mardi 2 octobre 2007 par Fraternité Matin

Le secrétaire général de la Cour d'arbitrage de Côte d'Ivoire (CACI), M. François Komoin, notre invité, hier, a soulevé un coin du voile sur l'institution.
Introduction Il y a des règles de droit dans la société, et elles ont pour objectifs principaux, la paix, la stabilité et l'ordre. C'est à ces conditions seulement qu'une société peut se développer. Malheureusement, il peut y avoir des transgressions soit volontairement ou involontairement. Que faut-il faire alors ? Il y a deux possibilités. La première qui était primitivement connue, celle à laquelle les gens recouraient, c'était de régler eux mêmes le problème. Donc, ils avaient recours à la justice, à la vengeance privée. Cette justice primitive a été mise de côté par un adage que tout le monde connaît bien: Nul n'a le droit de se faire justice. Il a été décidé alors qu'on recourt à un organe neutre à même de résoudre le problème lorsqu'il y a des transgressions de lois dans une société. Cet organe neutre a été au départ la justice étatique. Chaque Etat a constitué un système judiciaire, formé des juges, les a installés en leur donnant des moyens pour qu'ils puissent régler les problèmes dans la vie sociale.
A côté de cette justice étatique, il y a une justice qu'on dit privée (mais ce n'est pas la vengeance privée) ou alternative. L'Etat qui est dépositaire du pouvoir de juger concède ce pouvoir à des privés, à des personnes autres que les juges qu'il nomme. Cette concession de la justice se fait généralement au moyen de ce qu'on appelle mode alternatif de règlement de différends ou encore mode alternatif de règlement de litiges . Aux Etats-Unis, on parle de Alternatives disputes Résolutions, c'est dire qu'il s'agit d'une justice hors du juge ou une justice en dehors des tribunaux. La CACI se situe dans cette justice. L'observateur attentif de la vie économique s'aperçoit que les activités économiques sont principalement de trois ordres : production, distribution, et consommation, mais on remarque que dans ces activités de production, distribution et consommation, il y a des litiges.
Alternative La CACI se présente, pour les opérateurs économiques, comme une alternative à la justice étatique. Qui pour eux, n'arrivait pas à régler correctement les litiges de la vie économique. Ils voulaient donc créer à l'intérieur de la Chambre de commerce et d'industrie, une instance de règlement des litiges. C'est ainsi que le gouvernement ivoirien, à travers Mme Oble qui était Garde des Sceaux à cette époque, a donné son autorisation pour qu'une cour d'arbitrage soit créée, en 1997.
Elle a pour mission, en général, de proposer aux opérateurs économiques et à toute personne intéressée, les modes de règlement de litiges, en dehors des tribunaux.
Différence En Côte d'Ivoire, il n'y a pas de tribunaux de commerce. En France et dans les pays européens de façon générale, ces structures existent. Elles sont constituées soit d'opérateurs économiques, soit ce qu'on appelle système de cheminage, à savoir : un magistrat et des opérateurs économiques. C'est ainsi qu'est constitué en quelque sorte, le tribunal du travail.
Maintenant en ce qui concerne les rapports entre la Cour d'arbitrage (CACI) et la Cour commune de justice d'arbitrage, il n'y a pas de lien de dépendance de l'une à l'égard de l'autre. Il s'agit de deux cours qui existent sur le même territoire. Dans les autres pays, il y a une cour nationale d'arbitrage. Ici nous n'avons que la Cour commune sur notre territoire. Donc la CACI, c'est la Cour nationale d'arbitrage. Il n'y a pas de lien. Nos décisions ne vont pas là-bas, comme si c'était une sorte d'appel. Nous épuisons les litiges au niveau de la cour d'arbitrage. Litiges traités
Les litiges qui nous sont généralement soumis sont ceux de la vie économique. Par exemple, vous vous entendez avec deux ou trois personnes pour créer une société, donc vous êtes associés dans une SARL. Il se trouve qu'il y a des problèmes entre vous, au sujet de l'exécution du contrat de société. Ce genre de litige peut venir à la Cour d'arbitrage. Ou encore qu'il y ait des problèmes avec le gérant, ou un fournisseur d'une autre société, ou même encore entre les employés et les dirigeants. Ces problèmes peuvent être traités chez nous.
