vendredi 19 octobre 2007 par Fraternité Matin

C'est devenu un rituel. Depuis le déclenchement de la crise armée: c'est Laurent Gbagbo qui est, toujours, obligé de monter au créneau. A propos de tout. Obligé qu'il est de se comporter en pompier. En dehors de leurs salaires, accessoires de salaires et autres privilèges, la plupart des ministres de nos gouvernements, y compris nombre de ceux qui se réclament du camp présidentiel, se soucient très peu des problèmes qui secouent leur département. Parce qu'ils ont d'autres chats à fouetter. Et pendant qu'ils vaquent tranquillement à d'autres occupations, ils laissent, seul au front, le Chef de l'Etat qui ne peut se dérober. Parce que, lui a des comptes à rendre au peuple. Et ce, à un double titre en cette période électorale qui ne dit pas son nom. Il est le Président de tous les Ivoiriens. Et, il est candidat à sa propre succession. Deux lourdes responsabilités qui imposent qu'il reste en alerte maximale. Pour se défendre et défendre son régime, actuellement ballotté par des actes de mauvaise gouvernance.
Avant-hier encore, il n'a pas dérogé à la tradition. Il n'a eu d'autre choix que de s'adresser à ses compatriotes et à la communauté des bailleurs de fonds. Dans la cascade de scandales financiers qui se succèdent à grande vitesse, la dernière affaire sale de la République porte sur un important détournement présumé de fonds publics: 100 milliards de nos francs censés être investis dans l'achat d'une usine fabriquant du chocolat aux Etats-Unis. Cette affaire défraie la chronique. Car, autant l'Egypte est un don du Nil, autant notre pays peut être aujourd'hui considéré comme un don du binôme café-cacao. De tous les produits agricoles, le café et le cacao sont, en effet, des ressources stratégiques et vitales pour la Côte d'Ivoire. De ce fait, ils suscitent, et c'est normal, beaucoup d'intérêts, aussi bien de la part des pouvoirs publics que des partenaires au développement. Représentant, à eux seuls, plus de 40% des exportations de notre pays, ils sont la mamelle de l'économie ivoirienne. Le cacao, seul, a rapporté à l'Etat 254 milliards de FCFA en 2006 au titre du droit unique de sortie (DUS) alors que le pétrole, dont on parle tant ces derniers temps, atteint juste 135 milliards de FCFA. C'est pourquoi, si les autorités ivoiriennes ont accédé aux recommandations des bailleurs de fonds en allant à la libéralisation, qui induit une gestion privée de la filière, elles ont tout de même pris la précaution de s'entourer de deux gardes-chiourme: l'Autorité de régulation du café et du cacao (ARCC) et le Fonds de régulation du café et du cacao (FRC). La première structure, chargée des fonctions régaliennes de contrôle et de régulation administrative de la filière, est l'?il de l'Etat. Quant à la seconde, c'est elle qui est au centre de toutes les polémiques. Tout simplement parce qu'elle a pour mission la régulation et le contrôle des opérations de la filière. C'est cette structure ?le FRC donc- qui assure la régulation financière, la gestion de la trésorerie et des risques.
De ce fait, le Chef de l'Etat ne peut pas, et reconnaître que la filière café-cacao est mal gérée? et prétendre, en même temps, que cela ne regarde pas l'Etat puisque ce n'est pas son argent qui est mal géré?. Aussi, a-t-il, après mûres réflexions, instruit le procureur de la République de diligenter une enquête, d'une part, sur le rachat des différentes sociétés acquises par les structures de la filière café-cacao depuis sa libéralisation, et, d'autre part, sur la circulation des ressources, les flux financiers de chacune d'elles?. La saisine de Raymond F. Tchimou signifie que la responsabilité de l'Etat de Côte d'Ivoire est pleine et entière dans les dérives constatées dans la filière. Et en regrettant que les paysans ne (soient) pas heureux comme je le leur avais promis?, Laurent Gbagbo fait non seulement son mea culpa, mais, à son insu, le procès du FRC; ce garde-chiourme qui semble s'être révélé inopérant, pour le moins. C'est, en effet, ce Fonds qui, par les redevances