lundi 15 octobre 2007 par Nord-Sud

Double ambassadeur de la paix en Côte d'Ivoire, la méga star du reggae, Alpha Blondy dans cette interview, se prononce sur les rapports Bédié-Ado, sur les élections à venir et parle de la sortie de son nouvel album.



?Pourquoi dénoncez-vous l'alliance Bédié-ADO au moment où on parle de réconciliation ?

Dénoncer n'est pas le vrai mot. J'ai apporté un complément de suggestion. Dans notre cas, trois personnes sont en conflit. Si deux font la paix en formant une alliance, il serait ingénieux que ceux qui ont fait la paix invitent la 3ème. Et ce dans le but de préparer les esprits en vue des futures élections. De sorte qu'elles ne partent pas aux élections en ennemi. Mais en adversaire politique. Voilà ce que j'ai voulu dire. Je pense qu'on n'a pas besoin de m'insulter par rapport à cette vision. On peut compléter, par exemple, ce que j'ai dit parce que je n'ai pas la science infuse. Dans ma mission, j'ai confié cela aux politiciens. Je trouve que cette alliance est contre nature dans le sens qu'on n'a pas associé le chef de l'Etat, Laurent Gbagbo. J'ai rencontré M. Ouattara et je lui ai dit de s'associer au président de la République. J'ai également dit à Laurent Gbagbo de tendre la main à Ado. Etant donné qu'il y a la paix entre Ouattara et Bédié. Il serait bon que cette paix triangulaire soit faite pour rassurer les Ivoiriens. Lorsque j'ai échangé avec Ouattara, il m'a confié que Gbagbo n'est pas un tribaliste mais que des membres de son entourage l'étaient. C'est dire que ce qu'on me reproche en ce moment, je l'ai déjà fait. Je pense que la critique est aisée mais l'art est difficile.





?Cette alliance contre-nature dont vous semblez ne pas porter dans votre c?ur n'est pas la première du genre en Côte d'Ivoire. Etant donné qu'il y a eu l'alliance entre le Fpi et le Rdr qui a abouti au Front Républicain. Alors qu'est-ce qui vous gêne tant dans cette union Bédié-Ado ?

Non, rien ne me gêne. Mais c'est le contexte qui me gêne. Nous sommes un état qui a connu la guerre et qui est en train d'en sortir. Pour moi, nos trois leaders sont pour nous un capital de cerveau politique. On ne peut pas se payer le luxe de retomber dans les mêmes mesquineries d'exclusion ou de discussion de marchand de tapis. Il ne s'agit pas de tapis, il s'agit de vie, de millions de vies de millions d'Ivoiriens. Donc quand je m'adresse à M. Ouattara, à M. Bédié et à M. Gbagbo je m'adresse à eux et à leurs équipes. Dans ma pyramide de sortie de crise, j'ai fait des propositions qui impliquaient tout le monde, tous les cerveaux politiques de tous les partis politiques. Je suis le genre de pompiers qui, tant que le feu n'est pas éteint sous les cendres, continue d'arroser.


?Pourquoi avez-vous chargé récemment dans un journal de la place les deux leaders ?

Je m'excuse, c'est vrai que j'ai chargé parce que j'étais très en colère contre MM. Ouattara et Bédié.


?Et pour quelles raisons ?

Pour la simple raison qu'à l'époque lorsqu'il y a eu cette histoire de certificat de nationalité de Ado, j'étais à Grand-Bassam avec le procureur Nouplezana à qui j'ai confié que j'allais faire la grève de la faim pour que Ouattara et Bédié arrêtent leurs querelles fratricides. Il m'a dit qu'il était prêt à me délivrer le certificat de décès parce qu'il ne s'agissait pas d'une querelle idéologique entre les deux hommes. Mais bien plutôt d'une querelle de personne. En ce moment Ouattara était en alliance avec le Fpi. Toujours dans la même lancée, s'il y a eu en son temps une alliance entre Gbagbo et Ado, c'est que c'est faisable aujourd'hui. Le journal le National a pourfendé Ouattara en le traitant de Mossi. Ce n'est pas le Fpi qui l'a fait. A l'époque quand Tapé Koulou s'en prenait à moi tout le monde disait qu'il était couvert par Bédié. Quand j'ai fait le lancement de mon album Elohim à l'hôtel Ivoire en 99, j'ai mis en garde Bédié. Je lui ai dit que Tapé Koulou allait le mettre dans une merde indécrottable et qu'il y avait dans l'air un coup d'Etat. J'ai couru après M. Fologo en vain. Fologo et moi avions rendez-vous à 10h et il m'a appelé pour dire qu'il partait voir Bédié. Le lendemain à 10h, il y a eu le coup d'Etat. En ce qui me concerne, on m'a accusé d'appartenir à toutes les Eglises selon les besoins d'écriture. Aujourd'hui, je ne suis pas là pour plaisanter. Lorsque j'ai eu mon écart de langage, je l'ai pensé sincèrement. Parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Supposons qu'on parte aux élections dans ces conditions et que le Rhdp gagne, le Fpi est en droit de contester. Le président Gbagbo dira que votre plan A était de faire un coup d'Etat qui a dégénéré en guerre. Evidemment, le plan B ce sont les élections. Voilà pourquoi je veux qu'on désamorce la guerre dans les esprits des militants. La crise dans laquelle nous sommes en train de sortir est la guerre de l'ivoirité. Ceux de Bouaké qui ont pris les armes me l'ont dit. Maintenant que nous sommes en train de sortir dans ces interminables palabres, je souhaite que ces leaders nous aident. Je parle en ma qualité de double ambassadeur de la paix.