Ceux que nous ne recevons pas concernent l'état des personnes. En d'autres termes, on ne vient pas à la Cour d'arbitrage pour se marier ou pour divorcer. On ne vient pas également pour établir un jugement supplétif, ou encore pour escroquerie, vol, abus de confiance, en somme, les affaires ayant une connotation pénale.
Saisine
Pour nous saisir, deux cas de figure existent. Soit vous avez dans votre contrat, une clause qui fait référence à la CACI, en disant: en cas de litige, il sera réglé par la voie d'arbitrage ou par la voie de la médiation conformément au règlement de la Cour d'arbitrage. Ce sont les clauses préalables.
En matière d'arbitrage, on les appelle clauses compromissoires, quand pour la réconciliation, on parle de clauses de médiation ou de conciliation. Si vous les avez dans votre contrat, dès que le litige survient, vous vous rendez au secrétariat général avec une requête et vous nous saisissez, et on met la procédure en ?uvre.
Au cas où ces clauses n'existent pas dans votre contrat, vous pouvez également, si votre adversaire est d'accord, venir chez nous pour que la médiation, la conciliation ou l'arbitrage se fasse.
Problèmes fonciers Si dans le contrat, vous avez une clause qui fait référence à la Cour d'arbitrage, dès lors que le litige survient, vous venez chez nous au lieu d'aller au tribunal. C'est pourquoi quand nous faisons la promotion, nous sensibilisons les notaires, parce que ce sont eux qui rédigent les contrats. A leur tour, ils pourront sensibiliser les acheteurs et les vendeurs à mettre cette clause pour leur éviter d'acheter des procès, quand ils achètent des terrains. Tribunal étatique Au tribunal étatique, lorsqu'on vous assigne, que vous vous présentiez ou non, on vous juge. Par contre, pour venir à la Cour d'arbitrage, il faut que la volonté se manifeste, au moment de la rédaction des contrats. Heureusement, il y a beaucoup de contrats qui contiennent cette clause. Cependant, tant que le litige n'a pas encore éclaté, on ne nous saisit pas. Jusqu'à présent, nous sommes à environ 70 affaires, depuis que la Cour a été créée. Il ne faut pas mettre en rapport le nombre d'affaires chez nous et celui des tribunaux, où vous avez toutes sortes d'affaires. Ce que nous espérons, chez nous, c'est que des litiges ne surviennent pas, car c'est ce qui est bien pour la vie économique. Moins nous sommes saisis, mieux cela vaut pour l'économie.
Organisation A la Cour d'arbitrage, il y a un conseil d'administration. A l'intérieur ce conseil, vous avez des juristes, l'institution, les institutions publiques et les institutions privées. Dans les juristes, vous avez tous ceux qu'on appelle les prescripteurs, tel le barreau de Côte d'Ivoire, avec un représentant, la faculté de droit, les notaires, les associations des entreprises, les institutions publiques, tels la CNPS, le CEPICI (pour faire la promotion les investisseurs étrangers), et toutes les organisations des opérateurs économiques. Puis on a un comité technique. Il est composé de sept personnes permanentes et deux non permanentes. Leur rôle est de s'assurer que les procès à la cour sont conduits conformément aux règlements de la CACI, de même que les décisions qui vont sortir de là sont bonnes. Avant qu'un arbitre ne rende une décision, ce comité technique reçoit la sentence et l'examine par rapport aux allégations des opérateurs économiques. Ensuite nous avons le secrétariat général, et le comité des arbitres et experts présidé par M. Kadjané avec Me Tré Germain qui est avocat et chargé de la promotion au sein de ce comité. Nous faisons en sorte que, une fois la Cour d'arbitrage saisie, nous puissions faire les choses avec diligence.
Logique
La Cour d'arbitrage peut intervenir dans un litige qui oppose l'Etat à un groupe de personnes. A titre d'exemple, dans la crise avec les médecins, l'Etat aurait pu avoir recours à nous pour désigner quelqu'un afin de mener les négociations. L'Etat peut également se tourner vers nous en cas de conflit avec une entreprise. Ce qui est fondamental, c'est que la Cour a un esprit de conciliation. Elle vise à ramener les gens à la table de négociations pour trouver des solutions au mieux des intérêts des uns et des autres.
