris éditions, Juillet 2008. P. 232.
(1). Frédéric Grah Mel, Félix Houphouet-Boigny, Biographie, aux Editions du Cerap Maisonneuve $ Larose.

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