lundi 4 février 2008 par Nuit & Jour

Au nombre des maux qui gênent la marche sereine de la Côte d'Ivoire en ce moment, figurent deux apparemment difficiles à cerner. L'un, qui date de Mathusalem : le racket et l'autre stressant : la grogne des soldats. Pis, rien, ni personne ne semble à même de mettre un terme à cette situation.

En désignant ses deux jokers reconnus comme étant des durs à cuir du sérail que sont Amani N'Guessan et Désiré Tagro, respectivement au ministère de la Défense et celui de la Sécurité, l'exégète premier de la Refondation pensait juguler les fléaux du racket et la grogne des militaires. Que nenni ! Après quelques essais infructueux, les deux hommes du chef de l'Etat ont royalement mordu la poussière. Comme des fieffés novices.

Une nouvelle épée de Damoclès au-dessus de la tête des Ivoiriens
Sur les cendres de la crise armée qui est entrée dans une phase d'accalmie relative, naît depuis quelque temps contre toute attente, un ogre. Un monstre aux tentacules multiples qui pourrait au moment où l'on s'y attend le moins, entrer en scène. Il s'agit de la forte constellation de soldats frondeurs qui dénoncent depuis plusieurs mois, un mal qui les ronge. Ils réclament des primes liées aux risques encourus au plus fort de la guerre, sur les fronts de combats pour certains et dans les bases arrières pour d'autres. A ces griefs qu'ils retiennent contre leur hiérarchie et par extension contre le chef de l'Etat, s'est greffée récemment une affaire de grades. Dans laquelle ils avouent être incapables de supporter ce qui leur est fait. Ils déplorent que leurs collègues des Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN) soient élevés dans les grades supérieurs tandis qu'eux restent statiques. Ils n'acceptent pas non plus la promotion à deux reprises successives du chef d'Etat-Major des Armées Philippe Mangou qui, en cinq ans seulement, est passé du grade de Colonel Major à celui de Général de division. Disons que les soldats sont déterminés et n'entendent pas baisser la garde de si tôt.

Venu apaiser les esprits, Amani N'Guessan et les militaires se regardent en chiens de faïence
En confiant le portefeuille sensible du ministère de la Défense à M. Amani N'Guessan, le chef de l'Etat s'était mis certainement à l'esprit une somme d'idées. La première pourrait relever du fait que l'homme est originaire de la région de la Vallée du Bandama, là où les Forces Nouvelles (FN) ont érigé leur principale base arrière. Avec Amani dont les " parents " ont abandonné dans la précipitation les biens, Gbagbo s'avisait de lancer sans hésiter une offensive contre l'ennemi. Pour libérer le Centre, le Nord et l'Ouest. Notamment, au cas où, les hostilités reprendraient. L'autre raison de sa nomination pourrait venir d'un calcul purement tribaliste. Pour contenter et apaiser d'office tous les militaires appartenant au groupe ethnique Akan dont est issu le ministre, le chef de l'Etat s'est donné une chance en portant son choix sur son ex-ministre de l'Education Nationale. La troisième raison pourrait venir d'un souci de géopolitique. Pour éviter de se mettre à dos les Akan, Gbagbo a remplacé à ce poste tenu par Aphing Kouassi qui est aussi un Akan par son joker. Si cette théorie est sagement élaborée, il n'en demeure pas moins que dans la pratique, disons dans les casernes, la réalité est tout autre. Réclamant à tue-tête leurs " pécules " sans tenir compte des colorations ethniques des uns et des autres, les militaires se sont arrogé le droit d'interdire même l'accès des casernes à Amani N'Guessan. Quant à leur chef d'Etat-Major à qui ils accordent très peu de considération, désormais, ils n'ont pas hésité à le huer aussi lors d'une rencontre avec le chef de l'Etat au Palais présidentiel. Disons qu'ils sont remontés au point où tout autre commentaire non accompagné de la totalité de leurs primes ne les intéresse point. Du coup, le ministre Amani N'Guessan découvre lui-même ses propres limites dans ce département. Et se ravise qu'il a mordu la poussière.

Le racket, un abcès
difficile à crever
S'il existe un mal pernicieux et fossoyeur de l'économie ivoirienne, presqu'aussi vieux que la Côte d'Ivoire elle-même, c'est bien le racket. Cette forme insidieuse de détroussement des citoyens par les policiers, les gendarmes, les douaniers, les agents des Eaux et Forêts sur les routes et dans les entreprises. A la vérité, deux décennies en arrière, ce fléau rampait de façon subtile, voire secrète. Sa propagation a débuté en l'an 2000, date d'arrivée au pouvoir d'Etat par les militaires, prolongée dans la même année par l'arrivée au pinacle de la République des Refondateurs. Depuis lors, ce fléau ne cesse de gagner en volume. Devenu désormais aussi expansif que l'air, il se présente comme un abcès difficile à crever. Et tous les remèdes prescrits à cet effet ont vite connu des limites. En vérité, au-delà de l'humour que peut dégager cette description des actes des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), se trouve une terre d'Eburnie en pleine souffrance. Un pays dont l'image est de jour comme de nuit écornée et l'aura dégradée à une vitesse inquiétante. Par la faute de personnes, habillées, payées et entretenues, disons nourries et blanchies aux frais des contribuables, qui plus ne parviennent pas à maîtriser la réclame de leurs intestins. C'est aussi la faute aux autorités étatiques qui éprouvent toutes les difficultés à dénicher la personnalité de carrure et de capacités idoines pour restaurer le blason de l'ensemble des FDS. Mais surtout du corps policier.

