jeudi 25 octobre 2007 par Fraternité Matin

L'édition du nouveau permis de conduire a été lancée mercredi dernier. Mabri Toikeusse, le ministre des Transports, explique son processus et ses motivations. M. le ministre, peut-on dire maintenant que la paix est revenue dans votre département avec le lancement de l'édition du nouveau permis de conduire la semaine dernière?
Je pense que les choses sont en train de rentrer dans l'ordre. Il y a eu beaucoup d'incompréhensions. Il y a eu énormément d'agitations de la part d'un certain nombre d'opérateurs du secteur. Mais, nous avons pris le temps de leur expliquer les choses. Quelques-uns ne semblent pas encore comprendre. Cependant, nous allons persévérer jusqu'à ce que tous comprennent l'intérêt que les uns et les autres ont dans la réforme. Depuis quelques jours en tout cas, l'opération est en train d'avancer. L'édition du nouveau permis a commencé. Je crois qu'on peut dire que la paix est maintenue et nous allons la garder autant que possible. À quel souci répond cette réforme du permis de conduire?
Il s'agit d'une décision d'Etat qui s'est fondée sur le fait que notre permis a perdu du crédit auprès des pays frères, auprès des pays partenaires. Mais aussi parce que finalement, au nombre des causes des accidents de la route dans notre pays, la qualification des chauffeurs et leur état physique y sont pour quelque chose. C'est d'ailleurs pour cela que la réforme prend en compte un certain nombre d'aspects au processus. Il y a également un aspect qu'il ne faut pas oublier. La question de la sécurisation des recettes de l'Etat. Parce que finalement le Trésor public vendait peut-être mille papiers timbrés pour dix mille permis de conduire qui sortaient. Donc, le Trésor ne pouvait pas sécuriser ses recettes. Il y avait un réseau de fraude dans notre pays. Bien des personnes pouvaient obtenir le permis de conduire sans s'asseoir une seule journée sur un banc d'auto-école. C'est ce qui a fait qu'à un moment donné, auprès des banques et d'un certain nombre d'opérateurs privés, le permis de conduire n'était plus pris en considération. Il faut donc donner du crédit au permis de conduire. Il faut intégrer les questions de sécurité pour les professionnels, pour les usagers de la route, pour les recettes de l'Etat. Cette réforme vise enfin à faire du permis de conduire un document fiable d'identification. Croyez-vous vraiment que ce nouveau permis puisse enrayer ces fléaux dont vous parlez?
Oui, je le pense. Tout ce que nous sommes en train de mettre en place avec le système de pré-enregistrement qui impose la présence du candidat, avec la visite médicale et des indices personnels qui vont être intégrés au permis, nous permettra, nous pensons de gérer les questions de fraude. Le tout se faisant sur un site unique, nous donnons les chances d'un meilleur contrôle.
Ce type de permis existe-t-il déjà dans d'autres pays ?
C'est un format qui se retrouve pratiquement partout aujourd'hui, dans tous les grands pays et dans certains pays africains. Il est conforme à la convention de Vienne contrairement à beaucoup d'allégations que nous avons entendues ça et là. Je voudrais dire que c'est ce type de permis que tous les pays au monde sont en train d'instituer. Il est donc heureux de constater que la Côte d'Ivoire se met à jour. L'avènement de ce permis a suscité des agitations. Comment les avez-vous jugulées?
J'ai procédé par le dialogue constructif en expliquant, en persistant, en allant à leur rencontre, en restant aussi ouvert aux échanges. J'ai reçu les syndicats, je me suis rendu à Yopougon. Et je crois que finalement, les uns et les autres ont compris leur intérêt. Mais dans tous les cas, ce sera avec la mise en ?uvre véritable du projet que les acteurs du secteur percevront les retombées. Parce que pour le moment, ce sont les promesses.
Quelles promesses?
Des promesses sur le fonds du développement des transports, sur la modernisation des centres d'examen, sur le soutien à leur apporter Il y a aussi quelques soucis qui sont encore présentés. C'est le cas des auto-écoles qui sont en possession des papiers timbrés payés au Trésor et qui ne savent plus quoi en faire. Le cabinet, en collaboration avec la Direction générale des transports terrestres et de la circulation, est en train d'étudier, avec ces auto-écoles, comment les soulager de ce souci. Mais à terme, je confirme que tout le monde comprendra le bien-fondé de la réforme. Les candidats au permis et certaines auto-écoles ont évoqué la cherté du nouveau permis de conduire. Qu'en est-il?
Nous devons continuer à travailler avec les uns et les autres pour qu'ils puissent comprendre qu'en terme de coût direct, nous sommes pratiquement au même niveau. Quand on ajoute les coûts indirects, l'ancienne formule est beaucoup plus chère que la nouvelle. Alors comment expliquez-vous les grincements de dents constatés à l'annonce de la réforme?
