mardi 5 février 2008 par Nuit & Jour

Autrefois, à l'arrivée du Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) sur la scène politique ivoirienne, son Secrétaire Général Guillaume Soro Kigbafori réclamait avec le tenant du pouvoir, des postes étatiques d'une extrême vitalité. Il a même demandé sur un plateau d'argent le scalp de l'exégète premier de la Refondation. C'était Soro. Aujourd'hui, depuis qu'il a été hissé au pinacle de la Primature, tous ces postes essentiels lui filent entre les doigts. Constat.

Lorsqu'un matin du 19 septembre 2002 le Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) a fait irruption entre feu et sang sur la scène politique ivoirienne, suivi le 28 novembre de cette même année par le Mouvement Populaire du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la Justice et pour la Paix (MJP), l'objectif de ces mouvements communs était de prendre les rênes du pouvoir d'Etat. Seulement, au fil du temps et des accords, ces mouvements devenus entre-temps Forces Nouvelles (FN) ont varié dans leur position et leurs ambitions. Bien plus, depuis que leur Secrétaire Général a été " bombardé " Premier ministre de la République à la faveur du dernier accord signé à Ouagadougou le 04 mars 2007, les FN passent royalement le regard sur les postes de nominations fortement essentiels quant au contrôle et au suivi du processus électoral.

Le ministère de la Défense et celui de la Sécurité
Depuis qu'il a glané au terme d'une lutte sans merci son poste de Premier ministre le 29 mars 2007, le Secrétaire Général des Forces Nouvelles Guillaume Soro n'a fait aucune opposition à la nomination de Désiré Tagro et Michel Amani N'Guessan, respectivement au ministère de la Sécurité et celui de la Défense. Le 7 avril suivant la date de sa nomination à la primature, soit neuf jours seulement après, deux postes qu'il avait réclamés à cor et à cri aux heures chaudes de la crise et des discussions inter ivoiriennes, lui ont donc échappé. Au sein de l'équipe gouvernementale qu'il a mise en place ce jour-là, ce sont deux irréductibles affidés de Laurent Gbagbo, de surcroît militants de son parti politique le Front Populaire Ivoirien (FPI) qui ont pris place dans des sièges laissés par des membres de la société civile. Et pourtant, l'on se souvient encore comme si c'était hier, les remous qu'a suscité l'une des déclarations de victoire faite par Guillaume Soro au sortir de la signature de l'accord de Marcoussis (France) le 25 janvier 2003. Il avait annoncé avoir obtenu pour le compte de son mouvement les portefeuilles du ministère de la Défense et celui de l'Intérieur. Cette annonce a fait monter l'adrénaline chez les partisans de Gbagbo, qui trouvent inadmissible que des postes aussi sensibles, voire vitaux soient revenus à l'ex-rébellion. Pour cela, ces gens qui se sont baptisés " patriotes " ont pillé, commis de nombreuses exactions et paralysé le pays pendant plus de 72 heures. C'était à cause des deux postes du ministère de la Défense et de la Sécurité. Finalement, Charles Blé Goudé et ses camarades ont eu gain de cause. Environ huit mois plus tard, soit le 12 septembre 2003, les portefeuilles de la Défense et de la Sécurité sont revenus à deux acteurs de la société civile. En gros, après plusieurs tractations, ces deux postes ministériels appartiennent aujourd'hui à Laurent Gbagbo et ses partisans. Ce n'est pas tout.

Pourquoi la Défense et la Sécurité sont des ministères convoités
S'il y a eu autant de grabuges autour des ministères de la Défense et de la Sécurité en ce qui concerne l'entité politique qui doit en être le titulaire, c'est bien parce qu'au travers de ceux-ci l'on a l'assurance de sortir forcément vainqueur en cas de mécontentement de la population. Avec le ministère de la Défense, l'on a la facilité d'ordonner aux militaires et aux gendarmes des interventions qu'ils ne sauraient refuser. En période de forte crise, l'on n'a nullement besoin de rappeler que le ministre intimera l'ordre à ses éléments de " mater " l'ennemi. Et cela se fera sans ambages avec les armes de l'Etat. C'est idem pour le ministère de la Sécurité. Là aussi, les policiers dotés d'armes à feu représentent aussi des adversaires coriaces en cas de revirement de la situation. Que ces deux portefeuilles soient autant convoités par toutes les forces politiques, l'on le comprend donc aisément. Depuis la formation le 7 avril 2007 de l'équipe gouvernementale actuelle, c'est le camp présidentiel qui jouit du plaisir d'avoir remporté le gain, disons le " trophée " de la lutte à ce niveau. Ni Soro ni les FN n'en font même plus cas. La perte est donc consommée à ce niveau et le dossier est clos.

