samedi 6 octobre 2007 par Notre Voie

"Car pure est la source ! » disent les griots mandingues (ou malinkés). J'ai pensé à cette comparaison aqueuse la semaine dernière quand je vis le Président de la République, Laurent Gbagbo à New-York à la tribune des Nations Unies... et un jour après Alassane Dramane Ouattara (ou ADO) à Abobo devant ses militants pour la tête du 13è anniversaire de la création de son parti le RDR (1994), lequel, à peine né, s'était promis de "réduire le PDCI-RDA à l'état de vestiges au Nord et de reliques au Sud" (dixit son premier Secrétaire Général feu Djeni Kobinan). Que de distances entre les deux lieux (New-York et Abobo), mais aussi que de distance entre ces deux coureurs, que dis-je ? Entre ces deux acteurs politiques ! Sans doute que nous avons là une distance comme indicateur capable de révéler l'essentiel sur le terrain politique à savoir la grande longueur d'avance que le premier cité a pris sur le second. Une longueur qui se sent, même dans les mots et dans la façon de parler. Ainsi à l'ONU, Laurent Gbagbo parla fort brillamment et sereinement au monde de son pays, la Côte d'Ivoire, qui doit retrouver rapidement sa place dans le concert des Nations après une guerre absurde qui n'aurait pas dû avoir lieu... Quant à ADO, il parla à ses militants chauffés à blanc, au nom de ses ambitions personnelles dont l'expression retenue désormais par l'histoire se mesure en beaucoup de souffrances endurées par les Ivoiriens, en morts et en désolation pour le pays. A New-York, je vis dans l'intervention du Chef de l'Etat, ce qu'on appelle "la démonstration politique" (un exercice de tous les instants). A Abobo j'entendis vociférations, injures et blasphèmes qui attestent en ce mois de jeûne musulman, d'une disgrâce ou triste fin sans remède... Ah, eau de mare, ne te compare pas à l'eau de roche, car pure est la source !" 1/ - Les eaux coulent mais ne se ressemblent pas Si l'eau de roche lave et tire la Côte d'Ivoire vers la paix, donc vers le haut, l'eau de mare, en revanche, la salit et la tire dans la violence (cf. la guerre), donc vers le bas. Pour ceux qui savent se souvenir, dans ce bas (fond), on trouve mots terribles (cf. le verbe malinké "nyagami" pour "mélanger le pays") et phrases terribles (cf. "On ne veut pas que je sois candidat aux élections de 2000 parce que je suis musulman et du Nord"). J'y reviendrai. Laurent Gbagbo est l'actuel Président de la République, démocratiquement élu qui se prépare, travaille à fond avec son parti, le FPI, ses directeurs départementaux de campagne (ou DDC), ses groupes de soutien, et il ne néglige aucun détail sociologique et politique pour s'assurer une victoire éclatante aux prochaines élections présidentielles là où ADO (l'opposant) déclare pompeusement "je serai Président de la République en 2008" Vanitas vanitatum, et omnia vanitas (Vanité des vanités et tout est vanité) auraient crié les latins. Il semble qu'un sondage le donne même gagnant... dans ce qui n'est pas encore (cf. L'Inter du Samedi 29/09/07). De qui se moque-t-on ? Le futur de l'indicatif employé par ADO est loin d'être simple. Quand on sait que le futur ne dépend pas de nous, même s'il est pour une large part dans les mains de chacun d'entre nous, nul ne peut dire à l'avance ce que son destin lui réserve... Comme la mort, le destin ne se trompe pas et nul ne peut le tromper. A méditer. 2 /- Le chaînon qui manque et qui... trahit. Le mensonge a beau courir, la vérité le rattrape un jour. Et je vois ce jour poindre derrière la phrase "je serai Président de la République en 2008" de ADO qui se prévaut aussi d'être "musulman et du Nord". Quand on est "musulman et du Nord", on sait au moins deux choses à l'image des deux qualifications identitaires. La première chose qui relève de la foi est que le malinké d'obédience islamique, sait, entre autres que seul Dieu donne le pouvoir à qui il veut, comme et quand il veut et l'en dépossède quand il veut. Ainsi, devant toute épreuve ou difficulté rencontrée, le croyant répond : "Tout ce que Dieu fait est bon", une façon à lui de se soumettre à la volonté de Dieu. Le linguiste que je suis et qui se compte parmi les croyants, sait aussi qu'une phrase comme "je serai Président de la République en 2008" qui connote prétention, suffisance et manque d'humilité, est une "structure de surface". "La structure profonde", reflet du subconscient d'ADO, étant : "Je serai Président de la République en 2008, que Dieu le veuille ou pas (Allah sônna, Allah ma sôn) ou quoi qu'il advienne (tchoko na tchaga). Comme le font les féticheurs et autres chasseurs malinkés dans l'exercice de leurs