mercredi 23 janvier 2008 par Notre Voie

Concernant la repentance, Sarkozy a le mérite de tourner le dos à l'hypocrisie. C'est facile pour n'importe quel Européen de balbutier un mea culpa à l'entrée de Gorée, le visage tourné vers la route du non retour, mais en s'en moquant intérieurement. La culpabilité ne se transmet ni génétiquement ni culturellement. Quant à l'indemnisation revendiquée, on peut déjà parier que si par l'impossible elle était versée, elle ne manquerait pas de se retrouver aussitôt en Suisse et sur la Côte d'Azur, sous forme de comptes bancaires à code secret ou sous forme de somptueuses villas de vacances. Les juifs, eux, ils ont utilisé l'argent versé par les Allemands à transformer le désert en verger. Il n'est pas question de minimiser les ravages de la traite négrière et de la colonisation. Mais ce phénomène qui relève de ce que nous appelons "la loi du rapport du loup au mouton" ne concerne pas que les Noirs d'Afrique. C'est un phénomène universel qui remonte à la nuit des temps. S'agissant de la traite négrière, sujet le plus sensible, elle est un phénomène unique par son organisation et par son ampleur, mais pas par sa nature. Esclavagisme, féodalité, colonialisme, néocolonialisme et mondialisme sont les avatars d'un même atavisme, à savoir "l'exploitation de l'homme par l'homme" autour de laquelle s'est bâtie la très généreuse ?uvre de Karl Marx. Pour ce qui concerne les Africains, l'on n'occultera pas la part qu'ils ont eux-mêmes prise dans la construction de leur propre malheur (Kabou, 1991). D'ailleurs cette douloureuse expérience ne semble avoir nullement servi de leçon, alors que l'adage nous enseigne que "à quelque chose malheur est bon" et que l'expérience montre que s'étant rebâti sur ses malheurs, Israël, du haut de ses lilliputiens 21 000 km_, fait trembler une multitude nations.
L'esclavagisme est le trait social dominant de la Rome et de la Grèce antiques. A Rome, les esclaves sont Thraces, Parthes, Syriens, Grecs et Juifs. Du temps de Spartacus, ils constituaient la majorité de la population et les Noirs étaient plutôt rares. Le traitement dont ils étaient l'objet, décrit sous toutes ses facettes par Max Gallo (2006), n'est pas différent en horreur de celui que rapporte l'histoire de la traite négrière. Et puis, tout le Moyen-Âge européen est caractérisé par une féodalité parasitaire dans laquelle la vie du serf est à peine meilleure que celle du nègre des champs de coton et de canne de l'Amérique pré-abolitionniste. L'impitoyable exploitation des ouvriers (hommes, femmes et enfants tous blancs) par le capitalisme naissant des 18e et 19e siècles, s'apparente elle-même à l'esclavage, même s'il y avait salaire. Les enfants ont travaille 15 heures par jour sans aucune forme de repos autre que le sommeil nocturne. L'égoïsme humain, mère de toutes les cruautés, est sans frontière ni dans le temps, ni dans l'espace.
S'agissant du vice colonial, il n'est pratiquement pas de nation qui n'en ait fait les frais sur cette Terre. Les Gaullois, dont la France est héritière, ont été soumis par César, le Romain, dont ils ont hérité le latin qui, en s'abâtardissant, a donné le français. La divine boisson qu'est le vin dans l'Hexagone est aussi un héritage de l'impitoyable colonisateur transalpin. Un siècle avant César, Carthage avait subi la loi d'airain, qui avait abouti à sa destruction et au massacre de ses habitants. Ce rayage de la carte du monde fut, probablement, le premier génocide de l'histoire. Tous les colonisateurs du 19e et 20e siècle sont donc, sans exception, d'anciens colonisés. Les espagnols ont même vécu sous le joug des Arabes durant cinq siècles et les Français y ont échappé de justesse. Des africains ont aussi soumis d'autres africains, de façon sanglante, pour constituer des empires. Le côté jardin de la nature humaine trouve sa meilleure illustration dans l'aventure hitlérienne, l'exterminateur moustachu qui n'avait foi que dans une race imaginaire. Lui, qui ne s'embarrasse de nuances, disait : "est injuste ce qui est contre les intérêts allemands". Dans cette entreprise de répenti-réparation dont rêvent beaucoup d'Africains, il faudrait pouvoir identifier objectivement, dans le temps et dans l'espace, toutes les victimes et tous les coupables. Mais, moi, je vois mal un égyptien ou un saoudien en train de confesser auprès du souverain espagnol, les sévisses infligés par ses ancêtres moyenâgeux aux sujets rétroactifs de sa Majesté ibérique.
