mardi 16 octobre 2007 par Le Jour

Finis les heures chaudes des affrontements estudiantins, la clandestinité et l'exil. Martial Ahipeaud entend participer désormais à la vie politique ivoirienne à travers son parti l'Union pour le Développement et des Libertés (UDL). Il livre ici ses ambitions, en portant un regard critique sur le pouvoir en place.

Le peuple ivoirien a découvert Martial Ahipeaud dans les années 1990, alors responsable de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire. Après votre longue absence, êtes-vous définitivement de retour au pays ? Cela fait un moment que je suis là définitivement. J'étais allé terminer mes études. En 1994, je n'étais plus le responsable de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (Fesci), mais le pouvoir d'alors, le PDCI, estimait que j'étais le grand manitou derrière cette organisation. Une stratégie de persécution ciblée a alors été mise en place. Je n'avais pas envie de représailles comme certains de nos aînés, j'ai décidé de quitter le pays. Qu'est-ce qui explique à ce jour votre réapparition sur la scène politique ? Nous avions commencé une lutte depuis 1990 avec des objectifs précis. Nous voulions à cette époque-là que notre pays soit un Etat démocratique où les libertés sont respectées. Et que le projet de développement qui avait été enclenché sous le président Houphouët-Boigny puisse prendre de l'essor, d'autant que nous constations en 1990 une crise de plus de douze ans. Donc, ces objectifs étaient les nôtres. Aujourd'hui, force est de constater, quatorze ans après le décès du président Houphouët et dix-sept ans après le multipartisme que la situation est catastrophique au niveau politique, social, économique et culturel. Donc, il est venu le moment pour que ceux-là mêmes qui ont participé à cette ouverture démocratique puissent assumer leurs responsabilités devant l'histoire. Non par l'intermédiaire ou en appui à des individus ou groupes d'individus, mais en tant qu'acteurs historiques de leur propre nation. Que voulez-vous apporter aux Ivoiriens ? Pour nous à l'Union pour le Développement et des Libertés (UDL), il y a des constats. Premièrement, la monarchie clanique que la refondation a combattue en son temps est devenue plus que tribale et virulente. Il y a un déni de liberté. Ce pourquoi toutes ces générations se sont battues pour donner au peuple ivoirien la possibilité de se doter démocratiquement des élus, n'existe pas. Deuxièmement, la pauvreté a atteint un niveau incommensurable sous la refondation. Mais plus grave, la dépravation morale a atteint un seuil inquiétant : tout s'achète aujourd'hui dans notre pays. Il est important que nous réagissions. Pourquoi n'avoir pas intégré l'existant pour le transformer de l'intérieur, sinon que peut apporter l'UDL ? Aujourd'hui, c'est la pratique de l'idéologie qui est importante. On peut être socialiste et être en tête du pillage systématique des richesses de la nation. On ne peut être patriote, en laissant des individus gruger les populations et les regarder se pavanant sans inquiétudes. En réalité, les faits démontrent clairement que ceux qui ont été et ceux qui sont aux affaires n'ont eu d'autres objectifs que la satisfaction de leurs besoins somatiques par rapport à leur clan et gérer surtout dans une espèce de connivence globale. Pour nous, il faut que des voix se lèvent pour dire : Non ! Il n'est pas question de rentrer dans la combine. Aujourd'hui, ces appareils sont viciés avec des pratiques qui refusent des contradictions. L'entrisme n'est pas aujourd'hui un moyen efficace. Il faut mettre en contradiction cette société de connivence et de pillage organisée dans un système qui sert le chef et tous ceux qui sont autour de lui. Que recherche Martial Ahipeaud ? Je n'ai pas changé depuis les luttes de 1990 pour réclamer la démocratie dans les rues. Mais cet objectif n'a pas pu être atteint par nos amis d'hier. Il faut donc revenir à nos luttes de départ : exiger la démocratie, c'est-à-dire la capacité de revendiquer, de critiquer sans être inquiété physiquement, la possibilité de tenir un discours contradictoire à celui des tenants du pouvoir sans craindre de disparaître dans les méandres de la nuit. Voilà ce que nous voulons pour le peuple tout en posant la problématique du développement, parce qu'on ne cherche pas le développement pour soi-même, mais pour le peuple. Pourquoi avoir attendu maintenant pour faire connaître vos idéaux ? Il fallait réunir un certain nombre de conditions pour créer un parti politique. J'ai été de ceux qui ont considéré qu'il y avait trop de partis progressistes et centristes avant le coup d'Etat de 1999 et incapables de mener leurs revendications populaires à leur terme. Nous avons vu le chef de la transition militaire victime des contradictions au sein du front républicain. J'ai estimé que la conscience de l'Etat était interpellée pour s'opposer à cette dérive totalitaire et comportementale. Il faut alors amener la population à prendre des précautions par rapport au futur. C'est cette alternative que nous voulons proposer à la nation. Sous la transition militaire, vous étiez aux côtés du général Robert