mardi 2 octobre 2007 par Fraternité Matin

L'auteur de l'ouvrage Les masques au coeur de la société wè? nous en dit davantage ici. Madame Gnonsoa, vous venez de sortir une ?uvre intitulée Le masque au c?ur de la société Wè.
Est-ce votre premier ouvrage ?
J'ai participé à d'autres ouvrages tels que le masque vivant de Côte d'Ivoire. Nous étions quatre ou cinq à faire la production. Et puis j'ai écrit un article qui a fait l'objet d'une petite revue italienne. C'est en Italien. J'ai publié des contes dans Contes des montagnes et des savanes. Que devons-nous retenir de Le masque au c?ur de la société Wè ?
En pays Wè, avant la colonisation, le masque était pratiquement le gouvernement. C'était la culture qui, par l'ensemble de ses fonctions, gouvernait la société. D'abord au plan politique, parce que c'est le masque qui est le porte-parole de l'ensemble de la communauté. Il intervient aussi au plan économique, puisqu'on peut louer ses services pour un certain nombre de travaux comme le défrichement, l'abattage des arbres, l'ouverture ou l'entretien des pistes, la justification de ponts, la reconstruction de villages détruits soit par incendie, soit par des orages. Donc il avait une fonction de production. Mais en même temps, il avait une fonction de service qui lui permettait aussi d'accumuler des biens. Par exemple, c'était lui qui rendait le jugement, qui était en quelque sorte l'équivalent de la cour suprême aujourd'hui. C'est-à-dire que quand vous avez une affaire, vous entrez en procès auprès du chef du village, ou du chef de tribu. Mais si ça ne va pas, vous allez vers le masque. Et quand il a tranché, c'est définitif. Si vous estimez que vous n'êtes pas satisfait, alors en ce moment-là, vous vous adressez à Dieu. Et c'est à lui de faire en sorte que vous soyez innocenté. Donc quand il rendait ces jugements, il était rémunéré, parce que les deux parties donnaient quelque chose. Et tous ces biens qu'il accumulait étaient remis au chef du village qui les gérait donc. Il était chargé de doter les femmes des hommes de lignage ou de libérer des gens qui avaient été faits prisonniers par exemple à la guerre. C'est lui qui organisait les grandes fêtes rituelles. Mais il avait aussi une fonction derrière, qui lui permettait de ramener de la guerre le butin. Et ce butin était mis en commun et géré par le chef de lignage. Et puis il y a les manifestations festives où on le récompensait aussi. Donc il était une source de revenu importante. Mais il était aussi une source d'échange parce que c'est pendant les grandes fêtes que les gens se font des cadeaux, des dons, ils se récompensent les uns les autres. Donc à côté de la fonction politique et de la fonction économique, il joue une fonction artistique parce que les grands danseurs, les plus grands chanteurs, les plus grands batteurs servent le masque. Et à l'occasion des manifestations des masques, les gens montraient leur technicité, leur capacité à décorer, à sculpter et à peindre. En tout cas, à cette occasion, toutes les cases étaient repeintes avec du caolin, avec des dessins dessus ; les corps même étaient peints. Les danseuses et les danseurs peignaient leur corps. Donc vous savez qu'il a donné lieu à une autre culture qui est devenue très célèbre dans le monde. On l'appelle masque Guéré, Wobè mais en réalité ce sont des masques Wè. Les mots Wobè et Guéré sont impropres ; c'est le mot Wè qui convient. Donc, il jouait un rôle important
Pour vous qui êtes initiée, quelle est la différence entre un masque et un être humain ?
Vous savez qu'au niveau de la hiérarchie, il y a Dieu. Chez les Wè, Dieu c'est Gnonsoa. Ce qui veut dire l'ancien, le premier ; celui qui était là avant tout le monde. Donc c'est Dieu. Et ce Dieu, il n'est pas plusieurs comme dans la langue française où on dit un dieu, des dieux. Il n'y a pas de pluriel pour ce Dieu-là. Il est unique. Maintenant, il a donné naissance à des génies qui sont des esprits. Le masque est un de ces génies qu'il a donnés aux hommes pour les aider à se gouverner. C'est un génie que les hommes ont rencontré dans la forêt. Ils l'ont ramené au village et il les incarne. Il est différent de l'homme et le support de cet esprit-là. C'est lui que nous voyons parler, chanter, danser, faire la guerre, etc. Lorsque le génie entre dans celui qui doit l'incarner, il y a d'abord un travail physique, psychologique qui est fait. Et en ce moment-là, il devient un être qui n'a rien à voir avec l'homme, qui a une puissance. Et compte tenu de ce qu'on a fait, parce que pendant huit jours, on va chanter dans l'enclos pour l'encourager et quand il sort, il incarne véritablement l'esprit. C'est cet esprit-là qu'on appelle en Wè koudè pour signifier quelque chose d'extraordinaire qui n'a pas de forme, de couleur. Donc le masque est un être extraordinaire. C'est un esprit qui est incarné dans des êtres qui le portent. Au moment où ils le portent, ils sont tout à fait différents des autres êtres humains. Ils sont inspirés. C'est pour ça que les gens disent souvent les religions révélées, en pensant que les religions africaines ne sont pas révélées. Toutes les religions sont révélées, parce que c'est toujours un esprit qui vient dire à l'homme va prendre telle chose et tu vas en faire quelque chose. Donc Mahomet est venu ; Jésus est venu ; aussi, dans la tradition africaine, c'est Dieu qui a dit à l'homme Va prendre telle chose et puis tu vas en faire un culte. Donc le masque lui-même n'est pas Dieu. C'est un intermédiaire entre Dieu, les ancêtres et les hommes. Vous parlez avec beaucoup de passion du masque. Aujourd'hui, que voulez-vous que les gens retiennent du masque ?
Vous savez que chaque société réagit selon sa culture. Il y a des Wè aujourd'hui qui ont des réactions qui viennent de leur culture mais qu'ils ignorent quelquefois ; ils ne savent pas. La culture occidentale nous a instruits aussi. Avant, c'était dans la société des masques que se trouvait l'élite de la communauté. Mais aujourd'hui, le problème du masque, c'est qu'il y a un déplacement de l'élite. Souvent, les anciens ne savent plus dans quel monde nous nous trouvons. Ils ne connaissent plus de règles modernes parce qu'on est géré par d'autres règles que nos règles traditionnelles. Alors, c'est un conflit parce que quand les colons sont venus, ils ont rejeté toutes nos cultures, tous nos règlements. Au plan religieux, on a décrété que c'était satanique. Mais un de mes parents me disait qu'il y a plusieurs échelles pour aller chez Dieu. Il y en a qui vont par Jésus, d'autres, par Mahomet. Nous, nous allons par les masques. On peut entrer dans le modernisme avec ses propres valeurs. On nous a fait croire que les valeurs, c'est en Occident seulement et que c'est ce qui est là-bas seulement qui est bien. Mais tout ce qui est mal aussi vient de là-bas ! L'alcoolisme, le banditisme, la drogue, la corruption Pensez-vous que le masque a encore sa place dans la société ivoirienne ?
Oui. C'est vrai que la situation ne sera plus comme avant. Mais, c'est ainsi dans toutes les religions. Même dans la religion chrétienne, il y a beaucoup de choses qui ont changé. Le christianisme du 19ème siècle n'a rien à voir avec celui d'aujourd'hui. C'est encore possible, à condition que nous-mêmes nous assumions, que nous n'ayons pas honte de notre culture.

Interview réalisée par
Casimir Djezou

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