samedi 29 septembre 2007 par Fraternité Matin

L'administrateur provisoire, Obou Gérard -Armand fait l'état des lieux et communique sa foi en une gestion moderne et efficace.
Pourriez-vous rappeler l'état dans lequel vous avez trouvé le Burida?
Lorsque nous prenions fonction au Burida, le 13 juin 2007, c'est une entreprise en totale déliquescence, avec une trésorerie très tendue, une situation sociale très affectée par les conflits intersyndicaux que nous avons trouvée. Mais bien plus, l'image du Burida était fortement affectée par plusieurs années de conflits tant au niveau de l'opinion publique que vis-à-vis des potentiels bailleurs. Aucune banque, notamment ne faisait confiance à la structure, au point que les crédits scolaires avaient été suspendus l'année précédente. Et puis, bien évidemment, les sociétaires étaient démotivés et déçus des prestations de services du Burida. Vis-à-vis de l'extérieur, les relations internationales du Burida avec ses partenaires étaient complètement gelées. Pire, le Burida lui-même était complètement coupé du monde parce que n'ayant pas accès aux nouvelles technologies et ne prenait pratiquement plus part aux rencontres internationales qui s'imposent pourtant dans la gestion collective du droit d'auteur. Les accords de réciprocité entre les bureaux de droits d'auteur n'étaient plus activés pour toutes les raisons que j'ai évoquées plus haut. En d'autres termes, c'est un Burida mourant que nous avons trouvé sur la table du médecin.
En quoi consiste votre mission d'administrateur provisoire?
Ma mission consiste à restructurer, à redresser la situation du Burida et bien évidemment à redonner confiance aux sociétaires. Pour ce faire, nous avons d'abord diagnostiqué le mal du grand malade qui nous a été confié. Et cela a consisté en deux étapes fondamentales. Nous avons écouté tous les partenaires internes et externes du Burida. Notamment les anciens dirigeants, les nouveaux leaders, les sociétaires, les structures partenaires qui avaient suspendu leurs relations avec le Burida. Au niveau des partenaires extérieurs, nous avons écouté un échantillon représentatif des sociétés de gestion des droits d'auteur dans le monde, nous avons approché l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) pour connaître la situation du Burida. Et nous avons rencontré nos autorités politiques, notamment le ministère de la Culture et de la Francophonie. Il nous a donné un éclairage très avisé qui nous a été utile dans la pose du diagnostic. Après tout cela, nous sommes rentrés au laboratoire, et avec tous les outils de gestion modernes adaptés, nous avons essayé de pondre une stratégie d'action afin de mener à bien notre mission. Quelle est la durée de votre mission?
Notre cahier des charges n'est pas limité dans le temps. Lorsque l'Etat estime que la situation est complètement délicate dans une structure donnée, alors, il prend sur lui la responsabilité de nommer une administration provisoire afin de redresser la situation. Cela dure le temps qu'il estime nécessaire pour l'accomplissement de cette mission. Dans notre cas, nous avons été autorisé par notre direction générale, le BNETD, pour conduire cette mission qui est la sienne. En tout cas, si on nous laisse travailler, comme c'est le cas aujourd'hui, nous pensons que très bientôt, nous pourrions conduire cette mission à son terme.
