vendredi 1 février 2008 par Le Repère

La zone portuaire a été le théâtre d`une marche pacifique des victimes des déchets toxiques le 28 janvier dernier. Ces marcheurs qui revendiquaient leur prise en charge dans le dédommagement des victimes desdits déchets ont été violemment réprimés par des éléments des forces de l`ordre. Dans l`interview qu`il nous a accordée deux jours après , le Secrétaire général de la centrale Dignité, M. Mahan Gahé a donné les raisons qui ont motivé cette marche. Il continue de réclamer justice et vérité dans ce scandale dont on n`a pas encore fini de parler.

Monsieur le secrétaire général, il y a deux jours, des victimes des déchets toxiques ont entamé une marche dans la zone portuaire. Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette marche ?

La zone portuaire est composée en grande partie d`entreprises. Vous avez tout le port autonome qui a pas mal de travailleurs. Plus de 12.000. Ensuite, vous avez toute la zone de Vridi qui est en grande partie occupée par plusieurs entreprises. Il y a des êtres humains qui travaillent dans ces entreprises. Des êtres humains qui sont nos militants. Vous avez à côté, malheureusement, des gens qui habitent cette zone de Vridi. Parce que les travailleurs qui sont très mal payés sont obligés de loger dans des gargotes non loin de leur lieu de travail. Ce n`est pas de gaieté de c?ur qu`ils habitent dans ces planques. Comment nous nous sommes retrouvé là ? Les gens s`étonnent. Nous ne sommes pas là pour sauter sur les occasions. Certains dockers sont affiliés à la centrale Dignité. D`autres sont affiliés à l`UGTCI et aussi à la FESACI. Ce sont ces membres là qui sont venus nous voir et qui nous ont dit : " Ils sont en train de dédommager tout le monde et on a été oublié?. On leur a dit de se constituer en collectif. Il fallait les assister puisque ce sont nos militants. Il ne faut pas seulement encaisser les cotisations et croiser les bras dans nos bureaux quand nos membres sont en difficulté. C`est ainsi que nous avons structuré le mouvement. Et comme des gens civilisés, nous avons sollicité un rendez-vous à la cellule présidentielle (chargé de l`indemnisation des victimes des déchets toxiques, ndlr). C`est pour vous dire que nous ne nous sommes pas retrouvé du coup en train de nous manifester. C`est depuis le mois d`octobre 2007 que nous avons cherché à avoir la cellule présidentielle sans bruit. C`était pour demander à la cellule présidentielle pourquoi nos camarades ont été lésés dans la répartition des 100 milliards. Il nous ont fait comprendre qu`il n`y a pas eu de communiqués, il y a eu des listes où les victimes devaient être inscrites. Je leur ai dit que je n`étais pas d`accord avec eux car la zone portuaire de Vridi est la zone où tout le monde est victime. Toute la Côte d`Ivoire sait que le Probo Koala a accosté à Vridi où les déchets ont été déchargés. A partir du moment où ça a été déchargé sur le quai du port, le vent des déchets a pris tout le port. Quand on parle du Port ce n`est pas seulement M. Marcel Gossio à qui je disais hier qu`il était lui aussi une victime. Lui, il a les moyens financiers. Mais quid du pauvre docker ? Il y a eu des entreprises qui ont fermé à cause des odeurs. Imaginez le sort de quelqu`un qui habite au port avec sa femme et ses enfants parce qu`il a voulu se rapprocher de son lieu de travail. C`est comme cela que dans les rangs des dockers et d`autres entreprises, des gens ont contracté des maladies bizarres qui ne sont ni de la tuberculoses ni toutes les autres maladies que vous connaissez. Avez-vous des exemples précis de maladies, des chiffres de personnes aujourd`hui affectées ?
Je ne peux pas vous donner des chiffres. Mais je parle des faits palpables. La vérité est que les gens sont toujours malades. Quand nous avons vu la cellule présidentielle, on nous a dit que les choses sont déjà transférées au trésor. Nous avons donc écrit au directeur général du Trésor pour lui dire " Attention, les listes que vous avez sont erronées peut-être. On vous prie d`attendre, nous allons discuter avec la cellule présidentielle. Ne payez pas pour le moment les gens. Nous trouvons injuste que les victimes de Vridi qui dorment au Port matin, midi et soir, ne soient pas pris en compte et que ce soit des gens qui dorment dans les grosses villas à la Riviéra, à Cocody qui dressent des listes et qu`on commence à payer. Ça là, ça sent autre chose. Donc dédommagez les vraies victimes " Ça sent quoi, selon vous ?
