mardi 16 octobre 2007 par Fraternité Matin

A l'occasion de la Journée internationale de la lutte contre la faim célébrée aujourd'hui, le rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation fait l'état des lieux. Professeur Ziegler, quel est le rôle du rapporteur spécial de l'ONU chargé du droit à l'alimentation?
Mon mandat est de créer une nouvelle norme de droit international public. En effet, des millions de personnes sont, chroniquement et gravement, sous-alimentées dans le monde et chaque jour, 100.000 personnes meurent de faim. Or cette situation n'est pas une fatalité. Selon la FAO, notre planète a les capacités de nourrir 12 milliards d'êtres humains. L'objectif est donc d'obliger les Etats à prendre des mesures afin que ce génocide silencieux cesse. Il est par exemple impératif qu'en Amérique latine et en Asie, les collectivités publiques entreprennent une réforme agraire pour faciliter l'accès à la terre et mettent sur pied une politique de revenu minimum. On constate tous les jours dans le monde que le droit international est bafoué, votre combat n'est-il pas vain?
Il faut admettre que la globalisation a créé une conscience publique et sociale universelle. Avec l'émergence de la société de communication, la moindre famine ou exaction qui se produit dans le coin le plus reculé est portée à la connaissance de tous le jour même. Je pense que cette circulation de l'information a permis à tous ces nouveaux mouvements sociaux de se créer et de s'organiser comme à Porto Alegre. Je suis convaincu que c'est par eux que nous allons progresser. Quel est votre sentiment sur la situation de la faim dans le monde?
Je suis profondément préoccupé par la situation mondiale car la faim dans le monde continue de s'aggraver. Le nombre de personnes souffrant de la faim, en augmentation constante depuis 1996, s'élève aujourd'hui à 854 millions. Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus?
L'existence de situations très préoccupantes du point de vue du droit à l'alimentation, en particulier dans la région du Darfour au Soudan, en République Démocratique du Congo, dans les pays de la corne de l'Afrique et en République populaire démocratique de Corée. Lors de la présentation de votre rapport devant le Conseil des droits de l'homme, vous avez mis l'accent sur la tragédie silencieuse des enfants qui souffrent et meurent de faim et de malnutrition. Sans une alimentation et une nutrition adéquates dans les cinq premières années de leur vie, les enfants présentent un retard de croissance physique et un développement intellectuel limité qui les condamnent à une mort précoce ou à une existence en marge pour le reste de leurs jours. En outre, le non-respect du droit à l'alimentation des enfants entraîne les enfants vers le travail forcé, moyen pour eux de se procurer de la nourriture pour eux-mêmes et leur famille. Vous soulignez également que la faim, la malnutrition et l'insécurité alimentaire poussent des milliers d'enfants à s'engager dans des groupes armés, cette question est rarement débattue. La réalisation du droit des enfants à l'alimentation doit constituer l'objectif prioritaire des efforts entrepris pour combattre la faim et garantir la paix. Je voudrais en outre attirer l'attention sur le fait que la faim contraint à l'exil des dizaines de milliers de personnes, en particulier des habitants de l'Afrique subsaharienne. Depuis 2002, les tentatives de migration s'accélèrent: des familles entières, des jeunes gens, essayent de rejoindre les côtes européennes. Il y a eu en Espagne plus de 37.000 entrées illégales par la mer; en Italie le chiffre est de plus de 22.000 et la troisième route, par l'Égypte et la Grèce, a connu plus de 12.000 entrées illégales. Vous dites qu'en Afrique, la sous-alimentation a augmenté en 30ans de 80 millions de personnes à 203 millions. Les chiffres sont indiscutables, les raisons aussi. La responsabilité incombe à la politique de dumping agricole menée par l'Union européenne qui accorde des subventions aux productions et aux exportations des paysans européens. L'Union européenne fabrique pour une large part la sous-alimentation en Afrique. Pourtant les pays européens ont déployé des efforts pour accroître la coopération technique avec les pays africains.
Je salue leur démarche. De même, je félicité les Etats africains qui mènent une lutte contre les mafias qui profitent du malheur des Africains. Il n'en demeure pas moins que cette tragédie qui augmente d'année en année ne peut continuer. Vous accusez également le Japon et les Etats-Unis d'être totalement hypocrites lorsqu'ils font la promotion des biocarburants afin de réduire leur propre dépendance face aux importations de brut.
Il faut savoir que le développement de la demande en biocarburants a un coût humain. Elle pourrait entraîner des famines causant la mort de centaines de milliers de personnes car de plus en plus d'anciennes plantations de cannes à sucre sont aujourd'hui utilisées pour produire des biocarburants. Les terres à disposition des agriculteurs pour leur subsistance ne cessent de diminuer. En fait, la production de biocarburants entre en concurrence avec la production de denrées alimentaires ou la conservation de surfaces naturelles. Je me rends d'ailleurs à New York pour défendre le moratoire contre les biocombustibles devant l'Assemblée générale de l'ONU. Quelle solution préconisez-vous face à une telle situation?
J'estime qu'il y a lieu d'instituer une protection juridique pour ces réfugiés de la faim? car c'est seulement ainsi que les gouvernements prendront au sérieux l'obligation qui leur incombe de respecter, de protéger et de mettre en ?uvre le droit à l'alimentation de tous les habitants de la planète.
Encouragez-vous donc les gouvernements à adopter un cadre juridique approprié pour garantir le droit à l'alimentation pour tous?
Oui. J'encourage l'adoption d'un cadre juridique qui comporte une définition précise du droit à l'alimentation et des obligations qui incombent aux gouvernements de respecter, de protéger et de mettre en ?uvre ce droit, ainsi que des dispositions instituant des mécanismes de surveillance solides, indépendants et convenablement financés. Tous les gouvernements devraient en outre prendre des mesures immédiates pour éliminer la faim des enfants, garantir les conditions de sécurité nécessaires pour l'acheminement des secours et veiller à ce que l'aide permette de satisfaire les besoins alimentaires et nutritionnels spécifiques des familles et de leurs enfants dans les situations d'urgence.
Je me réjouis, par exemple, de ce que l'initiative brésilienne de lutte contre la faim ait montré l'exemple à d'autres pays comme la Bolivie et le Venezuela. L'Amérique latine est aujourd'hui à l'avant-garde des mesures concrètes de lutte contre la faim.
Vous préconisez, en outre, que les Etats s'abstiennent d'expulser des personnes qui ont fui leur pays à cause de la faim et des violations du droit à l'alimentation. A cet égard, j'estime que les Etats devraient instituer une protection juridique pour les personnes contraintes de fuir pour des raisons tenant à des violations graves de leurs droits économiques et sociaux, notamment du droit à l'alimentation, en révisant les instruments internationaux existants relatifs à la protection des réfugiés ou en en adoptant de nouveaux. Les gouvernements devraient reconnaître que les réfugiés de la faim ont le droit de demander l'asile et le droit de bénéficier d'un refuge temporaire en période de famine.Que pensez-vous de la situation alimentaire en Côte d'Ivoire?
Je salue l'action menée par la Côte d'Ivoire. Depuis 2002, elle a su garantir le droit à l'alimentation de ses populations dans un contexte extrêmement difficile. Le pays a réussi à éviter l'apparition de la famine alors que les mêmes conditions de guerre et de conflits auraient conduit plus d'un pays vers la catastrophe humanitaire.

Interview exclusive par
Catherine Fiankan-Bokonga
Correspondance particulière

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