Pour ce qui est du colonialisme issu de la conférence de Berlin, les cruautés perpétrées diffèrent fortement d'un lieu à l'autre. Le million d'Algériens tués durant les huit années d'une guerre imposée par la France n'est pas comparables aux pertes subies par les indigènes d'Afrique équatoriale et occidentale. A l'heure des indépendances, certains territoires comme le Gabon n'en voulaient même pas et aspiraient, au contraire, à la prestigieuse citoyenneté française. Du reste, les pays comme la Côte d'Ivoire où des noms de rue, de quartiers ou de sites immortalisent des coloniaux comme Binger, Bouët, Latrille ou Galliéni, ne peuvent pas se prévaloir d'un passé particulièrement douloureux avec la Métropole. Ici et là, certains de ces Blancs ont même fait preuve d'un niveau de dévouement qu'on a de la peine à retrouver parmi les Noirs qui se sont installés dans leurs fauteuils. Néanmoins, pour certains territoires subsahariens comme le Congo léopoldien, le Kenya des Mau Mau et les anciennes colonies portugaises, l'amertume à l'algérienne est tout à fait légitime.
Ce que Sarkozy propose à l'Afrique à travers sa jeunesse, c'est le rendez-vous du "donner et du recevoir", cher à Senghor. L'Afrique n'a pas que ses matières premières. Ses "intelligences qui sont en jachère" et sa "pensée qui est au repos" (Akindès, 1996) n'attendent que le premier coup de pioche, qui ne peut être la "comédie" dans laquelle les Républiques-spectacles ont choisi d'exceller (Tailly, 2005). Le rendez-vous de l'échange, ce sont des projets d'intérêt commun dans des domaines aussi variés que la science, la culture et la migration, dans lesquels chacune des parties doit pouvoir trouver son compte. Il y a encore trop de choses à découvrir et à inventer sur ce continent sur lequel la science et la technique restent reléguées au rang des superflus. Il appartient aux Africains de présenter des projets pertinents à partir de diagnostics rigoureux, sans s'abîmer corps et âme dans les alliances du genre Françafrique et Eurafrique, Chinafrique et autre Japonafrique qui ne disent pas toujours leur nom. Il y a deux façons d'envisager l'Afrique au sud du Sahara : (i) un mouroir qui ne présente d'intérêt que ses matières premières (Afrique sans Africains : Glacer et al. 1996), (ii) une terre d'espérance où les uns et les autres vont finir par comprendre qu'ils font fausse route et accepter les ajustements nécessaires (Merlin, 201 ; Futurs africains/PNUD (2003).
En guise de conclusion. Contrairement à son prédécesseur, Sarkozy est visiblement de ceux qui, au Nord, croient encore en l'Afrique. Son discours est en priorité dirigée vers les jeunes parce qu'il est lui-même relativement jeune, et aussi parce qu'il sait qu'il est plus facile d'imprimer la droiture à un arbre émergent qu'à un vieil arbre tordu. Il est convaincu que, entre leurs mains, l'Afrique peut se bâtir un destin autre que celui d'être assistée si, contrairement à leurs aînés, les jeunes s'arment d'une âme de bâtisseurs et non de prédateurs, d'acteurs convaincus et non d'experts du verbe. En tout état de cause, son circonstanciel appel ne peut avoir moins de mérite que le discours autochtone permanent arc-bouté sur l'idée de liberté, de souveraineté et de démocratie toutes illusoires. L'Afrique reste à réinventer car celle de "l'irrationnel" et du "mimétisme" est sans avenir (Dumont, 1962 ; Kabou, 1991 ; Smith, 2003). A mercredi prochain.

Par Ildefonse Ndabalishye
(Consultant, expert en Systèmes agricoles et en Développement rural)

Par Ildefonse Ndabalishye

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