Que répondez-vous à ceux qui pensent qu'il faut uniquement confier la gestion du Burida aux artistes. C'est également la volonté du Président de la République qui estime qu'il faut remettre aux sociétaires leur instrument. Seulement, il souhaite leur remettre un instrument propre, moderne, capable de gérer effectivement les droits d'auteur. Bien évidemment, sous la surveillance vigilante de l'Etat. Jusque-là pourtant, la gestion du Burida a été le fait des artistes eux-mêmes et l'on a pu observer qu'ils ont montré leurs limites. Je ne sais pas s'ils ont montré leurs limites
Vous venez pourtant de relever l'état de déliquescence dans lequel se trouvait cette structure avant votre arrivée et qui n'était que le résultat d'une mauvaise gestion. Je ne veux jeter la pierre dans le jardin de qui que ce soit, ce n'est pas mon rôle. Les responsabilités dans les erreurs de gestion du Burida, par le passé, ne peuvent être situées de façon ferme et claire. Tout le monde est coupable. Tous, nous sommes coupables en tant qu'usagers des ?uvres de l'esprit. Vous savez que l'usage des droits d'auteur en Côte d'Ivoire et même en Afrique pose de graves problèmes en ce sens qu'il est complètement méconnu dans nos cycles de formation, dans nos habitudes. Au point que les sociétés de gestion collective des droits d'auteur, ici et partout, ont toujours eu des difficultés à collecter les droits qui reviennent aux auteurs. En clair, on ne peut distribuer que ce que l'on a. Lorsque l'usager refuse de payer les droits d'auteur ou préfère consommer les produits de piraterie, plutôt que les produits licites, il est évident que la société collective des droits d'auteur ne peut avoir suffisamment de ressources pour les répartir à ses sociétaires. C'est d'abord cette responsabilité collective qu'il faut souligner parce qu'elle nécessite un changement total d'habitude de consommation des ?uvres de l'esprit pour que les auteurs puissent jouir des fruits de leur labeur, avant même de penser gestion. Vous avez apporté des innovations de taille dans la gestion du Burida. Notamment l'institution d'une carte-salaire, l'interconnexion de toutes les agences au siège. Nous n'oublions pas la lutte hardie que vous menez contre la piraterie. Qu'est-ce qui explique tout cet acharnement?
Nous avons certes l'air de nous acharner, mais à la vérité, nous allons simplement au pas de course. Parce que comme je l'ai dit tantôt, il est bon que nous puissions conduire rapidement et de façon efficace ce type de mission. Il faut tout de même noter que nos actions répondent à une stratégie. Après le diagnostic que nous avons posé plus haut, il y a le fait que nous devons agir en interne sur le personnel et sur leurs instruments de travail. Cela contribue à une meilleure gestion des fonds collectés. D'où la réorganisation de nos services. Il nous paraissait injuste qu'une société comme celle-là qui gère des droits d'auteur, n'ait pas de Direction juridique. Pour la gestion de la centaine d'employés, nous avons mis en place une Direction des Ressources humaines, une cellule de Communication et un système d'information. Nous nous sommes attelés par la suite à la création d'une police numérique qui permet de contrôler tous les réseaux du monde entier. Nous avons également pensé à la mise en place d'une inspection générale pour assurer le contrôle des opérations de perception qui se font sur tout le territoire. En un mot, nous avons essayé de restructurer pour répondre à des objectifs d'efficacité. Aujour-d'hui, un certain nombre d'actions sont entreprises par le Burida pour ramener la confiance entre elle et ses mandants. Ne serait-ce qu'en commençant par améliorer l'accueil qui leur est réservé dans leur maison. Toujours dans ce cadre, nous avons développé un site internet (www.burida.org) sur lequel nos sociétaires ont la possibilité de s'informer sur tout ce que fait le Burida. Sur ce site, il y a par ailleurs, les comptes sociétaires qu'ils peuvent consulter pour connaître leur solde. Pour terminer, ils peuvent aller au guichet d'une banque de la place qui est notre partenaire, toucher à leur rythme, le salaire qui leur revient en toute confidentialité.
Quelle stratégie avez-vous mis en place pour élargir l'assiette de vos recettes?
Pour ce faire, nous avons développé toute une gamme de nouveaux produits ou de nouveaux secteurs qui sont restés jusque-là non imposés. Notamment les secteurs de la publicité (au niveau des médias), de la mise en attente téléphonique (au niveau de la téléphonie mobile où il y a beaucoup de téléchargement de sonnerie musicale et au niveau des réseaux électroniques) et de l'événementiel. En ce qui concerne la publicité, ce sont en principe 10% du coût de diffusion sur un média d'une ?uvre publicitaire qui doivent être reversés au Burida comme droits d'auteur. Une petite étude nous montre que si la radio d'Etat faisait par exemple entre trois et quatre milliards de recettes publicitaires, ce serait 10% de ce chiffre à reverser au Burida, si le travail est fait correctement. Et ça, c'est sans avoir pris en compte les mises en attente téléphonique, l'ensemble des spectacles organisés dans les communes dans lesquelles la facturation tient compte du prix du ticket et du nombre de places disponibles dans les salles. Nos tarifications varient de 500 à 1,8 million pour les dîners-galas, concerts, etc. Il y a le droit d'exécution publique qui, quoique collecté de tout temps, était cantonné pour la majorité à Abidjan. En région, la nature ayant horreur du vide, il se trouve que depuis que nous communiquons, des quidams se permettent de s'ériger en collecteurs là où nous ne sommes pas. Nous avons fait en sorte d'avoir plus de points de présence parce que cette façon de procéder peut avoir des résultats intéressants.
