vendredi 11 janvier 2008 par Le Repère

Universitaire doublé d'un mathématicien hors paire, ex-ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du Président Henri Konan Bédié, on n'avait plus entendu le professeur Saliou Touré depuis de longues années. Que fait-il ? Que devient-il ? Ses rapports avec le Président Bédié et les autres militants du PDCI-RDA. Son regard sur l'enseignement supérieur en Côte d'Ivoire C'est de tout cela que le professeur Saliou parle.

Quand on évoque votre nom, on pense tout de suite aux mathématiques, à l'enseignant, à la formation. Aujourd'hui, vous présidez les destinées de l'université internationale de Grand-Bassam. Qu'est-ce qui vous a amené à prendre les rênes de cette institution ?
Je vous remercie. Comme vous le savez, j'ai été pendant longtemps le ministre de l'Enseignement supérieur du président Henri Konan Bédié. D'après le discours programme du président Bédié prononcé à Yamoussoukro en 1995, le président avait formé bon nombre d'institutions en Côte d'Ivoire, en particulier dans le domaine de l'éducation et de la formation. C'est ainsi que le président Bédié m'avait permis d'aller aux Etat Unis pour nouer des contacts avec de grandes universités de recherche pour nous en inspirer. C'est à la suite de ce voyage que nous avons mis en place une recherche de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique dès septembre 1995. Cette reforme avait plusieurs objectifs. Il s'agissait de redéfinir plusieurs objectifs pour l'enseignement supérieur en Côte d'Ivoire. Il s'agit aussi d'associer à la formation des jeunes Ivoiriens des entreprises ivoiriennes parce que l'université n'est pas seule à se mettre au service du développement national. C'est ainsi que nous avons fait cette reforme avec la bénédiction du président de la République et du premier ministre Daniel Kablan Duncan. A la suite de cela, j'avais souhaité en Côte d'Ivoire une université du type américain parce que j'avais eu l'occasion de côtoyer des universités américaines pour voir la qualité des formations américaines. A l'époque, le gouvernement avait accepté de créer cette institution américaine en Côte d'Ivoire. Par la suite, nous avons dû partir voir et les choses ont continué. D'ailleurs, tous les gouvernements qui nous ont succédé ont continué à respecter l'orientation qui avait été définie. C'est à la suite de beaucoup de demandes avec le département d'Etat aux Etats-Unis, avec l'USD, avec la banque mondiale (La grande partie de ces démarches a été faite par le premier ministre Duncan) que l'université internationale de Grand Bassam avait été créée sur le modèle américain. Les formations sont données en anglais ; tous les cours sont donnés en Anglais. La gestion est une gestion américaine. Alors, vous me demandez pourquoi j'ai accepté de prendre la présidence de cette université. C'est simple, c'est qu'ayant été à l'origine de cette affaire avec la bénédiction de mes patrons de l'époque (Bédié et Duncan), l'université avait été dirigée par une dame américaine, Polan Dersel. Mais c'est qu'en 2006, Polan Dersel a préféré se retirer et se consacrer à ses activités aux Etats-Unis. Elle est allée voir le premier ministre Duncan pour que celui-ci me demande d'accepter de présider l'université. C'est donc ainsi que le premier ministre Duncan me l'a demandé ; il a été mon patron, je ne pouvais pas refuser ce service à la Côte d'Ivoire.

