vendredi 14 décembre 2007 par Nord-Sud

La maladie d'Alzheimer ou la démence progressive du sujet âgé prend de l'ampleur en Côte d'Ivoire où aucune prise en charge médicale n'existe.

La tête prise entre les deux mains, le regard plongé dans le sol, A.S ne prête aucune attention à ses visiteurs. Aucune notion du temps. Cette dame de 75 ans mère de 10 enfants n'arrive plus à distinguer correctement ses connaissances. Elle passe la journée entre sa chambre, le salon et la terrasse, ne mettant le nez dehors que quelques rares fois quand ses enfants décident de la faire promener pour dégourdir ses jambes. Active jusqu'à 70 ans, A.S vendait chaque jour des condiments au marché d'Adjamé. Et ce contre la volonté de ses enfants qui se plaignaient de son âge avancé. Elle rétorquait que rester à la maison à ne rien faire, c'est se laisser manger par l'ennui. Je vais me reposer quand je n'aurais plus de forces pour me déplacer . Aujourd'hui, nous y sommes. La vie mouvementée de la dame de fer -c'est ainsi que l'ont surnommée ses proches en raison de sa vivacité- s'est brusquement arrêtée. La page noire va commencer à s'écrire à partir de 2004. Cette année-là, sa fille cadette Kady qui vit avec elle commence à constater que maman a des comportements bizarres. Elle ne se souvenait plus du lieu où elle avait gardé son argent. D'importantes sommes ont disparu à cause de ces oublis récurrents. Elle restait parfois des heures sans adresser la parole à ses proches, ce que nous ne lui connaissons pas habituellement , explique-t-elle. Kady s'est gardée d'alarmer ses frères et s?urs jusqu'au jour où sa mère est restée une journée sans manger, incapable de mettre la nourriture à la bouche. Ameutés, tous les enfants arrivent au chevet de leur mère qui à leur grande surprise, affirme être en bonne santé. Mais, les siens ne s'y prêtent pas. Une des filles qui avait suivi un documentaire à la télévision sur la maladie d'Alzheimer, fait constater aux autres que sa mère présente les mêmes symptômes. La première consultation chez un neurologue confirme que A.S est effectivement atteinte de cette maladie. Selon le professeur François Akani du service de neurologie du Chu de Cocody, cette pathologie est une maladie dégénérative du système nerveux qui touche le cortex cérébral, partie supérieure du cerveau. Elle provoque la mort en grand nombre des cellules nerveuses (neurones), une atrophie du cortex cérébral et une diminution du cerveau. Les sujets au début de la maladie, ne se rendent pas compte de leur déficience, explique-t-il. Les proches en observant certains comportements anti-sociaux (perte de la mémoire, incapacité de s'orienter, de manger) doivent vite consulter un spécialiste, conseille le praticien. Les personnes du troisième âge (à partir de 60 ans) sont les plus exposées à l'Alzheimer qui est présentée comme la démence progressive du sujet âgé, entraînant une altération sévère de plusieurs fonctions cognitives comme la pensée et l'intelligence, précise le professeur Akani. Il y a deux formes d'Alzheimer. La forme sporadique. Plus fréquente, elle touche au hasard un sujet âgé. Il y a aussi la forme familiale beaucoup plus rare qui se transmet de façon héréditaire. A.S avait déjà perdu une s?ur cadette, décédée à l'hôpital psychiatrique de Bingerville des suites de folie, affirment ses proches sans autre précision.

Une maladie méconnue

Quelles sont les causes de cette maladie ? La science continue de chercher encore l'élément provocateur de cette forme de démence découverte par le neuropathologiste allemand Aloïs Alzheimer en 1906. Aux dires du professeur Akani, On ne connaît pas encore les origines de ce mal lié au vieillissement de l'organisme. On tente de l'expliquer par le dépôt de protéines anormales (tau, amyloïde) dans les neurones . La seconde hypothèse selon le neurologue, est liée à la présence dans le corps de gènes qui vont s'exprimer progressivement à l'état de vieillesse. C'est la forme familiale . Le spécialiste affirme que la maladie évolue en trois phases. Dans la première, le sujet est sujet à des oublis progressifs dus à la perte de la mémoire. Ensuite le malade est confronté à des troubles de la parole, son vocabulaire devient pauvre et il ne peut plus exécuter certains gestes (s'habiller, se raser etc). Dans la dernière phase, c'est la perte totale de l'autonomie qui maintient le sujet dans un état de dépendance totale. A ce stade, le patient peut mourir de n'importe quelle maladie car il ne pourra pas signaler son mal à son entourage. La mort peut survenir par une infection intercurrente : malaise cardiaque, d'une hypertension ou d'un taux élevé de cholestérol , argumente professeur Akani. La cause de la maladie n'étant pas connue, l'essentiel du traitement est encore palliatif et adapté à chaque situation individuelle. Pour le cas de A.S, ses enfants ont déboursé près de 130.000 pour payer des comprimés commandés en France. Le traitement est coûteux. Il est difficile d'avoir des médicaments efficaces. Notre espoir est fondé sur des produits en essai dont on pense qu'ils peuvent stabiliser les cas déclarés , espère le scientifique. Pour l'instant il n'existe pas de politique de prise en charge des malades en Côte d'Ivoire, a-t-il regretté. La seule solution actuellement est la prise en charge des sujets atteints. Les nerfs des proches qui s'occupent de A.S sont mis à rude contribution. Parfois elle exige d'être transportée d'urgence à l'hôpital. Dès qu'on franchit le seuil du centre hospitalier, elle demande aussitôt à retourner à la maison. Elle nous a déjà fait ce coup à maintes reprises , se plaint Kady. Une fois, elle est sortie à l'insu de tout le monde. Ce sont des connaissances qui l'ont ramenée à domicile, ajoute-t-elle. En France, les scientifiques travaillent à la mise au point d'un vaccin thérapeutique qui a donné de bons résultats sur des souris de laboratoire. Il s'agit d'anticorps préparés à partir de plaques séniles qui injectés chez la souris malade, entraînent la disparition des plaques ainsi que des symptômes de la maladie. Le nombre de malades en Côte d'Ivoire n'est pas connu avec exactitude, reconnaît professeur Akani qui consulte en moyenne 20 patients par jour au Chu de Cocody. A l'en croire, il n'y a que 10 neurologues ivoiriens chargés de s'occuper des malades de plus en plus nombreux en raison de l'allongement de l'espérance de vie lié aux progrès de la médecine.

Nomel Essis

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