Quand on regarde le regain d'activités événementielles organisées dans notre pays, il y a là également un très grand chiffre d'affaires à réaliser, surtout en fin d'année. Il faut retenir que le domaine du droit d'auteur dans notre pays, est désormais un secteur porteur qui est loin de ce qu'on a connu jusque-là. La banque BFA l'a si bien compris, qu'elle s'est alliée à nous au niveau de la carte-salaire. Je voudrais indiquer aux assureurs, aux professionnels du crédit automobile, aux institutions financières que le Burida est désormais une société viable à très fort potentiel dans laquelle, il faut investir en étant certain que cet investissement n'est pas à fonds perdu. Peut-on avoir des données chiffrées sur l'évolution des recettes du Burida?
Retenez simplement qu'elle est exponentielle. D'ici quelque temps, j'annoncerai certainement des chiffres avec un fort impact. Notez que là où nous avons collecté à mon arrivée, X millions de francs, au mois de juillet, nous avons collecté X+14 millions de francs et avec la mise en place rapide des réformes, nous sommes aujourd'hui à X+14+20. Pour l'instant, je n'ose pas dire que la croissance est vertigineuse. J'attends que la tendance soit confirmée pour les trois mois à venir pour pouvoir nous convaincre nous-mêmes que notre stratégie a véritablement fonctionné. Que pensez-vous de la création d'une brigade de lutte contre la piraterie dirigée par les artistes eux-mêmes?
A mon sens, il faut que les artistes qui ont le don de création, s'adonnent à leur travail de création parce que l'Etat a décidé de faire son travail. Ils gagneraient à laisser la police faire le sien afin qu'elle soit entièrement responsable de ses résultats sur le terrain. D'ailleurs, à ce propos, je tiens à rappeler l'action menée, il y a quelque temps par l'Union nationale des artistes à la ?'Sorbonne'' et qui s'est soldée par l'agression de plusieurs artistes dont Fadal Day. S'il y avait eu mort d'homme, la responsabilité aurait été immense. Faut-il rappeler qu'en tant que citoyen, nul n'a le droit de se faire justice? Je voudrais indiquer que la guerre est finie et que l'Etat de Côte d'Ivoire se doit maintenant de jouer pleinement son rôle. Il est vrai que la piraterie a été favorisée en grande partie par l'état de guerre dans lequel nous étions et qui a amené l'Etat à concentrer toutes ses énergies à la défense de ses institutions. Maintenant que la République est debout, il faut qu'elle fonctionne. Il paraît juste et indiqué que nous fassions confiance à ceux qui ont été formés pour protéger les intérêts des opérateurs économiques. Que de s'immiscer dans la mission des Forces de défense et de sécurité, nous encourageons (en tant qu'Administrateur provisoire) le renforcement des moyens et des outils de fonctionnement de la Brigade culturelle sur le terrain. L'Etat nous donne aujourd'hui, la possibilité de réquisitionner les Forces de police, avec l'aval et l'appui du directeur général de la police et du ministère de l'Intérieur. Ces forces de l'ordre sont présentes sur le terrain et mènent des actions beaucoup plus intenses que par le passé. En face, il faut bien savoir que les pirates tirent même sur ces agents. Il faut savoir que la lutte menée par nos vaillants soldats n'est pas de la blague! Pour que la police soit efficace, il ne faut pas s'immiscer dans sa mission.
Cela ne signifie-t-il pas que l'Etat a échoué dans la lutte contre la piraterie?