M. le ministre, ce qui surprend un peu, c'est que le style américain et le style francophone auquel avait adhéré la Côte d'Ivoire sont totalement différents. Est-ce que ça ne crée pas un problème? Et puis où est-ce que vous recrutez vos étudiants qui doivent accéder à cette université? Quel est le profil, et les enseignants qui dispensent les cours ?
Concernant la création de l'UIGB, il n'y a de conflit avec personne. Plusieurs systèmes peuvent coexister dans un même pays. Je prends le cas de la France, vous trouverez des Busness school, des centres de formation où les enseignements sont entièrement en anglais. Nous, Ivoiriens, ayant constaté la qualité de l'enseignement américain, nous avons souhaité créer ce type d'enseignement en Côte d'Ivoire qui cohabite avec le système francophone. Nous connaissons dans nos universités que j'ai eu à gérer pendant un certain temps, que ce soit l'université de Cocody, d'Abobo-Adjamé ou celle de Bouaké, le système francophone. Mais personne ne nous interdit de regarder ailleurs et c'est ce que nous avons fait en toute liberté. Concernant les cours, ils sont dispensés en anglais, la gestion est en anglais. Les cours sont dispensés par des enseignants qui ont fait leurs études soit aux Etats-Unis, soit en Grande Bretagne soit au Canada ou même en Europe. Nous avons des professeurs très qualifiés. Je recruterai un Ivoirien déjà professeur à Racheter Institut for Technology autour de New York, qui va diriger l'école de business à partir de septembre prochain. C'est le jeune N'Da Koffi. Et d'autres viendront. Il y a des Américains qui enseignent des Asiatiques. Nous recrutons nos enseignants parmi les meilleurs venant du monde entier. Il n'y a que des Ivoiriens qui ont fait leurs études aux Etats-Unis. Le seul critère, c'est la compétence et les cours en anglais. Voici nos critères. Quant aux étudiants, ils viennent de la sous région puisque le président Bédié avait voulu une université qui se mette au service du développement du pays et de la sous région. Donc est une université à vocation régionale. Vous y trouverez des Burkinabé, 1 Ghanéen, 1 Togolais, ainsi de suite. Des étudiants venant d'un peu partout.

Avec les outils que vous donnez à vos étudiants, notamment les cours en anglais, les outils pragmatiques, est ce qu'on peut dire que vous formez des travailleurs pour le monde entier et qui ont des compétences pour travailler dans le monde entier, qui arrivent à s'épanouir avec les outils que vous leurs donnez ?
C'est aussi l'un des objectifs premiers de notre université. Nous avions au départ voulu créer une université qui puisse former des élites du monde entier, des élites africaines qui pourront travailler n'importe où dans le monde. Vous savez que l'anglais est une langue incontournable dans tous les domaines économiques, de la science, même la littérature. Donc, les étudiants qui sont formés dans notre université pourront signer un peu partout dans le monde. Je suis en train de signer beaucoup d'accord avec beaucoup d'entreprises londoniennes de façon à ce que nos étudiants puissent commencer leurs études ici et aller les terminer aux Etats-Unis. De sorte qu'ils auront la bi-diplomation. Ils auront le diplôme de l'UIGB et ils auront le diplôme de cette autre université. D'ailleurs, très bientôt, je vais recevoir nos partenaires américains pour pouvoir finaliser tout ça. Nous allons faire un séminaire pendant toute la semaine prochaine à Grand-Bassam pour nous mettre d'accord sur le type de diplôme, sur les différentes formations que nous sommes en train de dispenser. Donc en moralité, nos Etudiants pourront travailler partout dans le monde.

Ancien ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, vous êtes aussi la cheville ouvrière de l'Institut de la Recherche mathématique. Aujourd'hui, quel regard portez-vous sur l'ensemble de l'enseignement supérieur en Côte d'Ivoire ?
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, l'enseignement supérieur a été reformé par le gouvernement du président Bédié depuis septembre 1995. A l'époque, nous avions défini les grandes orientations de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique en Côte d'Ivoire. Tous les textes fondamentaux avaient été pris à cette époque. Aujourd'hui, je suis heureux de constater que le ministre Cissé Bacongo a pris la relève et qu'il est en train d'appliquer la reforme qui a été définie dès cette époque. Je crois que l'enseignement supérieur est sur la bonne voie. Il y a eu des difficultés, on ne peut pas le nier. Il y a eu les problèmes de machettes, des résidences universitaires, bref. Beaucoup de problèmes sont en train d'être résolus et je pense que je suis heureux et fier de constater que ceux qui nous ont succédé et particulièrement le ministre actuel, le ministre Cissé Bacongo est en train de mettre en application les reformes de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique définies dès 1995.

