mardi 17 juin 2008 par Le Quotidien

Le silence coupable des autorités ivoiriennes décuple la motivation des agresseurs du Parc. Depuis une certaine époque, la farouche volonté de déguerpissement des populations a disparu. Aujourd'hui, elles ont elles-mêmes décidé d'une opération de départ volontaire. A un certain prix.

Lundi 9 juin 2008. Nous sommes à Bouaflé. La clémence du temps contraste avec la grosse pluie qui s'est abattue sur la localité, la veille. Mais également avec toute l'illégalité qui a cours, au sein du Parc national de la Marahoué. Où, dans Le Quotidien N°105, du lundi 16 juin 2008, nous nous sommes évertués à ressortir les agressions de tout genre subies par ce site pourtant protégé par la loi. Tout est calme. Tout est normal. Et pourtant, à un peu plus de 28 kilomètres de nous, un site classé est en pleine agonie. Pour en savoir un peu plus, nous nous rendons au cantonnement des Eaux et Forêts de la commune. Là-bas, l'on nous conduit au secteur du Parc. Une fois sur les lieux, après échanges des civilités, l'on nous demande une autorisation de la hiérarchie. Avant de nous signifier calmement que même les touristes qui désirent entrer dans le Parc national de la Marahoué doivent être munis d'une autorisation de notre hiérarchie. Pas besoin d'insister. Nous le faisons tout de même. Jusqu'à l'épuisement de toutes nos cartes. Mis devant le fait accompli, nous prenons congé de l'agent en service. Qui est visiblement prêt à nous apporter sa collaboration. Mais, quelque peu bloqué dans son élan par une force invisible.
Bienvenue dans le système. C'est en ces termes que nous répond un ami de la ville, joint au téléphone juste après notre sortie du bureau du Secteur. Quelques minutes de conversation suffisent pour nous rendre compte que nous sommes, certainement, des visiteurs gênants. Nos investigations nous permettront plus tard de savoir que les populations elles-mêmes ont émis le v?u de quitter le Parc. Toutefois, le sujet semble sensible et tous nos interlocuteurs nous demandent une autorisation du préfet avant de pouvoir échanger avec nous. Cette quête d'autorisation préfectorale nous conduit le plus naturellement du monde, à la Préfecture de Bouaflé. En l'absence du préfet, nous nous rabattons sur le Secrétaire général de Préfecture, M. Lasme. Ce jour-là, Bouaflé attend le ministre des Transports, Albert Toikeusse Mabri. Le ministre a donné son accord pour participer à la Journée de la sécurité routière, initiée par les JCI de l'OLM Bouaflé. Bousculés, les autorités n'ont donc pas de temps à nous consacrer. La cérémonie terminée, le SG joint au téléphone ? par personne interposée - nous renvoie au Secteur, dont le chef est absent de la ville. Nous voilà donc revenu à la case départ. Après avoir caressé l'impression d'avancer dans nos investigations. Ne jamais baisser les bras. Il faut continuer, au prix de tous les efforts. Le jeu en vaut la chandelle.

Pourtant, des éléments des Forces de défense et de sécurité nous ont rassuré sur l'accès au site. Ainsi que sur la collaboration des autorités en charge de la surveillance du parc.

Malheureusement, il est question d'autorisation. Pour avoir accès à un site où des personnes ont choisi de vivre, malgré l'interdiction de la loi. Premier constat, les gardiens du Parc national de la Marahoué sont sectaires. En même temps qu'ils ferment les yeux sur les paysans qui y travaillent clandestinement, ils exigent des autorisations aux visiteurs. Du moins, laissera entendre un ami, ils veillent à la sécurité des habitants du Parc.

Au-delà de cette réflexion somme toute drôle mais fondée, peut-on blâmer les agents des Eaux et Forêts chargés de veiller sur ce Parc ? Comme tout élément de l'Armée, les Eaux et Forêts obéissent aux ordres. Le refus de notre interlocuteur de la matinée du 9 juin, n'est pas de son propre chef. Conclusion, ordre a donc été donné de tenir les fouineurs loin dudit site. Par qui ?
Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'Etat de Côte d'Ivoire est entièrement responsable de la situation anormale du Parc. L'état de délabrement avancé du Parc national de la Marahoué n'émeut en rien les autorités de ce pays. Bien au contraire, elles assistent, sinon contribuent efficacement à la dégradation du site. La preuve, ce sont ces instituteurs fonctionnaires de l'Etat, affectés dans le Parc, pour inculquer le savoir aux enfants de ces paysans clandestins. Que voulez-vous qu'on fasse nous autres agents de l'Etat, si l'Etat lui-même affecte des fonctionnaires dans les écoles du Parc ?, s'interroge un agent des FDS, qui a voulu garder l'anonymat. Comme lui, des habitants de la ville de Bouaflé s'offusquent de cette situation inimaginable. Pour nous, le Parc n'existe plus dans la mesure où le Gouvernement y affecte des fonctionnaires, même si c'est pour l'enseignement du savoir, dixit ML, élève dans un établissement secondaire privé de la ville. Les écoles existent donc au sein du Parc. Pourtant, depuis 1968, ce site a été classé Parc national par décret. Donc site sur lequel la vie humaine est formellement proscrite. Cette incongruité laisse plus d'un perplexe dans la ville de Bouaflé. En même temps qu'elle conforte les clandestins dans leur position. Le vieux BG, lui, voit en la présence de cette école animée par des fonctionnaires de l'Etat de Côte d'Ivoire, la caution du Gouvernement ivoirien. Vous affirmez que nous sommes dans la clandestinité. Pourtant, le Gouvernement est sensible à notre situation et a même dépêché des instituteurs dans ce Parc, pour la formation de nos enfants et petits enfants. Le vieux B.G reste donc convaincu d'une chose. C'est la preuve que ces histoires d'opération de déguerpissement dont parlent certains n'est qu'un rêve. Pour lui, il faut dès lors trouver les voies et moyens pour à la fois sauver ce qu'il y a encore à sauver et contenter toutes ces populations qui se sentiront, elles aussi, en sécurité. Et travailleront à l'avancée de la Côte d'Ivoire.

