vendredi 14 décembre 2007 par Le Patriote

K. Bakary est propriétaire d'une station d'essence à Ferké. Là bas, le litre de gasoil coûte 475 Fcfa contre 500 Fcfa à Bouaké et 545 Fcfa à Abidjan. L'idée du transfert de l'administration financière et douanière dans la zone des Forces Nouvelles, lancée le 28 novembre lors du meeting organisé dans le cadre de la visite du chef de l'Etat au Nord et préconisée par les deux accords complémentaires signés le lendemain 29 novembre à Korhogo, n'est pas faite pour l'enchanter particulièrement. Ousmane S, lui est revendeur de motocyclettes, de type Ninja, importées des pays de l'Intherland, précisément du Sénégal via Bamako au Mali. Le prix de vente de chaque engin est de l'ordre de 300 à 350 mille Francs CFA. Les mêmes motocyclettes coûtent au bas mot, entre 1 million et 1,2 million, l'unité en zone gouvernementale et en temps normal. Sur chaque engin, Ousmane s'acquitte simplement d'une taxe de 10 mille francs sur chaque mobylette vis-à-vis de l'administration financière mise en place par les Forces Nouvelles. En zone gouvernementale, il n'aurait pas déboursé moins de 100 à 200 mille francs de taxes diverses pour dédouaner une seule moto. Pour lui, le retour de l'administration fiscale et douanière dans la zone revient à mettre en péril son business. Il n'est donc pas prêt à s'accommoder de cette situation nouvelle. Et l'idée de savoir que ses clients devront encore se mettre en règle vis-à-vis de la Direction générale des Douanes et des impôts (Patentes, cartes grises) contribue à troubler son sommeil. En plus de ces deux commerçants, ce sont des centaines d'opérateurs économiques exerçant dans l'informel et le privé en zone CNO qui vivent dans l'angoisse totale depuis que l'idée fait son chemin. Ils craignent de perdre certains privilèges acquis du fait de l'émergence d'une économie de guerre dans la zone. Les populations, elles mêmes, ne sont pas prêtes à abandonner, du jour au lendemain, le mode de vie qui était le leur durant toute cette période de guerre. Et pour cause : cinq années de crise militaro politique, ça laisse, en effet, des plaies difficiles à cicatriser. Cela est encore plus vrai dans le cas spécifique des zones Centre Nord et ouest, sous contrôle des Forces Nouvelles durant toutes ces années. C'est, en réalité, cinq années d'habitudes, cinq années de réflexes qui ont été développées par les populations. Au sud, dans la partie sous contrôle gouvernemental, c'est, également, cinq années d'habitudes et de réflexes que les populations ont développé.

Modification profonde des comportements.

Cinq années de guerre, c'est indiscutablement cinq années d'absence d'autorité gouvernementale dans les zones CNO. Mais, c'est aussi et surtout cinq années d'autorité du mouvement politico militaire dirigé par Guillaume Soro. Cette autorité s'est davantage accrue depuis la professionnalisation des Forces Armées des Forces Nouvelles. Chapeautée par un secrétariat général, le territoire des Forces Nouvelles est subdivisé en dix zones autonomes placées, chacune, sous l'autorité directe d'un commandant communément désigné sous le vocable de Com'zone. A côté du secrétaire général, un secrétaire général adjoint et cinq secrétariats nationaux. A savoir, les secrétariats nationaux à l'identification, aux élections, aux Droits de l'homme, à la Mobilisation, à l'Economie et aux Finances. A préciser que chacun de ces secrétaires nationaux devait, en principe avoir un démembrement dans chacune des dix zones. Pour des raisons d'ordre conjoncturel, ces démembrements n'ont pu voir le jour. Mais, la zone a fonctionné sur la base de cette organisation politico militaire et administrative de type scientifique. En clair, un Etat dans un Etat , comme le fait remarquer un confrère européen qui a séjourné récemment dans la zone. Conséquence logique ? Cela a engendré une profonde modification des comportements chez les populations. La raison ? Un haut responsable des Forces Nouvelles ayant requis l'anonymat l'explique : Chez nous ici, il y avait une vie sociale, une vie économique et financière. Nous avions nos douanes, notre armée, notre police et gendarmerie. Nos populations vivaient en paix sans contrôle tatillon des Forces de l'ordre. Elles allaient et venaient d'un bout à l'autre de la zone en toute liberté. Et sans contrainte. Au sud, il y avait une vie sociale, économique, politique, militaire. Aujourd'hui qu'il est question de faire revenir l'administration fiscale et douanière, la question se pose de savoir si nous sommes prêts oui ou non à accueillir un tel changement ? . Selon lui, la grande interrogation qui se pose, c'est de savoir si l'on doit forcement plaquer sur la zone Nord ce qui se passe et se vit dans la zone Sud ? Autrement dit, comment sera mis en ?uvre le programme de transfert de l'administration fiscale et douanière en zone CNO ?