Ça sent la corruption, ça sent le fait qu'on privilégie son frère. Quelqu`un qui vient de mon village qui n`est pas victime et je donne son nom. Voulez-vous parler de tribalisme dans cette affaire ?
Non ! Ce n`est pas du tribalisme. C`est une question de Mamadou privilégie son frère Mamadou, Kouadio privilégie un autre Kouadio. Ce que vous êtes en train de dire est suffisamment grave
Comment ? Ce que j`ai dit ? Mais, je l`ai déjà dit à la cellule présidentielle. Il est inconcevable de dédommager des non victimes au détriment des vraies. Il y a des personnes victimes qui n`ont pas leurs noms sur la liste. Vous savez que le marché du travail est cher en Côte d`Ivoire. Si le pauvre ouvrier va s`aligner chez le médecin parce qu`il est malade. Si le médecin ne lui délivre pas un papier justifiant qu`il est allé s`inscrire, cet ouvrier est considéré comme un absent à son poste. Or ici, il n`y a pas de sanction intermédiaire. Ou bien vous êtes licencié ou bien vous n`allez pas vous inscrire. Ce sont des cas que nous vivons. Les travailleurs ont eu peur de laisser leur poste pour aller s`inscrire. Donc, nous avons proposé ceci à la cellule présidentielle. Toute la Côte d`Ivoire depuis le chef de l`Etat jusqu`au dernier balayeur doit reconnaître que tous ceux qui sont dans la zone de Vridi où on a déchargé les produits toxiques sont des victimes. Les femmes et les enfants de cette zone également en sont victimes. Ils disent " Mais, il y aura du monde ! ". J`ai dit " Oui, il y aura du monde car c`est tout ce monde qui a été contaminé et qu`il faut reconnaître ". La cellule m`a dit : "Mais, comment recenser". J`ai dit " C`est simple. Quand vous allez aux élections vous arrivez à recenser tout le monde. Même jusqu`à Toulepleu. Donc ce n`est pas ceux de Vridi qui vont poser problème. Si l`Etat le fait, il y aura justice et équité ". Les gens ne nous ont pas écouté. On a écrit au Trésor, pas de réponse. On fait des va-et-vient. Nous avons écrit au ministre de l`Intérieur. Nous avons bien avant appris que le Trésor donnait aux entreprises de Vridi environ 100 millions F CFA. Et donc, on a pensé que les entreprises allaient appeler les travailleurs afin qu`ils s`entendent. Ils nous font croire que c`est l`entreprise qui a été dédommagée. En un mot, ce sont les murs, les machines qui ont été intoxiqués et les êtres humains peuvent mourir. Nous disons non. Et comme préavis nous avons écrit au ministre de l`Intérieur pour dire que dans les 10 jours qui arrivaient, si on ne nous invitait pas à une table de discussion, nous allions démontrer que ce sont des milliers de victimes qui n`ont pas été dédommagées. Dans un pays où les autorités connaissent les textes et les structures comme cela se fait normalement, le ministère devrait nous appeler. Nous avons fait une ampliation au ministre de la Fonction publique. Il devrait nous appeler pour nous demander ce qui se passait ou nous dire de venir discuter ou même " foutez-nous le camp "! On n`a pas eu de réponse. Nous avons attendu jusqu`au 28 janvier. Dans la lettre du ministre de l`Intérieur, nous avions pris soin de préciser notre itinéraire, la date et les différentes heures. Nous avions aussi demandé que la marche soit encadrée par les forces de l`ordre. Donc il devrait nous répondre. Le jour de la marche, le lundi 28 janvier dernier, comme si on était a Bouaké le jour de l`éclatement de la guerre, ce sont les cargos de CRS, de bérets rouges Au début, nous avions pensé qu`ils venaient pour encadrer notre marche et puis à notre grande surprise ils ont commencé à lancer des bombes lacrymogènes. Il avait aussi des cargos de chiens comme en Afrique du Sud sous l`apartheid.
Connaissez-vous la compagnie qui avait les chiens ?
Excusez, mais je ne connais pas le nom des corps. Mais ils étaient habillés en tout noir.
Etaient-ce des éléments de la police nationale ?
Oui ! Bien sûr ! Ils ont des habits qui collent et tout noir. Ils ont lâché les chiens sur les gens. Mais, il y avait de la détermination. Des gens ont affronté les chiens et ils ont été mordus. Après, ils ont tiré a balles réelles sur les gens. Il y a eu beaucoup de blessés dont 24 graves qui sont dans les hôpitaux. J`ai été voir certains leaders des droits de l`homme et l`ONUCI. Ils m`ont demandé de retrouver tous les blessés afin qu`ils viennent les voir. Ils ont aussi brûlé une maison à la roquette. En un mot comme si on était en guerre. Voilà un peu ce qui s`est passé ce jour là.