Aujourd'hui, l'enseignement supérieur, tout comme l'enseignement général est en perte de vitesse par rapport à certaines difficultés. Comment pensez-vous qu'on puisse les surmonter ?
Je pense qu'avec beaucoup de volonté et de moyens, il ne faut pas négliger les moyens, toutes les difficultés peuvent être surmontées J'ai toujours eu la passion pour la formation de la jeunesse. Je suis convaincu que pour qu'un pays se développe, il faut qu'il dispose de cadres, bien formés dans tous les secteurs. Des cadres compétents et responsables et qui sachent développer la solidarité entre les êtres humains.

M. le ministre, vous n'avez cessé de faire allusion au président Bédié et au premier ministre Duncan, vos patrons d'alors. Ils sont toujours en politique, on les voit un peu partout. Par contre, on ne vous voit plus sur la scène politique. Pourquoi ?
C'est vrai qu'on ne me voit plus activement sur la scène politique, mais je garde mes convictions. Etant à la tête de l'UIGB, j'ai un statut de diplomate. Et à ce titre, j'ai le devoir de réserve. Par contre, je garde mes amitiés, je garde mes relations avec mes amis, avec le président Bédié, avec le premier ministre Duncan que je vois régulièrement. Donc, de ce point de vue, il n'y a absolument pas de problème. Seulement, je ne peux plus être véritablement actif comme il y a dix ans.

Mais les convictions restent ?
Absolument. C'est pour cela que je vous disais que je garde mes amitiés solides, je les développe, je les cultive. Il n'est pas question que je renie quoi que ce soit de mon passé.

M. le ministre, pensez-vous que les réformes initiées sous le président Bédié sont encore d'actualité et peuvent encore servir ?
Absolument. Je suis convaincu que les idées généreuses qui ont été émises à l'époque, rappelons le discours du président Bédié de 1995 à Yamoussoukro, à la fondation Félix Houphouët-Boigny, les grandes idées qui ont été émises, les orientations qui ont été définies restent d'actualité. Il suffit de les revoir un peu et de les modifier pour tenir compte de l'actualité. Et je suis convaincu que ça doit pouvoir servir de boussole à la Côte d'Ivoire.

M. le ministre, l'enseignement supérieur connaît aujourd'hui un véritable boom. Les grandes écoles se développent pour donner une formation pratique. Vous êtes à l'origine de la démocratisation de l'enseignement supérieur avec l'université de Bouaké. Comment pensez-vous que tout cela doit être réorienté pour que les Etudiants puissent être mieux formés et servir le pays?
Effectivement, c'est dès 1995 que les grands chantiers de la formation ont été définis. Je ne dis pas que rien n'a été fait avant, mais à cette époque, il était nécessaire de mettre de l'ordre et de redéfinir de nouvelles missions pour l'enseignement supérieur et la recherche scientifique, conformément aux programmes définis par le président Bédié, président de la République à cette époque. Cela a été fait. Les choses continuent aujourd'hui. C'est vrai, il y a eu des difficultés mais, ces difficultés seront résolues par les équipes actuelles. Nous avons fait ce qu'il était nécessaire de faire sous l'autorité du président Bédié, du premier ministre Duncan. Nous avons réussi à mettre les choses en route. Aujourd'hui, il s'agit d'appliquer véritablement la politique qui a été définie. Et encore une fois, je suis sûr que l'actuel ministre, Cissé Bacongo est en train de faire ce qu'il faut pour cela. L'enseignement supérieur privé et les universités doivent jouer un rôle important. Quand j'arrivais à la tête de l'enseignement supérieur, il y avait seulement quatre grandes écoles privées. Et quand nous partions du pouvoir, il y avait environ soixante établissements d'enseignement supérieur privé. Aujourd'hui, il y en a environ 145. Mais nous nous étions rendus comptes que l'Etat ne pouvait pas tout faire. En effet, pendant longtemps, la Côte d'Ivoire produisait seulement deux mille, trois mille voire cinq mille bacheliers. Mais à partir de 1995, le chiffre est monté à 15.000. Donc nous savions que le gouvernement ivoirien ne pourrait pas former toute la jeunesse. Il fallait donc permettre au secteur privé de se développer. Et c'est ce que nous avons fait. Et je me souviens, le premier ministre Duncan m'avait dit à l'époque, il faut rapidement renverser la tendance. Qu'il y ait plus d'étudiants dans le privé que dans le public. L'Etat ne pouvant pas tout faire, nous nous sommes décidés de mettre les moyens à la disposition des établissements privés sous le contrôle de l'Etat, de façon que la jeunesse puisse être formée dans de bonnes conditions. Encore une fois, à l'image du système américain auquel je me réfère très souvent. Vous savez qu'aux Etats-Unis, il y a très peu d'universités publiques. Toutes les universités sont privées. Chaque Etat à une université publique, mais les milliers d'universités qui sont aux Etats-Unis sont pour la plupart, des universités privées. Donc c'est vers cette tendance que nous devrions aller. L'Etat permet à des opérateurs économiques compétents des enseignants d'ouvrir des établissements privés sous son contrôle. C'est-à-dire que les programmes ne devraient pas être faits n'importe comment. Les enseignants devraient avoir les mêmes qualifications que dans le supérieur public et ainsi de suite.