?Mais pourquoi vous n'allez pas dans le sens inverse en demandant à Laurent Gbagbo qui est le chef de l'Etat de tendre la main à ses frères ?

Je l'ai fait.


?Apparemment il ne bouge pas.

Je ne saurai jouer son avocat. Mais je sais qu'en ce qui me concerne, j'ai joué ma partition tant à Yamoussoukro qu'à Abidjan. Je lui ai fait la proposition de tendre la main à ses frères. Mais, je voudrais préciser que les deux leaders qui ont formé une paire doivent venir vers Gbagbo. Cette considération doit grandir. Les autres parlent comme si le président de la République devait venir vers eux en capitulant. Nous ne sommes pas dans un rapport de force. Nous sommes dans un esprit pacifique.


?Avez-vous un problème particulier avec M. Bédié ?

J'ai essayé de rencontrer Bédié mais il n'était pas là. KKB est mon témoin. J'avais mes tournées à faire. Néanmoins j'ai pu échanger avec Djédjé Mady. Ensuite KKB devrait m'amener à Daoukro, mais M. Bédié se trouvait à Paris pour des soins. Je n'ai absolument rien contre M. Bédié, à part que lorsqu'il y a eu le problème d'ivoirité je me suis évertué à tirer sur la sornette d'alarme. J'ai fait la tournée de l'Unité nationale en 1995 à la demande de Fologo parce qu'il m'avait signifié que la Côte d'Ivoire était au bord de la guerre civile. Koné Dodo et moi, nous nous sommes dit qu'on n'allait pas supporter Alassane Ouattara pour ne pas tomber dans le jeu du régionalisme. C'est ainsi que j'ai fait les affichettes que les avions ont balancées à Korhogo, Gagnoa, Odiénné. Je l'ai fait avec mon argent. On me disait à l'époque qu'il n'écoutait pas. Et dans son alliance avec Ouattara le même entêtement continue. Je n'ai jamais été à Akouédo pour faire allégeance à Guéi lorsqu'il a renversé Bédié. J'ai été le premier à dire sur les ondes de Rfi que c'était un acte anti-démocratique et anti-constitutionnel. Pour moi, c'était un braquage politique. On m'a même accusé d'être la poudrière du Rdr en détenant des armes chez moi. M. Ouattara m'a appelé. Dans ce pays on a peur de se dire les vérités. On attend que ça devienne de la merde avant de parler. Je ne suis pas un homme de ce genre. Surtout maintenant que je suis ambassadeur de la paix, je veux mériter ce titre et la confiance des uns et des autres. Car un jour on dira : Alpha avait dit. On ne m'écoute pas et quand ça pète on dit : Jagger avait prévenu. Je voudrais dire aux uns et aux autres que mon problème à moi, c'est de protéger le capital de cerveaux politiques que Dieu m'a donné. Combien d'années faut-il pour former un Gbagbo Laurent ? Un Alassane Ouattara, un Bédié, un Banny, un Djédjé Mady, un Affi N'Guessan, un Mamadou Koulibaly, un Soro ou un Blé Goudé ? Je ne peux pas me permettre de bousiller cet investissement de cerveaux politiques. L'Afrique est malade de l'ignorance politique de ses enfants et nous avons un capital que je vais défendre quitte à égratigner les uns et les autres.


?On vous accuse de faire une sélection des morts. Vous auriez dit que vous ne reconnaissez pas les morts de Bouaké. Qu'en est-il exactement ?

Je n'ai jamais dit ça. Et je vais me répéter. J'ai dit qu'on ne connaît pas le nombre des morts de Bouaké. Parce que durant tout le temps, on n'a parlé que des 9 morts français. C'est ce que j'ai dit. Je n'aime pas ceux qui désinforment dans le but de nuire. Je n'ai jamais dit ça. J'ai dit que je ne permettrais pas qu'on tue des gens sous prétexte qu'ils sont soit Fpi soit Forces nouvelles parce que ce sont tous des Ivoiriens. C'est ce que j'ai dit. Je ne fais pas le jeu des va-t-en-guerre qui jettent de l'huile sur le feu. Je leur demande de mettre un peu d'eau dans leur ressentiment, dans leur intention sanguinaire. Ce pays a trop souffert. On a dit d'abord que c'était la presse qui avait allumé le feu. Ce n'est pas vrai, c'est une certaine presse.