Comme le doyen BG, ils sont nombreux à soutenir l'idée d'un compromis avec les autorités ivoiriennes. Pour eux, un arrangement doit donc être trouvé avec les autorités pour, à la limite, renégocier les dimensions du Parc et leur permettre d'exercer leurs activités génératrices de revenus. En toute tranquillité.

Côté autorité, calme plat. Aucune décision n'a été arrêtée pour l'heure. Les populations continuent d'exercer leurs activités comme par le passé. Toutefois, certains se souviennent encore de cette ministre, qui en son temps, avait décidé de faire bouger les choses. Sous Angèle Gnonsoa, l'on a senti une volonté politique de l'Etat de Côte d'Ivoire de régler définitivement le problème des clandestins du Parc national de la Marahoué. La ministre s'était, à l'époque, rendue dans le Parc. Au cours de cette mission, elle était même tombée des nues à la vue d'un village situé au c?ur du Parc et comprenant une école primaire. Avec elle, le Directeur de l'Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) d'antan, Haïdara Gouessé lui aussi était résolument engagé dans cette mission. L'ex-Directeur de l'OIPR avait plus d'une fois fait montre de sa volonté de mettre fin à cette situation déshonorante pour la Côte d'Ivoire. Mais depuis, la mère et le fils ne sont plus en activité. Silence radio. Leurs successeurs respectifs semblent avoir rangé le dossier du Parc national de la Marahoué au placard. A l'exception de l'atelier organisé par la Fondation pour les chimpanzés (WCF), en collaboration avec l'OIPR, en octobre 2007. A l'issue des travaux, la somme de 776 millions FCFA avait été jugée nécessaire pour sauver le Parc national de la Marahoué. Une manne financière, qui servira à réhabiliter des infrastructures, les postes d'observation et déguerpir les populations. Ce, à travers la création des microprojets pour les occupants clandestins et riverains.

Ces décisions n'ont jamais trouvé un début d'exécution. Et s'inscrivent dans la droite ligne des hautes autorités ivoiriennes dont le manque de considération pour la forêt n'est plus à démontrer. C'est le triste constat fait par un groupe de forestiers qui soulignent ne rien comprendre dans la volonté de l'Etat ivoirien de préserver la forêt. Pour ceux-ci, pas besoin de réflexion pour savoir que les autorités ivoiriennes ont relégué le problème de la forêt ivoirienne aux calendes grecques. La forêt préoccupe peu nos autorités politiques, surtout le Parc national de la Marahoué, parce que chaque chapelle politique voit en ces agresseurs de la nature des potentiels électeurs. Et donc, personne ne veut se mettre à dos ces milliers de voix pour ainsi faire la part belle à l'adversaire, dixit JY, forestier de son état. Le mot est lâché. Au-delà de l'enjeu écologique, un véritable enjeu politique couve sous le Parc national de la Marahoué. Conséquence, le Parc est en train de mourir de sa belle mort. Cet espace auparavant prisé pour sa richesse en espèces animales et en essences est en train de perdre sa sève. Si ce n'est déjà fait. A côté de ces autorités, certaines structures privées et spécialisées dans le domaine tentent à leur façon d'apporter leur pierre au sauvetage du Parc. C'est le cas de qui en 2007, s'est rendu sur le terrain pour sensibiliser les populations sur l'importance de ce site pour la Côte d'Ivoire. Et le monde entier. L'on se souvient que cette opération avait amené des braconniers à déposer leurs fusils et plusieurs relais avaient été créés pour suivre cette opération de sauvetage.

Aujourd'hui, pour les fins connaisseurs, l'espoir n'est pas encore totalement perdu. Le Parc national de la Marahoué peut être sauvé. A condition d'aller très vite. Ceux qui le pensent, soulignent que l'urgence nécessite d'abord la détection d'un site d'accueil pour toutes ces populations clandestines. Bien entendu, il faudra leur trouver un site qui leur permettra d'exercer encore des activités agricoles. Ensuite, il sera question de penser au reboisement de l'espace. Et, avec le temps, le climat et la qualité du sol, le Parc national pourra retrouver toute sa verve d'antan, soutient l'ami forestier.

Pour l'heure, le recensement des populations infiltrées dans le Parc n'a pas encore débuté. Le nombre de personnes à recaser n'est pas encore connu. L'opération Sauvetage d'urgence du Parc national de la Marahoué n'est toujours pas à l'état embryonnaire. Et le Parc, chaque jour qui passe, s'enfonce un peu plus. Dans les méandres de la mort.

Par
RMK Yobouet
rmkyob@yahoo.fr

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