Le professeur Saliou Touré et les mathématiques. Je veux dire, la Passion demeure. Que devient l'IRMA, après l'IRMA, que devient cette collaboration, cette amitié ?
Merci beaucoup ! Vous savez les mathématiques demeurent ma passion. J'avais créé l'Institut de recherche mathématique dans ce cadre là pour définir de nouveaux programmes pour l'enseignement secondaire. Nous avons créé des programmes, nous avons écrit des livres d'abord pour la Côte d'Ivoire sous la houlette du ministre Paul Yao Akoto qui nous avait permis de mettre en place la collection IRMA. Devant le succès de cette collection, nous avons créé en 1990 une nouvelle collection qui s'appelle la collection internationale de mathématique et cette collecte est actuellement en vigueur dans tous les pays francophones d'Afrique et de l'océan indien y compris bien sûr la Côte d'Ivoire. Donc, la passion demeure. Chaque deux ans, nous révisons les programmes de cette collection pour coller à l'actualité. En plus, dans la vision inter africaine, je suis toujours le président de la société mathématique de Côte d'Ivoire. J'ai voulu me retirer, mais mes jeunes filles et mes anciens étudiants ont décidé de ne pas me laisser partir afin que je continue de travailler avec eux. Nous avons créé récemment plusieurs prix : le prix Miss Mathématique. Pour encourager les jeunes filles qui ont peur des mathématiques. Nous voulons que les jeunes filles aient confiance en elles. Et nous en formons beaucoup. D'ailleurs, le Président Gbagbo leur donne des bourses pour aller étudier en France et aller dans les grandes écoles préparatoires françaises. Aussi continué-je de suivre quelques étudiants qui font leur doctorat.

On naît mathématicien ou on le devient?
On ne naît pas mathématicien, mais on développe les capacités qui sont innées, à condition de fournir beaucoup d'efforts. On peut devenir mathématicien.

La dernière question monsieur le ministre. Vous avez dit que vous ne ferez plus de politique de façon active. Vous n'en demeurez pas moins un citoyen observateur. Vous êtes un éminent cadre, votre jeune frère est à la primature. Quelle est votre lecture et la chance de la Côte d'Ivoire pour s'en sortir ?
Vous savez notre pays depuis septembre 2002 a connu d'énormes difficultés. Nous avons perdu beaucoup de choses sur le plan national et international. L'image de la Côte d'Ivoire a pris un coup. Avec l'accord politique de Ouagadougou, Soro a accepté de devenir le Premier ministre de Côte d'Ivoire pour tenter de ramener la paix. Cette paix pour laquelle notre père Houphouët-Boigny ne se lassait jamais de dire que " la paix n'est pas un vain mot, c'est un comportement ". C'est ce que Soro a compris. En mettant balle à terre et en acceptant ce poste difficile pour que notre pays puisse s'en sortir et retrouver sa place qui est la tienne. Une place de leader dans notre sous-région. Je suis convaincu que si les deux belligérants savent être raisonnables Côte d'Ivoire ira mieux.

Réalisée par Eddy Péhé
et Hervé Ahossy
Coll : JCA et FC (stagiaire)



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