Les médias d'Etat
La Radio diffusion Télévision Ivoirienne (RTI) et le quotidien " Fraternité-Matin " sont, on le sait, les deux organes de presse dont dispose l'Etat de Côte d'Ivoire. Ce sont ces deux-là, au nombre de la pléthore de radios qui émettent en Côte d'Ivoire et des organes de la presse écrite que compte le pays, qui jouissent du privilège d'être la référence de l'Etat. Ce sont donc les principaux canaux d'expression des autorités étatiques. Aucune information n'est diffusée sur les antennes des radios ou des télévisions de la RTI sans qu'elle n'ait bénéficié au préalable de l'accord de son premier responsable, le Directeur Général. Idem pour les informations publiées dans le journal " Fraternité-Matin ". Ces organes donc sont dans la vie des acteurs politiques ivoiriens des outils mis en place pour renforcer leur image de marque, mais surtout pour conférer un caractère légitime à leurs actions. Ces organes sont aussi de grande importance dans les périodes préélectorale, électorale et même post-électorale. Ces outils-là, les laisser aux mains de l'adversaire, est donc un risque majeur. Or, c'est bien ce que le Secrétaire Général des Forces Nouvelles (FN) et Premier ministre Guillaume Soro a fait en ce moment. Arc-bouté, devrait-on dire, au seul poste de Premier ministre, l'enfant de Niarafolo, celui-là même qui a bombé la poitrine face aux attaques physiques et mystiques de toutes les formes, laisse royalement aller la RTI et Frat-Mat aux mains de celui qui piaffe encore d'envie de regagner sa légitimité. Gbagbo l'a bien compris. Lui qui, le 28 novembre 2006, sans crier gare et tous les Ivoiriens se souviennent encore de cette scène, a débarqué sèchement M. Kébé Yacouba de la Direction Générale de la RTI pour le remplacer par son serviteur Pierre Brou Amessan. Mieux, ce même jour, l'organe gouvernemental de presse écrite a été soumis au même traitement. Manu militari, Jean-Baptiste Akrou a été installé à la tête de Frat-Mat par décret de Gbagbo. Pour se donner plus de garanties de sécurité à ce niveau, le 23 janvier 2007dernier, le chef de l'Etat a renforcé les équipes de la RTI et de Fraternité-Matin avec de personnes censées le servir sans aucune opposition. Par décret encore, il a nommé Honoré Guié au Conseil d'Administration de la RTI et sortir du néant Mme Zunon Kipré pour faire d'elle la présidente du Conseil d'administration de Fraternité-Matin. En réalité, le facteur important dans ces aménagements savamment opérés par le chef de l'Etat, c'est plus que le caractère anonyme ou non des nouveaux patrons des organes de presse de l'Etat, mais plutôt leurs affinités avec l'actuel locataire du Palais.

Brou Amessan, Jean-Baptiste Akrou, Honoré Guié, Zunon Kipré
Depuis toujours, mais bien plus, depuis que le pays est cambré en deux, l'actuel Directeur Général de la RTI, M. Brou Amessan Pierre, qui était encore un simple présentateur du journal télévisé, s'illustrait déjà par des " break " particuliers en faveur de Laurent Gbagbo. L'on se souvient encore des quelques recettes pour le moins âcres qu'il servait sporadiquement dans les journaux télévisés de 20 heures. Alors qu'il annonce tout à son aise, le passage de Laurent Gbagbo ou d'un ponte du FPI, le parti dont il est proche, l'on présente plutôt des images totalement différentes qui n'ont pratiquement aucun lien avec son annonce. C'est qu'en réalité l'homme piaffe sans relâche d'envie de promouvoir Laurent Gbagbo son idole ou à la limite le parti politique de ce dernier. Ces types de scènes, M. Brou Amessan les a servis très fréquemment aux téléspectateurs ivoiriens. Cela lui avait même valu d'être muté sur la chaîne 2 de la même télévision. Brou Amessan est donc un fanatique de Laurent Gbagbo, pis, il est un Gbagboïste pur et dur. Et un tel fonctionnaire, à un poste aussi stratégique, cela produit inéluctablement un résultat partisan et partial. Il faut donc craindre que Brou Amessan ne mette en avant son instinct militantiste. A l'instar de Brou Amessan, M. Jean-Baptiste Akrou, actuel Directeur Général de chef de l'Etat. Et la complicité née au fil des années et des rencontres entre les deux personnes, a facilité son ascension à la tête de l'organe de presse de l'Etat. Akrou se mettra assurément dans la peau d'un soutien inconditionnel de Laurent Gbagbo, quand il sera question de positionner une chapelle politique, afin de lui permettre de parvenir au pouvoir d'Etat. Jean-Baptiste Akrou représente donc un danger en perspective pour l'ensemble des formations politiques de l'opposition. M. Honoré Guié, lui, sa fidélité et son rapprochement à Laurent Gbagbo ne sont plus à démontrer. Depuis qu'il a bravé les baïonnettes sous le régime des soldats pour dire sans ambages les résultats de la présidentielle 2000, il est devenu un inconditionnel de Laurent Gbagbo. Celui-là, mis aux commandes du Conseil d'administration de la RTI, représente à n'en point douter une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tous les opposants ivoiriens. Mme Zunon Kipré, peu connue dans la sphère politique, pêche simplement déjà par la connotation de son patronyme. L'anxiété des uns et des autres se justifie par l'origine tribale de Mme Zunon. Pour son appartenance à l'ethnie Bété, celle du président de la République aussi, Mme Kipré est suspectée déjà d'être capable de jouer sur la fibre tribaliste le jour où les intérêts des candidats aux futures élections dépendront de son choix. Au total, les quatre responsables nommés à la RTI et au quotidien Fraternité Matin inspirent peu de confiance de par leurs liens avec le locataire du Palais présidentiel. Ces postes d'aussi grande importance qui ont filé entre les doigts du Premier ministre ne sont pas faits pour lui donner une assise indestructible. C'est cela qui échappe certainement aux analyses du Secrétaire Général des Forces Nouvelles et ses camarades depuis quelques mois.
(par Adolphe Kouilahan)

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