Un autre avantage, c'est qu'un magistrat qui est arbitre chez nous ne peut pas conduire l'affaire comme s'il était au tribunal. En arbitrage, les chefs, ce sont les parties. L'arbitre doit les amener à trouver une solution. Désignation des arbitres
Quand vous venez en arbitrage, c'est vous qui choisissez les arbitres, contrairement au tribunal. On regarde dans notre liste et on propose. Mais là encore, le plaignant peut choisir quelqu'un d'autre. Quand il n'y arrive pas, nous nous réunissons et nous choisissons en fonction de la nature du litige. Dans la justice étatique, le paradoxe c'est que le juge est formé pour tout juger, sinon il y aura déni de justice. Cela veut dire que, à titre d'exemple, si vous êtes en juridiction et qu'on vous envoie une affaire en rapport avec le droit spatial, vous êtes obligé de juger, en vous documentant. Par contre, si c'est à la Cour d'arbitrage, on choisira un arbitre expert de l'aéronautique. Si c'est une affaire du marché de gros, on prendra quelqu'un de la distribution.
Verdict. La conciliation se solde par un procès-verbal. Il s'impose aux parties. En cas de médiation (le tiers cherche des solutions qu'il propose aux parties), l'arbitrage se solde par une sentence. Il faut savoir qu'aucune décision ne peut obtenir d'exécution forcée sans l'intervention d'un juge nommé par l'Etat. Donc, s'il y un procès-verbal et que l'une des parties ne veut pas exécuter, on recourt au juge étatique pour qu'il donne force d'exécution à ce document, pour qu'on puisse effectivement l'exécuter. Pareil pour la sentence, on l'appelle la procédure d'exequatur. On l'envoie chez le juge pour qu'il appose sa signature, afin qu'elle soit exécutée. Cela ne veut pas dire pour autant, que sans la signature du juge, la sentence n'est pas valable.
Confiance
Ce qui est fondamental en matière de mode alternatif, c'est la confiance ou la bonne foi des parties. Sans elle, les relations économiques ne peuvent pas marcher. Les opérateurs la préservent, même en cas de litige. Ils considèrent les litiges comme un incident de parcours qu'il faut corriger rapidement, pour ensuite continuer les relations commerciales. Dans la plupart des litiges que nous avons eus, les sentences ou les procès-verbaux ont été exécutés de bonne foi par les parties. A la Cour d'arbitrage, c'est la logique gagnant-gagnant. Contrai-rement à la logique judiciaire ou c'est le gagnant-perdant. Ce qui nous importe, ce n'est pas que les gens mesurent leurs arguments, mais comment éteindre le litige pour que le travail continue.
Affaire Cora
Nous ne sommes pas intervenus parce qu'il n'y avait pas de clause préalable. Si malgré cela, ils étaient venus nous voir spontanément lorsque le litige a éclaté, nous aurions réagi et aurions sûrement trouvé une solution.
Confidentialité
L'arbitrage est strictement confidentiel. Il y a un auteur qui disait que la justice est une ?uvre de la lumière et non des ténèbres. C'est la vérité. C'est une justice qui se fait de façon confidentielle. Mais pas de façon clandestine. Il n'y a que l'arbitre ou le médiateur et les partis et leur conseil éventuellement dans la salle. Pourquoi cette confidentialité? Tout simplement parce que souvent de grosses sommes d'argent sont en jeu! Or l'argent n'aime pas le bruit. Des secrets de fabrique au niveau des entreprises peuvent aussi être en jeu. Les hommes d'affaires n'aiment pas que leurs affaires soient dehors. Quand on est à huis clos, on est un peu plus détendu. Ce qui importe, c'est d'arriver à une solution qui soit acceptée par les uns et les autres. Une solution consensuelle.
État de droit
L'émergence des modes alternatifs ne contrarie pas l'Etat de droit. L'Etat de droit, c'est un Etat dans lequel tout le monde respecte la loi, y est soumis, y compris l'Etat lui-même. Les modes alternatifs ne sont pas des modes hors-la-loi. Seulement l'Etat considère que certains litiges doivent se régler de façon consensuelle.
Taux de saisine