Y a-t-il eu mort d`homme ?
On croyait que c`était un bébé qui était mort. Or il vit parce qu`il a été réanimé. C`est le gaz qui l`a étouffé. La bombe est tombée à coté de lui. Il était couché dans la cour, et comme un bébé ne peut pas courir il a inhalé le gaz. Quelques heures après à l`hôpital il a été réanimé. Les médecins qui étaient avec nous peuvent témoigner. J`ai appelé le capitaine Camara pour lui dire que je ne comprenais pas cet acte de barbarie à la place d`un encadrement pacifique de ses éléments. il m`a dit " J`ai reçu l`ordre ".
De qui ?
Mais ne vous en faites pas. Le bon Dieu est toujours avec les pauvres. Moi, j`ai reçu un coup de fil du DG du port autonome, hier. Je lui ai dit que ce n`était pas une grève contre le port. Ne mélangeons pas les choses. Parce que selon lui les dockers sont venus demander une augmentation de salaire. Je lui ai dit " M. le directeur, regardez le préavis qu`on a envoyé au ministère de l`Intérieur, à votre syndicat de patronat, aux PME. Vous verrez qu`on a dit que la manifestation commençait à 6h et elle prenait fin à 12h. La manifestation était loin du port puisque le meeting se fait au rond point du tri postal. Enfin on a aussi demandé que la marche soit encadrée par le ministère de l`Intérieure. Et il a dit " Ha ! J`ai compris ". J`ai demandé à tous les dockers de reprendre le boulot. Ce qu`ils ont fait. Et chose bizarre, ils attendent qu`on manifeste le 28 pour qu`ils écrivent maintenant aux différents syndicats du port pour leur demander de venir à la présidence pour qu`on discute. Qui a écrit ? (Il présente le courrier : NDLR)
C`est le syndicat des employés du port qui a écrit aux dockers. Donc, il a reçu information de la cellule présidentielle. Monsieur le secrétaire général, selon vous, qui a donné l`ordre qu`on réprime de cette façon les dockers qui marchaient pacifiquement ?
Le capitaine Camara nous a dit qu`il a reçu un ordre. Il a refusé de nous dire qui a donné l`ordre. C`est donc lui qui sait qui l`a envoyé. Nous, nous demandons au ministre de l`Intérieure de sécuriser notre manifestation, non pour être agressés violemment. Déduisez-vous que c`est le ministre de l`Intérieur qui a donné l`ordre ?
Juridiquement, je ne peux pas dire oui. Mais la réaction violente de la police nous a surpris.
Quelle suite entendez-vous donner à cette affaire ?
Les victimes des déchets toxiques doivent être dédommagées et tous nos camarades de Vridi aussi, sans exception
Combien sont-ils?
Ecoutez, on saura bientôt le nombre exact. Prenez toute la population de Vridi. Les habitants et les travailleurs depuis le 18 août 2006 jusqu`à aujourd`hui. Ce que je peux confirmer et vous pouvez aller vérifier, c`est que les déchets toxiques sont toujours au port dans deux entreprises.
Lesquelles ?
Excusez moi, je n`ai pas les noms exacts mais les déchets toxiques sont actuellement au port.
En stockage ?
En stockage mais dans les containers. On nous dit que c`est parti, mais c`est encore là. J`ai bien peur qu`on aille déverser ces déchets à l`intérieur du pays. Il est important que nous soyons vigilants. Vous avez dit que cette affaire irait très loin. Que devons-nous entendre par là ?
Comme nous avons été brimés de façon sauvage de la part des FDS, nous allons porter plainte auprès du procureur général de la République et aussi de Ange Kessy au tribunal militaire. Nous avons touché les confédérations au niveau international pour nous aider à introduire notre plainte au niveau de Londres en Angleterre afin que nous nous portions partie civile.
Vous portez plainte contre qui ?
Nous portons plainte contre l`Etat de Côte d`Ivoire et contre le Probo Koala. Que deviennent vos camarades qui ont été arrêtés ?
Ils sont tous sortis. J`ai touché le député William Atéby le soir vers 22h et il a joint le ministre de la Défense et tout le monde a été relaxé à minuit. Mais après quelle humiliation ! Ils ont mis les filles nues pour qu`elles dansent le mapouka devant les gendarmes et leurs familles et ça criait. C`est la honte totale. Où cela s`est-il passé ?
A la gendarmerie du port autonome d`Abidjan. Quel est le regard d`ensemble que vous jetez globalement sur le scandale des déchets toxiques ?
