jeudi 3 juillet 2008 par Le Temps

En 1985, il co-fonde avec Wêrê-Wêrê Liking, le Ki-Yi M'Bock. Au sein de ce groupe panafricain, Bomou Mamadou démontre ses talents pluridisciplinaires de danseur, de chanteur, de comédien, de chorégraphe et de metteur en scène. Depuis 2001 qu'il vole de ses propres ailes, " Le maître de la parole " a su imprimer sa marque et imposer sa singularité par sa voix et par sa capacité à explorer les richesses du patrimoine artistique africain. Il revient ici sur les raisons de son départ du Village Kiyi. Entretien. Le Village Kiyi a été l'univers artistique dans lequel vous avez passé une grande partie de votre vie. A quel moment décide-t-on de quitter une telle école pour voler de ses propres ailes ?
Je pense que c'est quand on s'aperçoit qu'on a plus rien à apporter à cette école et qu'il faut partir acquérir d'autres expériences. Il faut dire que depuis 1982, avec Wêrê-Wêrê Liking, nous avons créé ce grand mouvement panafricain qui est le Village Kiyi. Au-delà de l'art, c'était pour nous un prétexte pour former des hommes au sens plein du terme, c'est-à-dire, des hommes sociables. Voyez-vous, quand vous êtes dans un tel mouvement où toutes les charges sont supportées par le groupe, vous avez l'impression que tout est gratuit à tel point que vous finissez par vous déresponsabiliser. Or, vous avez besoin de vous accomplir socialement, de vous responsabiliser par rapport à vous-même, par rapport à votre carrière artistique... C'est tout cela qui m'a amené à couper le cordon ombilical qui me liait au Village. J'avais maintenant besoin de me recréer socialement et artistiquement. Mais c'est quand même regrettable, tous ces départs successifs...
Oui c'est regrettable ! Surtout quand certains partent de façon malhonnête, c'est-à-dire, désertent le groupe pendant des tournées. Moi, mon départ du Village s'est fait dans la légalité. De toutes façons, nous tous qui sommes partis avons des marques : la rigueur et la responsabilité. En ce qui me concerne, je continue de collaborer avec Wêrê-Wêrê Liking. Chaque fois qu'elle me sollicite, je n'hésite pas à répondre présent. Nous étions récemment au Cameroun puis à Bouaké dans le cadre de spectacles. Lorsqu'elle a fêté ses 40 ans de peinture, j'étais encore là. Ce n'est donc pas vraiment un départ, c'est une distance normale que j'ai prise. Aller à la quête d'autres formes d'expression, rencontrer de sensations nouvelles, car il est difficile pour un artiste de ne pas pouvoir s'affirmer en tant que tel. De l'extérieur, aujourd'hui, quel est votre regard sur le Village Kiyi ?
Il est clair que ce n'est plus la même chose, ce n'est plus le même engouement. Les gens qui y étaient se sacrifiaient pour nous donner de l'espoir, nous apprendre qu'avec la rigueur et le professionnalisme, on peut vivre de son art. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus un centre de formation. En quels termes décririez-vous votre style artistique ?
Chaque fois qu'on me pose cette question, je n'ai pas de réponses exactes. Pour moi, c'est l'Art de la Parole. Je refuse de m'inscrire dans un phénomène passager de mode. Moi, je voudrais m'inscrire dans un art qui défie le temps, faire des ?uvres intemporelles... Mon objectif est de montrer que l'art est un métier, que l'on peut en vivre en Afrique à condition de l'exercer avec toute la discipline et la rigueur requises. Sur quel projet Bomou travaille-t-il actuellement ?
Je suis un peu cyclique J'ai été le chorégraphe du Kiyi-M'bock, puis j'ai eu pendant 2 ans, la charge du Ballet national de Côte d'Ivoire. J'ai aussi fait un clin d'?il au théâtre. J'arrive du Burkina Faso dans le cadre du Carrefour international du Théâtre de Ouagadougou où j'ai assuré la mise en scène de Lien de sang, une pièce du Sud-africain Athol Fugar. Je suis actuellement en train de travailler sur mon prochain album qui va s'intituler S'il nous plaît. Ce sera encore une adresse aux africains afin qu'ils se responsabilisent par rapport à leur destin. Vous êtes comédien, chanteur, danseur, metteur en scène, etc. La polyvalence est-elle indispensable dans votre cas ?
Oui Tout artiste se doit d'être polyvalent à l'instar du conteur africain, parce que le conteur dit la Parole, il chante et exprime une gestuelle scénique La polyvalence est donc très importante dans mon Art. Quels sont les thèmes que vous abordez en général ?