Nous avions au départ un problème de promotion de la CACI. Beaucoup d'opérateurs ont indiqué qu'ils ne recouraient pas à la CACI parce qu'ils ne la connaissaient pas. Nous en avons fait la promotion, de sorte que, Dieu merci, les gens se tournent plus vers elle que vers le tribunal.
Avantages
Le premier avantage qu'on a à recourir à la CACI, c'est que c'est rapide. Dans notre organisation judiciaire, on commence en première instance. En dehors des procédures rapides comme les référés, cela peut prendre un an, deux ans quand vous êtes très chanceux. Après, si vous n'êtes pas d'accord, vous faites appel. La Cour d'appel aussi va juger. Si vous n'êtes pas d'accord, vous allez à la Cour suprême. J'ai fait une étude, il y a quelques années, sur la durée des affaires dans notre système judiciaire, en partant de l'affaire qui a duré le plus et celle qui a duré le moins. Le constat, c'est qu'il faut entre cinq et dix ans pour avoir une décision définitive. Vous vous souvenez de la fameuse affaire Mobil, par exemple Il a fallu que le Président de la République intervienne pour y mettre fin de façon consensuelle. A la CACI, la conciliation, la médiation, prend trois mois. L'arbitrage, c'est de trois à six mois. Les autres procédures, c'est un mois ou même 72 heures. La procédure la plus longue chez nous dure donc six mois. On ne peut pas aller au-delà. Par rapport à la justice étatique, il n'y a pas de commune mesure. Quand vous allez au tribunal, vous êtes soumis au code de procédure civil, que ce soit en matière civile ou dans le domaine commercial.
Un autre avantage, c'est ce que nous appelons l'amiable contribution. Lorsque vous allez à la justice étatique, le juge est obligé de juger en droit. Il ne juge pas en équité. Or, à la Cour d'arbitrage, si les partis le veulent, l'arbitre peut juger en équité, ce qu'on appelle l'amiable composition. La médiation, c'est la logique gagnant-gagnant. Ce qui est recherché, c'est de permettre aux parties d'avoir une solution acceptable pour chacune d'elles et avancer. L'intérêt de la Cour d'arbitrage par rapport aux opérateurs économiques vient de la nature même des caractéristiques de leur décision. Parfois les litiges qui surviennent sont techniquement compliqués et il faut des gens aguerris pour pouvoir les dénouer. Et ce sont des litiges dont la solution ne peut souffrir aucun retard, sinon l'entreprise court le risque de fermer. En matière bancaire, si les crédits qui sont faits ne sont pas remboursés et que la banque n'arrive pas à récupérer son argent, cela porte atteinte au crédit.
Coûts des prestations
Les coûts sont composés des coûts administratifs Et puis, il faut payer les arbitres. Nous avons fait un barème de prix qui sont assez raisonnables. Quand l'affaire est au-delà d'un milliard, si c'est un seul arbitre, il a droit à deux millions. Il est possible que l'arbitre demande plus, mais ça, il doit le négocier, par notre intermédiaire, avec les parties. S'ils ne tombent pas d'accord, on change d'arbitre.
Cela dit, les arbitres sont-ils payés cher? Je ne pense pas. Entre avoir une décision en six mois et l'avoir au bout de dix ans, si vous calculez le temps, surtout s'il s'agit d'un recouvrement de créance, vous gagnez beaucoup... Si l'entreprise peut obtenir en un mois le milliard de francs que lui doit une autre entreprise, sur une autre entreprise, payer deux millions à un arbitre, ce n'est rien du tout.
Contrats
Dans l'exécution des contrats, il y a un instrument juridique qui est très important pour la vie économique. Sans cet instrument juridique, vous n'avez plus de vie économique. Quand vous allez chez le boutiquier mauritanien et que vous achetez une boîte, vous accomplissez un contrat de vente, un accord de volonté afin d'atteindre un objectif. Quand des fournisseurs se mettent ensemble, ce sont des contrats en vue d'atteindre un objectif. Tous les litiges qui ressortent de l'exécution de ces contrats peuvent venir à la Cour d'arbitrage. Il y a beaucoup de contrats : des contrats civils, de vente de terrain, des contrats de sociétéEn dehors des litiges pénaux et des litiges des cas de personnes, tous les autres litiges viennent à la cour d'arbitrage.