cultes païens (cf. la phrase orgueilleuse des féticheurs citée par Mme Adame Ba Konare : "Allah sônna sini, a ma sôn sinikênê". Entendez, "si demain Dieu le veut bien, je ferai telle chose ; après-demain, même s'il n'est pas d'accord, je la ferai", in "L'os de la parole. Cosmologie du pouvoir", Présence africaine, Paris, 2000, p. 98). Un musulman aurait dit, à défaut d'une abstinence verbale durant ce mois de Ramadan, ceci : "Je serai Président de la République en 2008... inch'Allah ! (si Dieu le veut !). "Inch'Allah !" voilà le segment qui manque à l'affirmation d'ADO et qui dévoile ou trahit son rapport distant, voire superficiel à l'Islam. Pis, avec une logique de conquête du pouvoir qui va jusqu'à défier Dieu (cf. les menaces et les coups dans l'Etat y compris le coup d'Etat, qui emporta Henri Konan Bédié). Les fidèles musulmans apprécieront... Mais ce n'est pas tout. Quant à la deuxième chose qui coïncide avec l'expression "l'homme du Nord", rappelons sous la mémoire protectrice du patriarche feu Gon Coulibaly, sous l'autorité morale et rassurante du Général Issouf Koné, le grand Chancelier, du Président du CES, Laurent Dona-Fologo, de Cheick Ahmadou Sylla, (le soufi) et j'en passe... que l'homme du Nord sait ce qu'est "la voix de la raison", laquelle impose tolérance, humilité et modération. Sur ce sujet les malinkés ne disent-ils pas "môgô kelen, hakili kelen, môgô fila, hakili fila ?" Entendez "une personne, une raison ; deux personnes, deux raisons" pour signifier qu'en société, les raisons non seulement se complètent, mais aussi elles tiennent compte les unes des autres. L'homme du Nord sait aussi ce qu'est la discipline de la bouche , la retenue. "Difficile est l'art de la parole. Et contraignante la parole donnée", nous enseignent les griots. Sachant cela, un homme du Nord, devenu leader d'opinion, ne parle jamais pour ne rien dire, mieux, il ne fait pas de promesse qu'il ne peut tenir. Or sous nos yeux et dans nos oreilles, que de promesses faites par ADO ! Ensemble, lisons l'échantillon qui suit : "Je n'attendrai pas 2005 pour être Président de la République" (2005 est passée)... "Le 9 Juillet 2002, le RDR sera au pouvoir" (le 9 Juillet est passé)... "Mars 2004, nous allons occuper le Palais Présidentiel au Plateau et y accrocher la photo d'ADO" avait promis un de ses lieutenants, le Professeur Guédé Guina (Mars 2004 est passé) et patati et patata... Ici, on ne connaît pas la honte. Désormais le cap est mis sur 2008 avec un "je serai" qui ne tient guère compte ni du déjà dit ni du déjà promis et non tenu. Sans autocritique. Sans doute qu'ici, les promesses du mentor (mentiroso) n'engagent que les militants qui les reçoivent. Une vraie escroquerie morale... C'est vraiment pitiant. Une amie mienne me demande pourquoi, après tant d'échecs et de fausses promesses, le Monsieur n'arrête pas ? Je lui racontai l'histoire du cri de l'hyène. Lecteurs miens, savez-vous pourquoi l'hyène, même vieille, crie pour un oui ou pour un non ? Elle crie très souvent non pas pour dire qu'elle a attrapé un cabri, loin de là. Elle crie pour rappeler à ceux qui l'entendent qu'elle est et demeure toujours un fauve dangereux. C'est le cas d'ADO qui veut faire croire qu'il fait peur aux autres acteurs politiques alors que c'est lui qui est habité par la peur de se voir vaincu... Comme l'hyène qui n'est plus que l'ombre d'elle-même. 3 /- Heureux celui qui suit Dieu dans son chemin... J'ai fini la semaine par une visite au Palais de la Culture pour voir l'exposition de photos d'un jeune frère mien, Sekongo Nagnéhé, intitulée : "Séplou. Le parcours photographié de Laurent Gbagbo" Un vrai voyage diachronique (de dia "à travers" et kronos "temps", l'autre nom de Dieu). Que d'émotions eus-je ! La visite me permit de vérifier l'actualité de deux enseignements fort anciens. Selon le premier, c'est la chenille (laide, repoussante) qui devient papillon (beau, attirant, libre). Séplou, que de métamorphoses ! Le deuxième enseignement vient du poète espagnol Antonio Machado qui a dit et je cite : "Voyageur ou passant, il n'y a pas de chemin, chacun fait son chemin en marchant !" Séplou, que de marches, d'embûches, de coups encaissés... mais aussi que de patience et d'endurance! Heureux celui qui suit Dieu dans son chemin. Une vraie leçon pour les impatients et les entêtés qui ne se rendent même pas compte qu'ils se sont trompés et de chemin et de métier. Bravo et linguistiques félicitations à Sekongo et à toute son équipe. Bonne nuit du Destin (Laïlatoul Kadr) à tous et à toutes. Assalam aléïkoun.
Koné Dramane

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