Des risques d'inflation
et d'émeutes dans la zone

La réponse à cette interrogation majeure, c'est un responsable de la Centrale financière, la structure chargée de la mobilisation des ressources financières et budgétaires, qui la donne sous couvert d'anonymat : Chez nous, ici, tous les secteurs d'activités économiques ont fonctionné. Le secteur privé a travaillé en toute tranquillité. Les propriétaires de nouveaux véhicules achetés dans la zone ou dans les pays limitrophes se sont, tous, acquittés de droits de douanes selon notre propre organisation. Le carburant n'est pas vendu au même taux appliqué dans la zone Sud. Si tout cela doit changer du jour au lendemain, il est clair que c'est toute l'économie de la zone qui s'en trouvera affectée, déplore-t-il. Pour ce administrateur financier, le transfert automatique de l'administration fiscale et douanière occasionnera, inéluctablement, des mouvements de contestation dans la zone sans compter les risques graves d'inflation et de cherté de la vie que cela engendrera : Si on a reconnu l'existence de deux armées distinctes dans l'accord de Ouagadougou, on doit également reconnaître l'existence de deux économies. On doit surtout admettre qu'il existait une vie politique, économique et sociale aussi bien dans la zone Sud que dans la zone Nord , se plaint-il. Selon lui, c'est en ayant conscience de ces risques majeurs que fait planer sur la zone le transfert de l'administration fiscale et douanière que le premier ministre Guillaume Soro a proposé récemment, lors de la visite du chef de l'Etat dans le Nord l'idée d'organiser les Etats généraux de la Réunification : Gbagbo veut nous déstabiliser à travers ce projet de transfert. Mais, nous ne sommes pas nés de la dernière pluie. Nous avons plusieurs cordes à notre arc. Et nous savons d'où nous venons et où nous allons. On attend qu'il ouvre le dossier , prévient notre interlocuteur, très sûr de son fait.

Les Etats généraux
pour quoi faire ?

Les populations ainsi que les autorités des Forces Nouvelles interrogées sur la question sont d'avis qu'il faut s'asseoir et discuter des compensations à fournir pour que le programme de transfert de l'administration financière et douanière soit viable pour tous. Quelle sera la contrepartie à payer aux Forces Nouvelles si elles consentent à lever définitivement le pied sur le recouvrement des ressources fiscales, douanières et financières générées dans la zone ? Comment les agents des impôts et des douanes vont-ils exercer une fois redéployés dans la zone ? Qui fera quoi désormais ? C'est le sens de la proposition faite par le Premier ministre à travers les Etats généraux de la Réunification. Malheureusement, le chef de l'Etat n'a pas daigné se prononcer sur le sujet lors de son intervention au meeting du 30 novembre à Korhogo. Il a préféré botter en touche laissant les autorités des Forces nouvelles, les populations du Nord et surtout le ministre Boureima Badini, représentant spécial du facilitateur, présent ce jour là à Korhogo, dans l'expectative: L'idée ne l'enchante pas particulièrement. L'obsession de Gbagbo, c'est le désarmement. Mais, le désarmement peut-il se faire si les questions centrales liées à l'économie et l'administration financière ne sont pas réglées ? , S'interroge cet autre proche du premier ministre. Et de répondre aussitôt : Nous ne voyons pas d'inconvénient au retour des structures financières et douanières dans nos zones. Mais, il faut au préalable que nous nous mettions d'accord sur un certain nombre de paramètres. Si nous nous mettons d'accord sur les régimes de compensation, on peut commencer. Mais, si ce n'est pas le cas, le transfert de l'administration fiscale dans nos zones sera une simple vue de l'esprit., conditionne-t-il. Avant de reconnaître que le sujet devenait récurent et agaçant pour les Forces Nouvelles qui, faut-il le reconnaître, ont géré de haute lutte les zones CNO sans jamais céder un pouce de terrain: La Banque mondiale en parlait avec insistance suite à un courrier que lui a adressé le chef de l'Etat. Les journaux français en parlaient, eux aussi, avec insistance. Maintenant que le sujet fait l'objet d'un accord complémentaire entre les signataires de l'accord de Ouaga, il faut bien affronter. Nous sommes prêts à faire notre part de sacrifice mais pas à n'importe quel prix.. Le ministre Sidiki Konaté, porte-parole des FN, va, quant à lui, plus loin sur le sujet. S'exprimant dans une interview qu'il nous a accordée la semaine dernière, il explique que les Etats Généraux de la Réunification constitueraient, dans l'entendement du Premier ministre, un cadre de réflexion. Une réflexion que la Nation entière va mener pour pouvoir adopter un plan de reconstruction des zones qui ont été touchées directement par la guerre. Il s'agit des zones Centre Nord et Ouest. Et personne n'en doute aujourd'hui . Pour lui, cette réflexion s'impose pour que des mesures urgentes et même des mesures à terme de reconstruction de ces zones puissent être engagées afin de permettre à ces régions, affectées par la guerre, de ne pas se retrouver, à l'heure de la réunification, dans une situation de déséquilibre face aux autres régions du pays. Tout un programme, dirait l'autre. Seulement voilà ! Le camp présidentiel l'entend-t-il de cette oreille ? Cela est moins.
Khristian Kara, envoyé spécial

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