Statut

La Caci a été créée au sein de la Chambre de commerce mais elle a son indépendance. Habituellement, les Cours d'arbitrage sont créées au sein des Chambres de commerce. Par exemple en France, il y a une Cour d'arbitrage au sein de la chambre de commerce. Il en est de même pour les autres pays européens. Mais on n'en fait pas des services de la chambre. Pour éviter qu'il y ait des rapports de hiérarchie. Or, la Chambre de commerce elle-même peut être jugée par la Cour d'arbitrage si elle passe un contrat avec quelqu'un dont les clauses prévoient cela. D'ailleurs, pour sa crédibilité, toute juridiction doit être indépendante.

Conseil d'administration

Les membres du conseil d'administration sont des représentants. Par exemple, le doyen de la faculté des lettres vient pour représenter la faculté, le bâtonnier de l'ordre des avocats représente les avocats, la CNPS envoie un représentant etc. Le secrétaire général est nommé par le conseil d'administration. Son adjoint est nommé par le bureau du conseil d'administration. Nous sommes à peu près une trentaine. Il y a quatre membres de la Chambre de commerce, un membre du patronat (qui représente tous les employeurs), un expert comptable, un juriste d'entreprise, un notaire, un avocat, un conseil juridique, un enseignant de la faculté, un représentant de l'Asaci, un de la fédération maritime, un de la Fnuci, un du groupement ivoirien du bâtiment et des travaux publics, un de l'APD (association professionnelle des banques), un de l'Union nationale des télécoms, un du groupement des opérateurs de café cacao, un de l'association pour la promotion des exportateurs, un du Cepici, un de la Chambre d'agriculture, un de la Chambre des métiers, un du GPP (groupement professionnel de l'industrie du pétrole), un de l'organisation de la commercialisation de banane, un de la fédération des PME, un des PME et un représentant des chambres de commerce étrangères (chambres de commerce française, belge, américaine etc.). En fait, tout le milieu des affaires y est représenté. Nous nous retrouvons au moins une fois par an pour faire le point et voir comment nous pourrons développer d'autres activités.
Influence politique
L'alternative au droit n'est pas forcément la politique. Ça peut être le non droit ; ce qui n'a rien à voir avec la politique. En conciliation et en médiation, il n'y a pas de règle parce que le conciliateur ou le médiateur a pour objectif d'aider les adversaires à trouver une solution consensuelle à leur litige, de sorte qu'il s'affranchit des règles. Pour lui, ce qui importe, c'est que les deux parties acceptent une solution négociée. Le médiateur ou le conciliateur ne vient pas pour trancher un litige. Or, on parle de règle lorsqu'il s'agit de trancher un litige. En arbitrage, si les parties n'ont pas donné le moyens à l'arbitre de statuer en amiable composition, il est obligé de respecter les règles applicables. Ainsi donc en arbitrage, nous avons soit les règles applicables, soit l'équité si les parties donnent les moyens applicables à l'arbitre de statuer en équité. Par exemple, vous avez des problèmes à l'exécution d'un contrat, il est possible que le médiateur vous amène à trouver une solution. Si vous êtes, par exemple, croyant chrétien, il est possible que le médiateur trouve sa solution dans la Bible plutôt que dans le contrat. C'est cela l'esprit de la médiation. C'est trouver un arrangement amiable pour que les parties puissent aller de l'avant. Le médiateur n'y vient pas pour appliquer un texte, il y vient pour trouver une solution. En médiation et en conciliation, on ne cherche pas à trancher un litige, on cherche à l'éteindre. Lorsque vous voulez éteindre un feu, que l'eau soit de la veille ou de l'avant-veille, peu importe. Il suffit seulement que cela ait les vertus d'extinction. Mais en arbitral, c'est différent, parce que l'arbitre, lui, est un juge. Et l'arbitre doit statuer en droit. Maintenant, si les parties lui donnent la possibilité de statuer en équité, en ce moment-là, il le fait.
Moralité
Nous y faisons très attention. J'ai fait faire un code de conduite pour les arbitres que je suis scrupuleusement. Puisque la qualité des arbitres rejaillit sur la qualité de l'institution. Si demain j'apprends que j'ai un arbitre qui s'est livré à des actes pas bien, on ne va certes pas l'enlever sur place, mais on va l'appeler avec le président de son comité pour en savoir un peu plus. Et si on s'aperçoit que c'est vraiment quelqu'un qui n'a pas de bons comportements, il sortira de notre liste. Nous nous assurons que nos arbitres sont des gens intègres. D'ailleurs, lorsqu'on fait la première formation, nous insistons là-dessus.
Racket policier
Les dossiers de racket ne viennent pas chez nous. Le racket est une infraction. C'est au tribunal qu'on les traite. Si j'ai une proposition à faire à ce niveau, c'est de demander aux gens d'appliquer la loi. Cela est déjà dans le code pénal. Si l'on prend quelqu'un en train de racketter, on le sanctionne tout simplement.
Décentralisation. J'aimerais bien que tous les opérateurs économiques de la Côte d'Ivoire profitent de tous les avantages que je viens de citer. Nous allons mettre en place une politique de décentralisation. Cette année, je pense pouvoir ouvrir des délégations à San Pedro, à Yamoussoukro, à Bouaké et à Daloa. Au fur et à mesure, nous allons essayer d'avoir une délégation de la Caci dans chaque chef-lieu de région de sorte que les opérateurs de ces régions en profitent. Parfois, ça peut être des litiges de 200 000 francs. Si vous allez au tribunal, parfois, celui qui doit rembourser 200 000 francs finira par payer un million, compte tenu de tous les frais qui s'ajoutent.