Certainement que cela est dû à la mauvaise compréhension du système. Le pré-enregistrement, l'immatriculation, la visite médicale sont des choses qui se faisaient. Ce sont des frais de constitution de dossiers que tout le monde payait. A la différence que maintenant tout se fait sur le même site. Donc, il n'y a plus de frais de transport à payer d'un site à un autre. Il n'y a plus de photos à payer. Les candidats n'ont plus à aller légaliser un papier à la mairie. On ne leur donne plus de rendez-vous sur un ou deux mois. Personne ne se promènera plus avec la mention Apte pour la conduite? dans la poche pendant des mois avant d'avoir son permis de conduire. Nous sommes en train de tout mettre en ?uvre pour que techniquement, si quelqu'un se présente sur le site, au bout d'une heure, il puisse repartir avec son permis. Quand on met tous ces coûts indirects ensemble, on peut dire que le permis revient moins cher aujourd'hui. Un moment, l'on m'avait posé cependant, un problème.
Lequel?
Le pré-enregistrement et tout ce qui tourne autour, s'estiment à peu près à 23 mille francs. Pour le nouveau candidat qui vient faire le pré-enregistrement et qui doit aller ensuite faire l'examen de code et l'examen de conduite avant de revenir faire l'édition du permis, l'on m'a demandé s'il n'était pas possible de payer en deux temps. Ce à quoi, j'ai donné mon accord. C'est seulement ceux qui viennent changer leur permis de conduire qui payent tout en une seule fois. Donc, ce n'est pas exact, en terme de coût, de dire que c'est cher. En plus de ce que je viens d'indiquer comme coût indirect, je ne prends pas en compte ce que les candidats faisaient pour accélérer leur dossier. Tout le processus se fait sur un seul site. Ne craignez-vous pas les désagréments liés à la grande affluence?
Nous prévoyons un système de décentralisation. A terme, Abidjan aura quatre sites. Nous commençons avec les sites des opérateurs. Nous allons entrer en discussion avec eux lorsque l'évaluation aura été faite, pour que la Côte d'Ivoire puisse disposer des centres pour les opérations d'obtention de permis de conduire. Nous n'allons pas passer le temps à louer des locaux ou utiliser des bâtiments administratifs inadaptés pour ce travail. Pour l'intérieur du pays, il y aura pour l'instant des unités mobiles avant l'établissement des sites fixes dans les chefs-lieux de région et chefs-lieux de département. Disposez-vous d'assez de médecins pour les visites médicales?
Pour le moment, il y a une équipe d'une dizaine de personnes qui conduit l'opération. J'ai donné des instructions à l'opérateur pour la renforcer. Nous allons demander aux ministères de la Fonction publique et de l'Emploi et de la Santé publique et de l'Hygiène de détacher un certain nombre de médecins. Car il n'est pas évident de trouver des ophtalmologues libres et disponibles à plein temps.
Allez-vous retirer le permis à ceux qui sont des ennuis de santé?
Pas du tout. Beaucoup de choses ont été dites à ce niveau. Nous ne faisons pas la visite médicale pour disqualifier tout le monde. Elle a plutôt un objectif préventif. Cela signifie que si on identifie un candidat comme un hypertendu qui s'ignore, on le lui signifiera. Si sa tension est particulièrement élevée, on lui dira : Votre tension artérielle est très haute. C'est risqué pour vous de vous mettre à conduire maintenant?. Tout ceci pour lui permettre de se faire suivre médicalement. Si le candidat est diabétique, on le lui signifiera. Puisque le diabète agit sur beaucoup d'organe en particulier sur la vue. Mais tout cela concerne particulièrement les professionnels, c'est-à-dire ceux qui utilisent leur permis pour travailler et gagner leur vie. Car, si un professionnel malade n'est pas suivi médicalement, il court le risque de perdre son emploi ou de faire un accident. C'est seulement dans les cas graves qu'on sera obligé de dire à la personne: Si vous conduisez, c'est dangereux? et si c'est un professionnel, on lui dira: Allez-vous traiter pour pouvoir continuer de conduire?. Donc, il ne s'agit pas de disqualifier des gens qui auront 1,5 de glycémie. Les examens choisis sont des examens clés pour une meilleure prévention.
Quel sort réservez-vous aux détenteurs de permis frauduleux?
Ces permis ne seront pas reconnus. Nous ne serons pas là pour valider la fraude. Si quelqu'un a un permis qui n'est immatriculé nulle part, qu'il a obtenu parce que quelqu'un a fabriqué des cachets, des cartons pour pouvoir l'éditer, ce permis ne sera pas reconnu. Quand le détenteur d'un permis arrive pour le changer, c'est l'agent SONATT qui se chargera de le valider. S'il ne l'authentifie pas, il y aura un comité d'arbitrage qui va les départager. A peine lancée, l'opération, selon les dernières informations tourne au ralenti. Avez-vous vérifié la capacité des sociétés retenues?
Tous les systèmes démarrent difficilement. Mais c'est pour cela que le communiqué du gouvernement avait dit qu'un mois après le démarrage des activités, nous allions faire une évaluation. D'ici quelques jours, nous les évaluerons. Si ces sociétés ne sont pas performantes, nous aviserons. Dans le cas contraire, nous verrons dans quelle mesure améliorer leur environnement de travail. M. le ministre, un autre dossier qui mine votre département est le ticket unique de traverse. L'un de vos prédécesseurs l'avait qualifié de légalisation du racket?. Qu'en est-il aujourd'hui?