Désiré Tagro a
confondu la théorie et les réalités du terrain
Au regard de ses nombreuses interventions à caractère juridique sur des points cruciaux des précédents accords, surtout sur la résolution onusienne-la 1633, Laurent Gbagbo a jugé bon de nommer Désiré Tagro au ministère de l'Intérieur. Homme de droit, qui brandit sans froncer les sourcils, les articles de droits aux opposants ivoiriens et à la communauté internationale pour les dissuader dans leur élan, Tagro a tapé ainsi dans l'?il de son maître dont il était auparavant le porte-parole. Manque de pot pour le chef de l'Etat : son homme de main, reconnu par ailleurs comme un véritable caïd au sein des Refondateurs, montre très vite ses limites devant les policiers. Ayant remplacé à ce poste un autre érudit du droit, Martin Bléou, Tagro avait, sans se voiler la face, donné espoir à l'ensemble des Ivoiriens, dans la lutte contre le racket. Huit mois aujourd'hui après sa nomination pour ce fauteuil, le constat est regrettable. Rien n'a bougé d'un iota dans ce département. Bien au contraire, les agents de police et leurs affidés des autres corps, décuplent leurs énergies pour s'enrichir le maximum possible et le plus vite possible. Le sieur Tagro, ayant assurément découvert son incapacité à juguler le fléau, a choisi de mettre cap ailleurs. Il s'occupe plutôt à créer l'émeute autour de sa personne dans des affaires de redéploiement de l'administration ou encore d'identification. Pour donner l'impression d'exister et de tenir des mains de fer son portefeuille, il ose souvent sans ambages des bras de fer avec sa hiérarchie immédiate : le Premier ministre. Laissant en définitive de côté, dans un état immonde et avarié, le fléau qu'est le racket des policiers, pour lequel il a été appelé au prix d'une lutte sans merci.

Gbagbo a arraché de haute lutte, la nomination de Amani et Tagro
Le 24 janvier 2003, lorsque les belligérants de la guerre en Côte d'Ivoire se sont entendus autour d'un premier accord, celui de Marcoussis en France, un fait majeur a retenu l'attention des Ivoiriens et de l'ensemble de la communauté internationale. Le lendemain de cette date, Guillaume Soro, alors secrétaire général du Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI), a déclaré avoir obtenu pour le compte de son mouvement, les ministères stratégiques de la Défense et de la Sécurité. Cette déclaration a suscité en Côte d'Ivoire, ce même jour, un soulèvement anti-français par les personnes proches de Gbagbo. Pour cette raison, ces deux fauteuils sont restés sans occupant durant huit mois, alors même que le Premier ministre Seydou Elimane Diarra sorti de l'éprouvette de l'Hexagone le 25 janvier, travaillait avec son équipe qu'il a mise sur place. Les portefeuilles de la Défense et de la Sécurité ne seront pourvus que le 12 septembre de la même année par des personnes de la société civile après moult tractations. D'ailleurs, ces ministres sont restés contestés par les Forces Nouvelles jusqu'à leur départ. Récemment encore, au passage de M. Charles Konan Banny à la Primature, cette lutte pour la récupération de ces deux postes a eu lieu entre le camp présidentiel et celui des Forces Nouvelles. Là encore, ce sont deux citoyens de la société civile qui ont été retenus. A l'avènement de la résolution 1721, réfutée en bloc par le chef de l'Etat qui a préféré tendre la main à ses adversaires, M. Banny et ses hommes ont plié bagages. Avec dans les rangs, ces deux ministres de la Défense et de la Sécurité. Pour obtenir cette fois-ci ces portefeuilles tant convoités, Gbagbo a accepté de concéder à la signature de l'accord de Ouaga, le fauteuil de Premier ministre au patron des Forces Nouvelles. Ainsi des rangs des Refondateurs sont pêchées ces personnes qui devaient réussir à repolir l'image du pays. Un visage qui est dans un état de déliquescence avancée. Seulement, à la fin, le " Woody " de Mama est appelé à déchanter. Ses deux hommes, au pied du mur, ont montré leur carence. Ils se sont avérés de mauvais maçons. Ils ne font pas le poids. Cela est visible. Et même flagrant. De fait, entre la restauration de la sécurité, la sérénité des Ivoiriens et l'envie de faire plaisir à des copains qui pourraient "prendre la mouche" s'ils sont limogés, Gbagbo est invité à aviser. La Côte d'Ivoire est entre ses mains. Et ce n'est pas un jeu puéril. Il le sait. Du moins, se dit-on.
(par Adolphe Kouilahan)

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