Compromis

Cela est arrivé plusieurs fois. Si vous connaissez quelqu'un qui a un problème, mais qui n'a pas de clause de médiation préalable, vous pouvez venir me voir. Je chercherai alors à rencontrer l'adversaire pour lui demander s'il accepte que ça se passe chez nous. S'il est d'accord, nous signons un compromis d'arbitrage et la Cour s'en occupe. Mais l'idéal serait de mettre les clauses au moment de la rédaction des contrats, parce que s'il n'y a pas de clause et qu'il refuse, on est bloqué. Or si vous avez cela déjà dans le contrat, qu'il vienne ou pas, ça se passera à la Cour d'arbitrage. Même s'il va chez le juge, celui-ci le ramènera chez nous. C'est-à-dire que les parties se retrouvent à nouveau pour décider de changer la partie règlement de litige ?.
Difficultés
Souvent, il arrive qu'une des parties ne soit pas de très bonne foi et refuse d'exécuter la solution. Ce n'est pas que le litige resurgit, mais on a un problème au niveau de l'exécution. Alors, on est obligé d'aller chercher l'exequatur. Parfois les gens se demandent pourquoi ne pas aller directement devant le juge s'ils doivent prendre l'exequatur après. Moi je leur réponds ceci : chez le juge, vous n'aurez pas une décision définitive en moins de six mois. Il y a aussi tous les autres avantages que j'ai cités. Mieux, en exequatur, le juge ne re-juge pas. D'ailleurs en exequatur, c'est très rapide. Il l'examine en deux ou trois jours, il met son cachet et c'est terminé. Et l'on exécute. Mieux encore, la décision d'exequatur est sans recours. Si le juge refuse d'exequaturer, il doit motiver sa décision. Il doit dire pourquoi il refuse que ce soit exécuté de manière forcée. Mais lorsqu'il décide qu'on exécute, il n'a pas à motiver sa décision. Toutefois, moi je prends soin pour que tout ce qui sort de la Cour d'arbitrage soit correct. Que ce soit au plan du droit ou des autres principes, car cela engage ma crédibilité.
Recours
Il y a un recours qu'on appelle recours en annulation ?. C'est-à-dire que si une des parties n'est pas d'accord avec la sentence d'arbitrage, elle peut faire un recours devant la cour d'appel pour avoir l'annulation de la sentence. Ce qui est intéressant, c'est que ce recours-là a des cas d'ouverture. C'est-à-dire qu'il y a des conditions de recevabilité. Il y en a sept. Et nous vérifions de sorte qu'aucun de ces cas ne puisse être reproché à nos sentences. Ainsi, même s'il y a quelqu'un de mauvaise foi qui prend un recours, ce recours sera nécessairement déclaré irrecevable. Par exemple, les parties veulent trois arbitres et nous, nous faisons siéger deux. Ce n'est pas bon ainsi. On essaie donc d'évacuer tout cela. Ou alors, c'est une affaire contractuelle et l'arbitre, dans son projet de sentence (parce qu'on examine le projet de sentence), commence à raisonner sur la base de la responsabilité délictuelle. (En droit civil, il y a deux types de responsabilité contractuelle. Lorsque vous commettez une faute dont la responsabilité se trouve dans un contrat, vous engagez votre responsabilité contractuelle. Il y a la responsabilité délictuelle qui est toute responsabilité en dehors d'un contrat.) Alors si l'arbitre commence par raisonner sur la base de la responsabilité délictuelle, on va attirer l'attention. Puisque c'est un contrat, d'où vient que vous allez sur la base du délit. C'est très intéressant de faire ce contrôle, parce que c'est entre des juristes et des opérateurs économiques.
Retard
Nous sommes très en retard sur les modes alternatifs de règlement des litiges au plan international. Un pays comme les Etats-Unis, il n'y a pratiquement que cela. Il y a même une Cour là-bas comme la nôtre qui reçoit chaque année, à elle seule, un peu plus de 600 affaires. Or là-bas, ils en ont plusieurs. Au plan international, on est donc en retard. Il faut qu'on puisse booster le processus.
Esprit
La justice traditionnelle est essentiellement conciliatoire. Nous les Africains, notre conception de la justice, c'est la conciliation. D'ailleurs, une maxime importante dit : la conciliation ne fait ni gagnant ni perdant ; les plaideurs tombent d'accord et la fraternité n'est pas compromise. Ils se séparent en partageant la noix de kola, symbole de l'égalité et de l'amitié ?. C'est ainsi que ça fonctionne en Afrique. On fait appel au notable, considéré comme le sage, pour venir concilier les parties, parce qu'on ne veut pas que le litige qui survient mette en danger l'harmonie du village.
C'est cela l'esprit de la Cour d'arbitrage: conciliation, médiation, préservation de la paix sociale, harmonie entre opérateurs économiques. Après, vient l'exécution qui est soit volontaire, soit forcée après l'exequatur. Mais généralement, c'est volontaire.

Philosophie

L'arbitrage et la justice traditionnelle sont imprégnées de la même philosophie. C'est-à-dire la conciliation et le rétablissement de l'harmonie sociale. La différence, c'est que la justice traditionnelle n'a pas d'existence légale. Elle a une existence sociologique. Donc, c'est difficile de les comparer.

OHADA

L'OHADA et la cour d'arbitrage sont deux cours qui sont sur le même territoire. Mais il n'y a pas de rapport hiérarchique entre les deux. Pour éviter de faire de la publicité au détriment des autres, je ne dirai pas que la cour d'arbitrage est plus performante. Ce qui est objectif, c'est qu'à la cour commune de justice et d'arbitrage, vous avez un seul règlement d'arbitrage. A l'OHADA, il n'y a pas de conciliation et de médiation, etc. Ensuite, leur règlement a été approuvé par les Etats. Si demain par exemple, des opérateurs me disent qu'il y a quelque chose dans notre règlement qui retarde les choses, je réunis tout de suite le conseil d'administration et l'on avise. Et puis à l'OHADA, les frais sont plus élevés que chez nous.