C'est un autre prédécesseur qui a pourtant introduit le ticket unique de traverse. Tout cela signifie qu'il y a un problème. Les chauffeurs professionnels ont des difficultés pour faire leur travail. Ils perdent de l'argent. Ils perdent du temps. Et ils perdent quelque fois la vie. Et certainement mon prédécesseur qui a imaginé, avec l'adhésion d'un certain nombre de transporteurs, le ticket unique a pensé que cela pouvait être une solution. Un autre l'a trouvé illégal. Effectivement, ce n'est pas conforme à une loi. J'imagine que celui qui l'a institué a voulu être pragmatique. J'ai trouvé ce dossier. Compte tenu des sons discordants, je vais faire asseoir tout le monde, je crois dans le courant du mois de décembre, pour faire le bilan du ticket unique. Quels étaient ses objectifs? Les a-t-on atteints? Est-il suffisant? Comment lui donner une base légale? C'est après cette concertation que je ferai un rapport au gouvernement qui prendra le dossier en main. Si le bilan indique que les objectifs ne sont pas atteints, en ce moment, on verra ensemble la mise en place d'une autre approche consensuelle qui aura l'adhésion de tous. Dans tous les cas, il faut gérer le problème. Notamment le problème de racket qui engendre des pertes économiques pour les transporteurs. Et finalement des pertes pour l'Etat. Puisque le secteur des transports est pourvoyeur des recettes pour l'Etat, pourvoyeur d'emplois. Donc, il faut régler nécessairement ce problème.
Beaucoup de véhicules bons pour la casse circulent en Côte d'Ivoire et certains disent que le ticket unique est un argument pour se protéger de tout contrôle. Etes-vous suffisamment prêt pour aborder de front ce problème?
Bien au contraire, n'a le ticket unique que le véhicule qui a tous ses papiers. A Abidjan, il y a au moins 60% des taxis et autres wôrô-wôrô? qui ne peuvent pas avoir le ticket unique de traverse. Il y en a qui n'ont pas la visite technique à jour, d'autres n'ont pas l'assurance. Pourquoi n'arrivons-nous pas à imposer la rigueur de l'Etat ? Avons-nous les moyens de le faire? Sinon quelle solution proposons nous? L'atelier que nous allons organiser sera très important pour l'avenir des transports en Côte d'Ivoire. Il va traiter en priorité de la question des véhicules en mauvais état qui transportent les gens. Je voudrais donc dire que c'est une grande préoccupation. Comment ces véhicules arrivent-ils à circuler alors que les textes de lois existent pour les retirer du parc?
J'imagine qu'il s'agit d'une question de pauvreté. Dans le temps, l'Etat avait interdit l'importation des véhicules de plus de sept ans. Mais nous sommes tous Ivoiriens. Nous voyons tous ce qui se passe. Au-delà des véhicules Europe au revoir? qui arrivent, tous les autres continuent de rouler depuis 20 ou 30 ans. Je crois que le pays a traversé et continue de traverser une crise tant au plan économique que social qui a une grande incidence sur le secteur des transports en terme d'incapacité des propriétaires à se faire établir des documents. Parce qu'ils ne peuvent pas faire le suivi correct de leurs véhicules. Il faut que nous soyons raisonnables. Que nous nous mettons dans le contexte ivoirien du moment pour trouver une solution. Peut-on s'attendre à la fin de la crise ivoirienne à un parc en règle vis-à-vis des lois?
Notre approche, pour ce qui concerne les opérateurs du secteur, c'est à travers le fonds de développement des transports, parvenir à les organiser et à les mettre en groupements d'intérêt économique. Cela permettra de trouver de la part de l'Etat des garanties afin qu'ils renouvellement leur parc automobile. C'est une voie de salut pour les opérateurs, pour nos concitoyens, sur laquelle l'Etat doit s'engager. Maintenant pour tous les autres, il faudra continuer à imposer la rigueur de la loi. Nous avons d'autres challenges. C'est la régularisation de tous les véhicules qui circulent depuis cinq ans, dans les zones centre nord et ouest, sans aucun document conforme à la législation. Nous prévoyons d'ici la fin de l'année un séminaire d'échange avec les opérateurs pour trouver des solutions qui les aident, mais qui aident aussi l'Etat de Côte d'Ivoire. À quand la constitution du fonds du développement des transports?
Nous sommes en train de voir dans le cadre de l'année budgétaire 2008, le démarrage effectif de ce fonds. Evidemment, au cours du mois de novembre, le ministre de l'Economie et des Finances nous permettra de mettre en place ce fonds en terme d'ouverture de compte et d'un certain nombre de documents, d'établissement de mécanisme du fonctionnement, de mise en place du comité de gestion, d'identification des ressources pour l'approvisionner. Et nous espérons que dès janvier 2008, le fonds va commencer à être alimenté. A partir de ce moment, des cautionnements seront accordés aux opérateurs économiques qui vont s'engager dans l'acquisition de matériel roulant.

Interview réalisée par
Doua Gouly

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