?Le clip de votre morceau armée française qui est sorti l'année dernière a poussé les gens à parler de manipulation puisque vous avez superposé des images qui ne collaient pas à la réalité du morceau qui avait été fait à l'époque. Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?

Je voudrais que vous reformuliez votre question. Une superposition ça veut dire quoi ?


?Cela veut dire que vous avez pris les événements de 2004 pour les superposer sur un morceau qui est sorti il y a une dizaine d'années comme si ce sont les mêmes événements que vous étiez en train de décrire.

Dans cette chanson écrite en 1992, je dénonçais la présence de l'armée française qui pour moi, est semblable à une occupation. Il faut revisiter la coopération militaire entre la France et la Côte d'Ivoire. D'ailleurs, entre la France et tous les pays africains où sont basés des militaires français. Quand il y a eu le dérapage, j'ai pris ces images pour montrer que c'est une raison suffisante pour que l'armée française en Côte d'Ivoire s'en aille. Quand j'ai dit allez-vous en, on a voulu chercher des poux dans la tête des papous en me posant des questions du style qu'est-ce qu'ils ont fait? Mais ils n'ont pas à être là ! Nous sommes un Etat indépendant, souverain, nous avons nos armées nationales. Et dans la chanson je dis vos conseillers militaires nous suffisent. On a donc dit que j'étais un anti-français. Mais c'est n'importe quoi ! Je ne suis pas un anti-français. Mais seulement, la France qui est un pays démocratique ne peut pas avoir des armées d'occupation chez des gens qui ne veulent pas d'eux. On m'a dit qu'il faut que la Côte d'Ivoire demande que cette armée s'en aille. Je regrette mais le président Gbagbo l'a fait. Vous savez ce qu'on lui a répondu ? On lui a dit qu'il n'était pas en position de demander cela. Ce qui veut dire qu'on cherche la bagarre. La force Licorne quant à elle, a fait du bien. Lorsque la guerre a éclaté et qu'elle s'est interposée entre les frères ennemis au début, je me suis évertué à leur dire merci parce qu'ils ont évité un bain de sang. Parce que s'ils n'étaient pas là, les choses se seraient passées autrement. Mais de grâce, qu'on me laisse le droit de dire bravo et qu'on me laisse le droit de dénoncer quand ce n'est pas bien. Mais ce qui me gène c'est qu'on fait allusion au bombardement de Gbagbo. La France a donné son feu vert à Gbagbo. Allez-le lui demander. Et les forces impartiales ont regardé à l'Ouest quant les troupes de Gbagbo venaient à l'Est. C'était prévu parce qu'ils ont simplement dit qu'ils ne voulaient pas de dégâts. Et je suis revenu sur ce débat pour leur dire que quand les nègres s'entre-tuent, ce ne sont pas des dégâts. Et après j'ai dit que les gouvernements français et ivoirien n'avaient pas à sacrifier des innocents sur l'autel de leurs désaccords. Je l'ai dit. Je ne suis pas content ni pour les morts français, ni pour les morts ivoiriens. Mais pourquoi est-ce qu'on me fatigue en me parlant toujours de ce que je n'ai pas dit. De grâce, la mauvaise foi a des limites. Et quand je parle sérieusement de la vie d'êtres humains, c'est ma mission. C'est la mission que Dieu m'a confiée. Je ne voudrais pas que les uns et les autres s'amusent à faire de la désinformation. Les esprits chagrins qui parlent du côté du Pdci-Rda. Est-ce que Simone Gbaé, la femme policier, n'avait pas dit dans ?'soir info'' que certains cadres de l'Ouest préparaient un coup d'état contre Bédié ? Quand Bédié a été renversé j'ai pensé à cela aussi. Loin de moi l'intention de faire mal à qui que ce soit. Gbagbo a besoin d'être protégé, ainsi que Ouattara, Henriette, Bédié, Banny et Mamadou Koulibaly. Tous les cerveaux qui constituent mon panorama politique ont besoin d'être protégés et auront besoin de mon soutien. Et tous ceux qui vont deconner, je vais le dire sans ambages.


?On a également lu dans certains journaux que vos prises de position contre la France retarderaient la sortie de votre prochain album

Cela me regarde. Moi, l'enjeu que je défends est plus que ça. Les ivoiriens et mes fans partout dans le monde m'ont donné tellement d'amour. Et je vous ai dit que j'étais multimilliardaire en hommes. Ce n'est pas quelques petits tacles qui vont m'ébranler. Moi quand je sors un disque, il est vendu par millions parce que les gens savent que je leur donne du bon, le meilleur de moi. Ce ne sont pas quelques esprits chagrins qui vont me faire un chantage par rapport à ce que je dis, par rapport à ce que je refuse de faire. Je refuse de vendre mon pays.


?La question reste entière. Est-ce qu'il y a des obstacles à la sortie de l'album?

Non pas du tout ! Il sortira. Précisément le 20 ou le 29 octobre.


Interview réalisée par Traoré M. Ahmed et Issa T.Yéo, coll. YMA

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