Qualités

Il arrive qu'on ne parvienne pas à concilier les gens. Je demande toujours au médiateur de faire preuve de patience. Il ne doit pas être pressé. Si le conciliateur doit écouter par exemple une des parties de 8 heures à 18 heures, il doit faire preuve de patience, car l'essentiel est de trouver une solution. Il y a des fois où la personne ne veut rien entendre. Dans ce cas, on fait un procès-verbal de non conciliation. Mais on fait en sorte que cela arrive le moins possible.

Impact de la crise

Il y a une incidence négative. Les incidences sur la cour sont des incidences qu'il y a aussi sur le secteur économique. C'est un secteur qui a permis au pays de tenir. Il ne faut pas l'oublier, ce secteur a été fortement frappé. On était souvent obligé de dénoncer le fait que les produits soient vendus sur une moitié du territoire. Heureusement que le processus de réunification du territoire est en cours. Finalement, ils pourront tous travailler. On peut dire que plus il y a de crises, plus il y a de litiges. Mais, le mieux est qu'il n'y en ait pas. Au plan social, il y a beaucoup de litiges dans les tribunaux du travail.

Reconstruction

Nous pouvons jouer un rôle dans la reconstruction de la Côte d'Ivoire. Lorsqu'on veut reconstruire, à mon sens, il y a deux précautions qu'il faut prendre si l'on veut que la maison tienne. La première précaution est d'avoir de bons matériaux. Si vous reconstruisez une maison avec du sable, c'est sûr qu'elle va s'écrouler. Ensuite, il faut avoir de bons architectes et de bons maçons. C'est une image que je donne pour dire qu'il faut reconstruire sur des valeurs. Et l'une des valeurs est le respect du droit. Une autre valeur est d'avoir de bonnes institutions de règlement de litiges. L'Etat peut nous confier aussi des missions de médiation et de conciliation auprès des parties dans le cadre de la sortie de crise. Nous sommes disposés à jouer ce rôle.

Sécurisation

On fait appel aux investisseurs étrangers. Si ces groupes qui manifestent leur intention d'investir ici sont mal traités lors d'un litige, ils partiront. Nous nous positionnons comme étant un instrument de sécurisation de leurs investissements si le règlement du litige n'est pas conforme à ce à quoi on s'attend. Nous leur faisons comprendre qu'ils peuvent venir investir en toute tranquillité.
Le code des investissements, en général, indique les avantages que ceux-ci peuvent avoir. Lorsqu'un investisseur veut constituer une société, il doit indiquer dans le contrat de société qu'en cas de litige qui surviendrait dans l'exécution de ce contrat, il faut recourir à la Cour d'arbitrage. Car il arrive que l'investisseur s'associe à des Ivoiriens qui, malheureusement, s'approprient des fois l'outil de production de façon pas très honnête. En ayant recours à la cour d'arbitrage, il se protège ainsi contre les aléas. Dans la vie économique, il y a des risques. Si en plus de cela vous devez ajouter des risques judicaires, cela représente trop de risques. La cour d'arbitrage essaie de réduire au minimum les risques judicaires.

Intérêts économiques

Les contrats de commerce international se règlent dans les chambres d'arbitrage et non dans les tribunaux. Nous sommes en retard en Afrique sur ce plan. L'opérateur ne va pas chercher forcément le droit. Il voit comment faire pour sauvegarder ses intérêts et les relations économiques avec ses partenaires. S'il estime qu'il n'est pas satisfait d'une sentence de la Cour d'arbitrage, il faut qu'il fasse le recours en annulation. Mais, il faut qu'il y ait des cas qui soient recevables. On peut trouver que c'est contradictoire. C'est là que se trouve l'avenir des opérateurs économiques. Le tribunal est plus difficile. Le code de procédure est un code qui est à la fois pour les affaires commerciales, administratives et civiles. Il ne tient pas compte des spécificités des litiges économiques. Donc, il faut d'autres codes.

Indépendance

Si dans les contrats signés par l'Etat il y a une clause d'arbitrage, l'Etat vient en arbitrage chez nous en cas de litige. L'Etat ne peut pas faire pression. S'il a tort, il sera condamné à payer. Si c'est un litige entre un particulier et un homme politique, il n'y a aucune influence. En tant que secrétaire général, je n'ai pas la possibilité d'influer sur un arbitre. La Cour est indépendante. Il faut savoir que nous ne sommes pas là pour moraliser la vie économique. Seules les institutions judiciaires sont habilitées à le faire. Elles condamnent tous ceux qui commettent des infractions. Nous sommes là pour aider les opérateurs à trouver des solutions à leurs litiges.