Il faudrait qu`on sache la personnalité politique qui a donné l`ordre de laisser le bateau venir accoster en Côte d`Ivoire. Jusqu`à ce jour, nous sommes restés dans le flou. Même l`objet de notre plainte en tant qu`association syndicale, en tant que des êtres humains. Nous devons savoir qui a donné l`ordre de venir tuer les Ivoiriens. Ce n`est pas seulement l`argent. On peut vous donner l`argent mais si vous avez été intoxiqué même avec 1 milliard et que vous mourez après, l`argent n`aura pas servi. Pour ne plus que ça recommence, il faut que cette personnalité politique soit punie. Pourquoi parlez-vous de personnalité politique ?
Pensez-vous que moi personne privée et vous, nous puissions faire entrer comme ça un bateau dans un pays sans la main d`une personne politique connue. Les bateaux ou les avions n`entrent pas au hasard dans un pays. Il y a une enquête qui a rendu ses résultats. Vous avez connaissance de ces résultats. Qu`est-ce que vous en pensez?
Je n`ai pas pris connaissance de ces résultats. Il y a des personnalités qui ont été citées. Que pensez-vous de tout cela ?
Je n`ai pas apprécié la manière dont cela s`est découlé au début. C`était un peu des règlements de comptes entre les personnalités de ce pays. Toutes ces personnalités ont été ridiculisées. Elles sont allées jusqu`à brûler la maison d`autres. On sait que Trafigura a déposé les dossiers. Il faut qu`on nous dise clairement quels sont les accords qui ont été signés et puis Trafigura est venu ici. Il ne faut pas qu`ils fassent disparaître ces papiers. Vous vous manifestez dans un contexte où on parle des accords de Ouaga. Est-ce que vous n`êtes pas en train de nier vos engagements pris au début de la crise par rapport à la défense des institutions républicaines et surtout le fait de ne pas mettre en mal le processus de paix ?
Je suis prêt à recommencer ce que j`ai fait. En tant que confédération syndicale quand la République est attaquée, ce n`est pas la personne qui est visée. C`est plutôt la République. J`ai expliqué qu`on avait été attaqué par la France. Je l`ai dit au Bureau international du travail à Genève. Il y a eu le Burkina Faso, le Mali qui ont porté plainte contre moi. L`accord de Ouaga n`a rien à avoir avec le Probo Koala. Laurent Gbagbo est le chef de l`Etat et il n`y a pas de petit problème. Il doit régler le problème du Probo Koala et gérer les accords de Ouaga. C`est un peu comme le problème des enseignements qu`il faut régler simultanément avec d`autres problèmes. Il est président pour quoi, pour qui ? Pour les êtres humains, je crois. Il a beaucoup de conseillers.
Vous êtes taxés de rouler pour le FPI et aujourd`hui vous portez plainte contre l`Etat alors que c`est le FPI qui est au pouvoir. Comment cela peut-il être perçu ?
Ce n`est pas le FPI qui gouverne. Le président n`est pas le seul qui gouverne. Ce sont tous les partis issus des accords de Marcoussis. La démocratie voudrait bien que je sois 100% FPI, mais s`il pose un acte regrettable, je dirai non. Et là, vous êtes en train de dénoncer la gestion de Laurent Gbagbo. Il a passé son mandat à régler les conflits. Il est allé de sommet à sommet. Ce n`est pas cela gérer un pays. On parlera de sa gestion quand il sera réélu aux prochaines élections. L`affaire des déchets toxiques s`est passée à Abidjan. Le président de la République est censé maîtriser cette zone. Alors, selon vous, comment devrait-il procéder pour régler cette affaire dans le sens de la détermination des responsabilités individuelles et collectives et aussi du dédommagement de toutes les victimes?
Quand les déchets toxiques sont arrivés, il y a eu plusieurs personnes mêlées. Il y a le président de la République, le premier ministre, le ministre du transport Donc c`était un véritable capharnaüm où on ne peut accuser personne. Donc, ce n`est pas la gestion d`un parti. C`est la gestion d`un gouvernement dit de réconciliation nationale. Donc je demanderai à Laurent Gbagbo ou à Soro Guillaume pour le règlement des affaires des déchets toxiques de mettre un ministère à la disposition des victimes pour que le vrai recensement se fasse. Nous, en tant que confédération, nous pourrons faire des propositions. Que la mairie de Port-Bouët recense sa population. Madame le maire Aka Anghui peut donner les listes et tout le monde sera dédommagé.

Interview réalisée par André Silver Konan et Jules Claver Aka
Coll : F. C (Stagiaire)

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