Guéi, chef de cette transition. Aujourd'hui, avez-vous le sentiment d'avoir misé sur le mauvais cheval ? Je n'aime pas trop cette vision, parce que cela ramène à un comportement opportuniste. Je ne m'inscris pas dans la logique des opportunistes. Personnellement, en 1990, je n'avais pas de problème, mais j'ai décidé de mener le combat de la démocratie, pour une question de principe. Avec le Général Guéi, c'était l'espoir de l'aboutissement de ce combat que nous menions. Que les Ivoiriens écrivent leur propre constitution et non celle héritée de la colonisation. Mais malheureusement, des partis politiques ont réussi à donner à cette constitution des gènes confligènes. J'ai estimé qu'il ne fallait pas laisser, l'imposture constitutionnelle, qui était en train d'être préparée arriver à son terme. C'est une question de position politique et idéologique. C'est pourquoi j'ai soutenu le candidat Robert Guéi contre la frustration de notre combat. Nous sommes des hommes de conviction et nous ne regrettons rien aujourd'hui. Mais à votre retour, pourquoi n'avoir pas intégré le parti de celui que vous aviez soutenu c'est-à-dire l'UDPCI ? Quand le Général Robert Guéi a créé le parti, il m'a informé qu'il m'avait mis dans la direction du parti pour continuer le travail commencé sous la transition. Il m'avait nommé secrétaire général adjoint chargé de la mobilisation et de la jeunesse. Mais il n'a pas eu le temps de mettre en place le bureau politique ou le comité central et il a été assassiné. Depuis lors, la dynamique tribale qui a eu cours au sein de ce parti a conduit un certain nombre de personnes comme nous qui rêvions en termes de national et non de clan ou de tribu à s'éloigner de cette nébuleuse que Mabri Toikeusse a créée de toutes pièces à l'UDPCI. Avec un discours tribaliste et extrémiste. Nous ne nous reconnaissions plus dans les idéaux de départ que nous avions eus avec le créateur de ce parti. Voilà ! On dit que la génération Fesci est au pouvoir. N'est-ce pas cela qui pousse Martial Ahipeaud à refaire surface ? C'est une mauvaise analyse de dire que la Fesci est au pouvoir. Le Premier ministre Guillaume Soro est issu d'une rébellion née des frustrations des théories de l'ivoirité. C'est cela du point de vue socio-politique. Le camarade Blé Goudé est l'expression de la volonté du FPI à contrecarrer cette rébellion. C'est pour cela qu'il a reçu tous les moyens pour arriver là où il est. La Fesci n'est pas au pouvoir mais peut-être dans les affaires. Mais cette génération ne décide pas dans l'avenir de la nation. Ceux qui le font sont trois aujourd'hui : Gbagbo, Bédié et Alassane. Et nous considérons qu'il est temps de les mettre à la retraite par notre génération. Que pensez-vous alors de ces personnalités, en commençant par Guillaume Soro ? Cela dépend. Le chef de la rébellion ou le chef du gouvernement. Cela m'amène à parler de l'accord de Ouaga qui est victime de man?uvres dilatoires, parce que Guillaume Soro avait dit qu'il allait organiser des élections, le plus rapidement possible. Mais après octobre 2007, nous nous retrouvons en octobre 2008. Et là encore, les audiences foraines ne sont pas garanties. Le fétichisme des dates est en train de le rattraper. Le camarade, Premier ministre doit être plus vigilant dans l'application de l'accord de Ouagadougou, pour des élections transparentes, justes et rapides. Henri Konan Bédié A mon avis, c'est un patriarche. J'ai beaucoup de respect pour lui en tant que patriarche. Alors qu'au moment où il devrait être à la retraite, il risque d'être sur la même longueur que moi aux élections prochaines. Vraiment cela me peine et me pose un problème. Qu'est ce qu'il y a de nouveau à plus de soixante ans de carrière politique ? Alassane Dramane Ouattara? J'ai beaucoup aimé le Premier ministre que j'ai combattu. Il avait une vision néo-libérale pour laquelle je l'ai combattu. J'apprends qu'il veut être président. Mais la responsabilité politique d'un chef, c'est aussi de s'élever au niveau des contingences et de constater oui ou non si un certain nombre de combats méritent d'être menés. Est-ce que, ce n'est pas le temps de s'interroger par rapport aux perspectives et de comprendre que la Côte d'Ivoire peut profiter du réseau mondial de Alassane mais pas forcément en tant que président de la République. J'estime que c'est légitime s'il veut être président. Mais je m'interroge. Laurent Gbagbo Du point de vu intellectuel, il a montré son génie politique depuis février 1992. Mais, il y a une chose de prendre le pouvoir, et il y a une autre de tenir ses promesses. Et que dans cette dynamique, on se retrouve dans un désert. Surtout que dans ce désert créé par la refondation, il y a des oasis de prospérité qui sont organisées autour de lui, alors que le peuple ivoirien souffre. Nous voulons changer tout ce système de gestion d'Etat là, avec l'UDL. Nous proposons une transition démocratique, une innovation de la créativité pour le développement. Participer au rayonnement de la Côte d'Ivoire comme une nation leader en Afrique par une diplomatie offensive pour une nouvelle Côte d'Ivoire.


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