Envergure

Au plan international c'est un mouvement développé. Aux Etats-Unis, c'est tellement ancré dans les habitudes que c'est considéré comme du way of life, c'est-à-dire un mode de vie. Dans le business américain, on ne peut pas concevoir une affaire sans ce mode de vie. Il ne se circonscrit pas seulement au domaine économique. Après les fameuses guerres qui ont tant meurtri le monde, les Etats se sont réunis pour créer la Société des nations devenue plus tard l'Organisation des nations unies. Il est dit dans les chartes de l'Onu qu'il faut éviter à tout prix la guerre. Et trouver une solution amiable aux litiges qui surviennent. Quand on parle de missions de bons offices, il s'agit de la médiation. On cherche par tous les moyens à éviter la confrontation. Au plan économique, nous nous retrouvons depuis 4 ans en France pour faire le point des cours d'arbitrage. Je suis allé en 2004. Les pays d'Afrique qui ont une chambre d'arbitrage sont l'Algérie, le Bénin, le Cameroun, le Tchad, le Burundi, le Burkina Faso, l'Egypte, le Congo, le Djibouti, l'Ethiopie, le Gabon, le Mali, le Ghana, le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, l'Afrique du Sud, le Togo, La Libye, le Maroc, le Nigeria, le Togo, la Tunisie et le Zimbabwe. Ces pays ont compris qu'il est essentiel d'avoir une Cour d'arbitrage à l'ère de la mondialisation. Cela n'est pas obligatoire au plan juridique, mais s'impose comme une nécessité si l'on veut attirer des investisseurs. Et la plupart des pays se dotent de cette institution. En 2009, la Côte d'Ivoire va recevoir la réunion des centres de médiation et d'arbitrage d'Afrique. On essaie de se mettre de plus en plus en réseau pour faciliter le règlement amiable des opérateurs économiques qui travaillent dans plusieurs pays. Le propre d'un litige économique est qu'il n'est pas lié à un territoire.

Spécialisation

A l'intérieur de la Cour d'arbitrage, nous sommes en train de créer des chambres spécialisées. On ne peut pas faire la médiation d'arbitrage dans le domaine bancaire comme on le ferait dans le domaine maritime et dans celui du café-cacao. Ainsi, on aura la chambre d'arbitrage maritime, la chambre d'arbitrage de l'immobilier. Cela va permettre d'avoir une souplesse dans le traitement des dossiers.

Forme des contrats

Le contrat écrit est important parce qu'on peut y insérer de façon physique, matérielle une clause compromissoire, une clause de médiation. Dans certains cas, le code civil impose que le contrat soit sous forme écrite. Mais la plupart de nos contrats sont verbaux. Mais si les parties manifestent leur volonté de voir les litiges réglés, la forme du contrat n'est pas un obstacle.

Conclusion

Je voudrais dire merci au Directeur général, au Directeur des Rédactions, au rédacteur en chef et au secrétaire général de la rédaction d'avoir permis cette opportunité à notre structure. Je voudrais aussi vous demander à vous, journalistes, de nous aider à nous faire connaître. Les avantages que les opérateurs, l'Etat peuvent en tirer sont énormes. Nous sommes disposés à donner aux opérateurs économiques tous les renseignements utiles. Ensemble, mobilisons-nous pour reconstruire le pays.

Propos recueillis par
Marcelline Gneproust
Marie Adèle Djidjé
Nimatoulaye Ba
Casimir Djézou
Grâce Ouattara
coordonnateur
Elvis Kodjo

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Le mot du Directeur du Développement des Rédactions

Au nom de toutes les rédactions et du Directeur général, bienvenue à M. François Komoin qui est connu dans nos colonnes puisqu'il anime une rubrique sur le droit dans l'édition de samedi, en tant que responsable d'association habitué à parler de droit communautaire. M. François Komoin, magistrat, a un long parcours, une expérience très riche en matière de gestion et d'application du droit. Il a servi, entre autres, comme substitut du Procureur de la République, juge au tribunal d'Abidjan. Il a occupé les responsabilités de juge de la section du tribunal de Dabou, il a été sous-directeur des Affaires pénales et des grâces, directeur de cabinet du ministre résident du district de Yamoussoukro, vice-président du tribunal d'Abidjan, directeur de la législation au ministère de la Justice. Une de ses récentes responsabilités a été celle de secrétaire général de la Primature. Aujourd'hui, il est ici en tant secrétaire général de la Cour d'arbitrage de Côte d'Ivoire, pour nous parler de droit et de son expérience dans cette institution d'arbitrage. Quand on parle d'arbitrage, pour les plus sportifs d'entre nous, on pense à un terrain de foot, mais quand on est magistrat et qu'on n'est pas sur un terrain de football, de quoi peut-il s'agir ?
Il y a des institutions qu'on connaît très bien et d'autres qu'on connaît moins bien, mais qui ne manquent pas de jouer leur rôle et permettre à la société de fonctionner. M. Komoin va nous introduire, dans son institution pour nous permettre de mieux la faire connaître ".

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