lundi 15 octobre 2007 par Nord-Sud

Contrairement à ce que pourrait faire croire sa saisine du Procureur de la République, le chef de l'Etat n'ignore rien de l'état de délabrement de la filière café cacao. Dans un rapport daté de juillet 2004, l'International Crisis Group (ICG) rappelait, fort à propos, la mésaventure de François Kouadio. A la demande du Président Gbagbo, ce membre de l'Inspection Générale d'Etat (IGE) a entamé en mars 2002 une étude de la filière. Il sera le premier à découvrir les détournements des fonds des planteurs. Curieusement, son "Rapport d'inspection des structures et des mécanismes de gestion de la filière café/cacao campagnes 2000/2001 et 2001/2002", va lui faire vivre un calvaire. Il est agressé et échappe à un assassinat. Lâché par l'institution qui l'emploie, sous les yeux de son mandant, il subit un lynchage médiatique sans précédent de la part de ceux qui sont mis en cause. Il ne doit son salut qu'à la clandestinité dans laquelle il entre. ICG note aussi que la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, le 16 avril 2004, est liée aux informations qu'il détenait sur la filière. Lui qui avait ses bureaux à l'immeuble Sciam, siège du ministère de l'Economie et des Finances, était au c?ur du système de prédation. Le juge chargé de l'enquête sur sa disparition n'a jamais pu interroger les principaux suspects dont l'identité a été transmise aux autorités. Il faut noter que Michel Légré, beau-frère de l'épouse du chef de l'Etat est impliqué dans l'affaire.

Laurent Gbagbo ne peut pas feindre l'ignorance sur la gabegie dans la filière. Parce que toutes les tentatives d'audit ont buté sur un refus des structures de gestion d'ouvrir leurs portes. En toute impunité. Des auditeurs commis par l'Union Européenne ont été quasiment expulsés du dossier, le ministre de l'Economie d'alors, Paul Antoine Bohoun Bouabré, les accusant d'avoir divulgué à la presse leurs conclusions. L'exemple du dernier audit de l'UE est éloquent. Le rapport a été réalisé en mai 2006 par la European Consultants Organisation pour le compte du gouvernement de Côte d'Ivoire et sur financement de l'Union Européenne (Stabex). Après un Diagnostic des organisations et des procédures de la filière café-cacao, les auditeurs ont conclu qu'il fallait tout simplement liquider la BCC, le FRC et le FDPCC.

Les organisations du secteur (ARCC, BCC, FRC, FDPCC, FGCCC) ne respectent pas les diverses obligations légales qui les concernent...Ces structures n'accordent aucune transparence à leur gestion, en refusant l'accès aux procès-verbaux des conseils d'administration et en omettant de publier des rapports périodiques d'activités financières ou des rapports de Commissaires aux comptes. De plus, elles ne rendent pas compte à la Chambre des Comptes de la Cour Suprême et refusent même parfois de se soumettre à un audit externe commandité par les pouvoirs publics, note-on dans le rapport.

Au-delà des audits, Laurent Gbagbo a dû intervenir lui-même lorsque les conflits d'intérêts ont accru les tensions entre différents clans de la filière. L'argent n'aime pas le bruit, avait-il lancé aux responsables des structures de planteurs. Il avait même créé un Comité dit de pilotage pour réfléchir à la réforme du secteur. Ce comité était dirigé par l'ex-ministre des matières premières, Guy-Alain Gauze. Un comité devenu fantôme. Gbagbo était si au fait des réalités de la filière qu'il a créé par décret, le 24 février 2006, un comité de suivi qui fixe les modalités de décaissement des deux redevances FDPCC-Investissement et Réserve de prudence (ndlr, FRC). Pour boucler la boucle, rappelons que chaque mission de la Banque Mondiale à Abidjan a mis un point d'honneur à critiquer la gestion de la filière qui ne tient pas compte des intérêts du planteur. En mai 2005, les experts de la Banque demandaient encore l'actualisation des données sur les prélèvements effectués par les différentes structures, les coûts de fonctionnement de ces structures et les institutions financières dans lesquelles étaient logés les fonds non encore dépensés. Ils demandaient aussi la situation des investissements réalisés, avec la liste des investissements pour chaque structure, les montants engagés, la liste des actionnaires des sociétés acquises par les structures. Plus récemment, la mission de septembre 2007 n'a pas dérogé à la règle. Elle a estimé que 300 à 400 milliards de Fcfa ont été collectés depuis l'institution des prélèvements fiscaux en 2001. La Banque attend toujours le point total des investissements réalisés. Ce qui indique donc que la tradition du refus de collaborer continue en la matière.


Kesy B. Jacob

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