mercredi 11 juin 2008 par Le Patriote

Le Patriote : On n'entend plus parler des Go du Kotéba. Ont-elles perdu la voix ?
Souleymane Koly : Non. Heureusement, elles sont loin d'avoir perdu la voix ! C'est vrai qu'elles ne se manifestent pas trop dans le pays. Sinon, au mois de mars, nous étions au Mali où nous avons donné un superbe concert. Il y a quelques semaines, nous étions à Dakar (au Sénégal) où nous avons participé au festival Banlieue Rythme. Là, nous avons donné un concert au centre culturel français de Dakar et à Guédiawaye, une grande banlieue de Dakar. Nous avons joué devant 10 voire 15 000 personnes avec des artistes comme Mokobé. Nous préparons des choses. Nous en parlerons au moment opportun.

LP : Leur album WAF (West African feeling) malgré sa bonne facture n'a pas connu le succès escompté. Comment expliquez-vous cela ?
SK : Deux choses expliquent cela. D'abord, je ne connais pas beaucoup d'albums qui connaissent de succès en ce moment. Nous sommes de ceux qui ont décidé de parler vrai. Certains titres sont adoptés par le public et passent régulièrement à la télé et à la radio. Ça peut donner l'impression que l'album cartonne. Or, on sait que par les temps qui courent, les animateurs, les radios ou les télés ne courent pas après cette musique que nous faisons. Cela dit, pour ce qui est de la présence sur les antennes, cela dépend des animateurs. Il y a un début où on booste l'album en payant un peu pour qu'il soit diffusé. Dans certains pays de la sous-région où l'album n'est même pas encore sorti, des animateurs se sont appropriés l'album. Aux Etats-Unis, le label Putumayo qui produit et distribue Habib Koité a déjà retenu dans sa prochaine compilation, alors que l'album des Go du Kotéba n'est pas encore sorti aux Etats-Unis, le titre Tougnafo . Le label Nuits d'Afrique au Canada a présenté l'album, le 27 mai dernier et le sortira là-bas le 27 juin prochain. Vous voyez comme ça marche à l'extérieur ? Je pense ici qu'il y a un problème conjoncturel qui fait que certaines musiques ne passent pas. L'album est bon. Il est vivant. Je pense qu'il a un avenir.

LP : Et l'ensemble Kotéba. Pourquoi est-il aussi si silencieux?
SK : L'ensemble Kotéba est bel et bien là. Il intervient plutôt sur des projets de commande. Donc, nous avons participé à certaines commandes avec un certain nombre d'opérateurs. Néanmoins, cela ne nous excuse pas car, l'ensemble Kotéba avait un rythme d'une création tous les deux ans. On s'arrangeait toujours, même s'il y avait un petit retard, bon an mal pour créer quelque chose. La crise y est pour quelque chose. Les effets pervers de l'économie, qui a tout pris dans la culture, font qu'il est extrêmement difficile pour l'ensemble Kotéba et d'autres compagnies de la lourdeur du Kotéba de créer. Sinon, avec ce que nous avons vécu, nous avons suffisamment de sujets. Avant, nous montions des projets pour solliciter des fonds auprès des bailleurs de fonds internationaux. Ces derniers ont boudé, même si cela n'a pas été dit officiellement, à un moment donné notre pays. Il y avait une rupture de coopération économique et culturelle avec nous. Tout cela a handicapé notre travail de création. Sinon, nous avons écrit une suite à Cocody Johnny . Mais la difficulté, c'est arriver à réunir des moyens pour que l'ensemble de la compagnie travaille de manière décente. Et quand vous avez fini de travailler, il faut sortir le spectacle. Et sortir aujourd'hui un spectacle nécessite des moyens. L'ensemble Kotéba s'est toujours arrangé pour travailler grosso modo avec un montant de 10 millions f cfa par création. Ce qui est difficile, c'est de mettre le spectacle sur le marché d'autant que les tarifs ont explosé en ce moment. Nous n'abandonnons pas, pour autant. Une fois la paix revenue, le Kotéba reprendra ses créations.