prélevées sur les ventes des produits, est censé jouer le rôle de l'ex-Caistab par la mise en route des mécanismes de soutien du prix aux producteurs en cas de baisse importante des cours mondiaux. Cette mission essentielle a connu de tels ratés que les responsables du Fonds n'ont pas toujours été en odeur de sainteté auprès des producteurs. En outre, l'achat de l'usine de Fulton, aux Etats-Unis, est, à l'origine, un beau projet. Qui pouvait se révéler stratégique. Car cette usine de production de chocolat et de conservation de fèves de cacao devait nous permettre de conquérir le vaste marché américain et, surtout, de spéculer pour stabiliser le prix d'achat aux producteurs. Mais l'opération est assombrie par des rumeurs de détournement de 100 milliards de nos francs opéré à partir des comptes du FRC. L'affaire fait grand bruit; et suscite, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Côte d'Ivoire, une levée de boucliers. Pourtant, il faut s'étonner du silence de mort observé par le ministre de l'Agriculture. Car, contrairement, par exemple, au Dr Allah Kouadio Rémi, qui n'a ménagé ni son temps, ni son énergie au moment de la grève sauvage? des médecins, la tutelle administrative et technique de la filière café-cacao, elle, est restée motus et bouche cousue. De deux choses l'une, ou Amadou Gon Coulibaly, contre toute logique, a été mis à l'écart de la gestion de ladite filière et, dans une fuite en avant, s'en est accommodé; ou alors, il sait bel et bien de quoi il retourne et prend un malin plaisir à laisser pourrir la situation. Toujours est-il qu'en tant que ministre de tutelle, s'il n'est pas coupable des faits reprochés au FRC, il en est, à tout le moins, responsable. Malheureusement, c'est le monde à l'envers dans ce pays qui tente de sortir d'une crise éprouvante. L'opposition et sa presse n'ont qu'une seule et unique cible dans cette affaire: Laurent Gbagbo. Qu'il faut abattre. Par tous les moyens. Et à tous les coups. Alors que, dans tout pays normal, le fusible, c'est d'abord le ministre; puisque c'est lui qui, dans un premier temps, doit rendre le tablier pour tenter de désamorcer la bombe. Dans le contexte politique hybride et bâtard ivoirien, personne n'ose rêver qu'un ministre issu du RDR puisse démissionner du gouvernement. Et ce, pour une raison simple: cela reviendrait à lui demander de sauver le régime FPI qu'il combat, bec et ongles.
C'est pourquoi Amadou Gon Coulibaly ne dit mot et accompagne allègrement les campagnes de presse. Pour les mêmes raisons politiciennes, si la tutelle administrative de la filière n'a pas organisé ou fait organiser des fuites d'information pour mettre en difficulté le Chef de l'Etat, qui est un adversaire politique, elle doit, sans aucun doute, bien se frotter les mains par l'allure prise par les événements. Car, et c'est là aussi un rituel, depuis le déclenchement de la rébellion armée: au sein de ce gouvernement, pompeusement baptisé de réconciliation nationale, c'est une âpre lutte de succession qui se déroule. L'alternative démocratique, décidée en août 2000 au mini-sommet de Yamoussoukro pour que les Ivoiriens apprennent à travailler ensemble, malgré les différences et construire un Etat indépendant des partis politiques, a échoué lamentablement depuis la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Car le partage des pouvoirs à l'intérieur des institutions, initié par Laurent Gbagbo, dès sa prise de fonction, pour mettre fin au parti-Etat, au lieu d'assurer la stabilité de l'Etat, n'a fait qu'exacerber l'appétit vorace du pouvoir qui caractérise ceux qui, ici, prétendent faire de la politique. Comme on peut le constater, l'alternance politique est revenue en force. A cause de cette suicidaire politique du ôte-toi de là que je m'y mette, les Ivoiriens se délectent en discréditant leur propre pays; sacrifiant ainsi à la culture de la sorcellerie qui consiste à former des coalitions externes pour dévorer le sang de ses propres parents?.


Par
Ferro M. Bally

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