La responsabilité de l'être humain en tant qu'élément participant à l'évolution de la vie. J'ai ce souci de permettre à l'être humain de se remettre en cause davantage. Parce que, nous devons faire le choix d'être bénéfique à la vie. Et pour le faire, il nous faut descendre en nous-mêmes afin d'identifier les éléments nuisibles et de les éliminer. Moi, j'ai choisi d'être bénéfique en apportant de l'espoir à la vie Il faut inciter les jeunes à la beauté du verbe, à la beauté de la parole, à l'importance du livre et de la lecture. Aujourd'hui, on remarque que les jeunes se délaissent, s'adonnent à l'inculture. Les jeunes doivent savoir que le livre est un temple du savoir, une tablette du savoir. Où en êtes-vous avec la publication de Les paroles du maître ?
Effectivement, j'ai travaillé sur un livre qui résume tout ce que j'ai dit depuis septembre 2002, date du déclenchement de la crise en Côte d'Ivoire. Ce sont des messages à mon pays et à l'Afrique. Nous sommes dans un processus de paix avec les prochaines élections et je ne voudrais pas qu'on m'accuse de parti pris. Je suis donc obligé de surseoir à ce projet parce que certains passages pourraient être mal interprétés et, on pourrait me reprocher de remuer le couteau dans la plaie. Pour toutes ces raisons, je prévois la sortie du livre pour après les élections.
Comment se porte, selon vous, l'art en général en Côte d'Ivoire ?
Je pense que les anciens et héritiers n'ont pas su éduquer. Aujourd'hui, il y a beaucoup de fuite, les gens préfèrent exporter leurs talents en Occident. Les jeunes n'ont plus de repères. Il n'y a que le Kiyi-M'bock et à un degré moindre le Kotéba qui s'efforcent à former les jeunes Le Pr. Zadi a presque baissé les bras, Marie-Rose Guiraud vit depuis plusieurs années aux USA, le Djolem n'existe pratiquement plus. La nouvelle génération a du mal à garder la flamme allumée. A tel point que le public aujourd'hui, confond l'or et la charogne avec la même indifférence. Les artistes doivent savoir que nous partageons tous la même quête de valeurs. Ce qu'on dit peut tuer ou donner la vie : nous sommes responsables. Nous devons donc résolument travailler à redorer le blason de la Culture dans notre pays. Le Burida, la maison des artistes, est en proie à des contradictions dues à l'interprétation des textes qui régissent la structure. Quelle est votre opinion ?
Il faut que les artistes-chanteurs arrêtent de penser que le Burida leur appartient. Et je crois que c'est cela le seul et véritable problème qui occasionne tout ce désordre. Voilà des gens qui ont des difficultés pour gérer leur propre carrière et qui veulent gérer la carrière de tous les artistes. Ils font beaucoup de bruit comme des tonneaux vides pour rien. Ce sont eux qui sèment la zizanie et qui croient que le Burida doit absolument s'occuper d'eux. Ils ne savent pas que nos peintres, nos écrivains, nos cinéastes, nos comédiens, etc. sont tous sociétaires du Burida. Ils doivent comprendre que des gens ont été formés dans de grandes écoles pour administrer, pour gérer.
Bomou Mamadou, après 26 ans de pratique artistique, quelles sont les grandes avancées de votre carrière ?
Je suis fier et heureux qu'en peu de temps, le public ait adhéré à mon art. Je suis respecté chez moi et sur le plan mondial, on me regarde différemment. Je suis à toutes les grandes conférences, à toutes les rencontres culturelles afin de porter la preuve de ma maturité, puisse ma modestie en souffrir. Si toute parole est parole, j'ai conscience que parler est difficile. Instruit de cette vérité, je continue ma quête de la flamme originelle du verbe. Que pensez-vous du retour de la paix en Côte d'Ivoire ?
Toutes les civilisations, tous les peuples ont connu la guerre. Le cas de la Côte d'Ivoire n'est pas nouveau, mais il fallait que notre pays passe par là. Il fallait peut-être qu'on passe par cette guerre pour que nous sachions ce que vaut la paix. En tous cas, ce qui s'est passé à Ouagadougou est formidable. Il faut encore et toujours saluer les Ivoiriens qui ont eu cette grande hauteur d'esprit et d'humilité pour avoir accepté de se parler. Aujourd'hui, le processus de paix enclenché est irréversible, il a permis à chacun de nous, de nous remettre en cause et de tirer les grandes leçons de cette crise. Le plus difficile est surtout qu'on puisse garder et consolider les valeurs qui constituent notre destin commun. Ces valeurs de solidarité, de fraternité, de tolérance, d'hospitalité qui ont contribué à construire la Nation ivoirienne.
Une correspondance
particulière.
Serge Grah

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