LP : En attendant, vos fans se souviennent avec nostalgie de vos premières créations notamment Didi yako , Didi par-ci, Didi- par là . Qu'attendez-vous pour les éditer sur support vidéo ?
SK : La captation de ces ?uvres a été faite par la télé vision nationale qui devrait avoir les archives. Mon frère Bienvenue Néba, qui travaille depuis trois ans avec le Kotéba pour aider les jeunes dans le domaine théâtral, avait à charge de voir avec la télé ce qu'il y avait comme archives. Mais jusqu'à présent, on n'arrive pas à mettre la main sur les cassettes. Je ne sais pas ce qui se passe, mais on n'arrive pas à les trouver. Cependant, je ne désespère pas, ça pourrait être une bonne chose même si les captations de l'époque laissaient à désirer. Aujourd'hui, les moyens ont évolué et si on pouvait reprendre cela, ne serait-ce que pour faire comprendre à la nouvelle génération qu'un patrimoine a été créé en matière de musique, de danse et de théâtre, ce serait une bonne chose. Je pense que les cassettes existent parce qu'un ami qui était de passage en Angola m'a confié qu'il avait vu à la télé locale, une pièce du Kotéba.

LP : En tant professionnel du secteur, à qui imputez-vous la mort du théâtre en Côte d'Ivoire ?
SK : Je pense que le théâtre n'est pas mort. Il est plutôt en sommeil. Tout le monde a sa part de responsabilité, les acteurs de la vie culturelle, les pouvoirs publics, les médias. Je rappelle que nous avons créé La cour en 2002 et juste après, il y a eu la guerre. Et en novembre 2002 le Centre culturel français a abrité une représentation de la pièce en plein couvre-feu. C'est dire que nous sommes des acteurs culturels vraiment présents sur le terrain. Pour nous, la culture, c'est comme manger. Ce n'est pas parce qu'il y a la crise ou la guerre qu'il faut s'arrêter. Ensuite, il y a eu Cocody Johnny que nous avons créé avec un théâtre en France. Puis, nous sommes revenus au pays et nous l'avons programmé en juin 2004 au Palais de la culture. Et le jour du spectacle, certains des comédiens n'ont pu rejoindre le Palais de la culture parce qu'il y avait une bavure à Abobo. Le second jour, nous sommes allés dans un centre de Koumassi. Au même moment, il y avait un sit-in devant le 43ème Bima. Nous avons quand même joué. On a beau être téméraire, ces productions nécessitent de l'argent. Il y a donc une part de responsabilités des acteurs du secteur. Dans le cas du Kotéba, ce n'est pas faute d'avoir essayé. Nous essayons d'être présents mais en même temps, il faut trouver les moyens pour motiver les jeunes.

LP : Qu'attendez-vous concrètement des pouvoirs publics ?
SK : Le théâtre est une activité qui nécessite par sa nature, du soutien. Il nécessite tous les jours la présence physique des comédiens. Il demande donc de l'argent. Il faut alors partager les charges. L'Etat peut, par exemple, dans sa politique, prévoir une ligne de crédit pour la création théâtrale. Ensuite, dans les municipalités, il faudrait qu'il y ait un budget pour la création. Enfin, il y a les partenaires privés, les grandes banques, les assurances qui aident à la création. Tout cela mis en place et ajouté aux recettes complémentaires que constituent les entrées aux spectacles peuvent permettre de maintenir en vie la création artistique et théâtrale.

LP : Mais, aux yeux de beaucoup d'observateurs, le théâtre a laissé l'humour le supplanter
SK : L'humour a toujours été présent dans le théâtre ivoirien. Quand je suis arrivé en Côte d'Ivoire, j'ai constaté que la société était en pleine ébullition, en croissance. En tant que sociologue, cela m'a intéressé de faire une captation de ce mouvement de croissance qui caractérisait une nouvelle culture, une nouvelle façon de vivre. Quand la situation est difficile, il y a un morcellement des choses. L'humour, que les jeunes exploitent aujourd'hui, est la réponse de la communauté nationale aux difficultés de production du théâtre, de la même façon que le play-back a été à un moment donné, la réponse aux difficultés de la production de la musique. Ces jeunes ont récupéré les répliques des pièces de théâtre qu'ils jouent à deux ou à trois. Il n'y a plus de nécessité d'écriture, encore moins de mise en scène. Les humoristes sont aussi des descendants du théâtre ivoirien, mais il faudrait qu'il y ait un travail d'accompagnement. Les acteurs qui se sont faits un nom, pourraient par exemple, être repris dans des ?uvres plus écrites et vous verrez que la filiation sera évidente. On ne leur a pas laissé la place. Ils ont pris leur place parce que ce qui se faisait avant ne pouvait plus se faire pour des raisons uniquement économiques.
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