Il n'est pas juste d'affirmer que l'Etat a échoué, parce que premièrement, nous-mêmes avons été commis par l'Etat de Côte d'Ivoire au nom de qui nous agissons. Je ne crois pas que ce que nous faisons jusque-là ne porte pas de fruits. J'ai dit plus haut qu'il est difficile de ramener les responsabilités à un seul niveau parce que tel que le Burida fonctionnait jusque-là, il n'était pas sous la responsabilité exclusive de l'Etat. Les textes du Burida ont de tout temps prévu un Conseil d'administration dirigé par les artistes eux-mêmes (vous vous souvenez certainement de quelques noms) et composé en majorité par les artistes eux- mêmes. Quoique l'Etat y soit présent, il ne dirige pas le Conseil d'administration qui est censé donner l'orientation stratégique de toute structure. Si on s'en tient à cela, on ne peut pas affirmer d'emblée que l'Etat était le premier responsable. L'Etat a effectivement nommé de tout temps le directeur général du Burida. Mais entre un président du conseil d'administration censé donner l'orientation stratégique et un directeur général nommé qui exécute, il est difficile de situer la responsabilité. Je note par ailleurs que ce mécanisme de fonctionnement peut poser problème parce que lorsque le directeur général prend ses ordres ailleurs et répond de ses actes devant l'Etat plutôt que devant le conseil d'administration (comme cela devrait se faire normalement), c'est un schéma qui peut effectivement poser de graves problèmes de dysfonctionnement au quotidien. C'est toutes ces dispositions institutionnelles qui n'ont pas marché, en partie. Et sur lesquelles l'administration provisoire doit émettre des réflexions, afin de les soumettre aux autorités pour qu'à l'avenir, les structures de gestion du Bureau ivoirien des droits d'auteur fonctionnent en toute harmonie. Il ne me parait donc pas juste de dire que l'Etat a échoué. C'est tout le monde, y compris les usagers du droit d'auteur, qui a échoué. Pensez-vous avoir les coudées franches avec votre statut d'administrateur provi-soire?
Nous avons parfaitement les coudées franches en tant qu'administrateur provisoire dans notre mission! Chaque fois que nous devons poser un acte, nous nous en référons à notre ministre qui a commandité cette mission et nous avons son appui pour mener à bien ces actions. Toutefois, vous n'ignorez pas que juridiquement, l'administrateur provisoire concentre entre ses mains les pouvoirs du directeur général et celui du Conseil d'administration. En tant que tel, j'ai donc les coudées franches pour mener à bien la mission et mener à bien les actions idoines pour le bien-être des sociétaires de cette structure. Seulement, il faut noter que l'administration provisoire a quelque chose de dangereux. Je la compare souvent à l'article 48 de notre constitution, à partir duquel le Président de la République peut prendre toutes les décisions qui lui semblent opportunes sans avoir à passer par des lois. Pour faire un parallélisme des formes, à un moindre niveau bien sûr, l'administration provisoire a ceci de dangereux, qu'elle ne doit pas à notre sens durer longtemps. Parce que ce faisant, le temps peut user et on peut se tromper quelquefois dans la prise de décisions puisqu'on se réfère à soi-même. Nous pensons qu'il faut aller plus vite pour finir et c'est ce qui fonde la vitesse avec laquelle nous menons nos actions. Ainsi, nous pourrions mettre en place les nouveaux organes qui géreront désormais les droits d'auteur dans notre pays.

Quels sont, à ce jour, les rapports du Burida avec les structures internationales de droits d'auteur?

Comme tous les bureaux de droits d'auteur, le Bureau est censé avoir des relations de réciprocité avec l'ensemble des bureaux de droits d'auteur dans le monde. Mais vous savez que l'histoire du Burida rime avec l'héritage que la SACEM a légué à notre pays dans le domaine du droit d'auteur. Et cet héritage a prévu que les droits d'auteur soient gérés sur le territoire national par le Burida et à l'extérieur, par la SACEM. C'est ce qui se fait jusqu'à aujourd'hui. Cependant, dans le cadre de notre mission, c'est un point important que nous entendons mettre sur la table de discussion avec la SACEM, parce que nous pensons avoir désormais, en Côte d'Ivoire, et les compétences et la maturité pour que cette mission soit menée en partie par les cadres ivoiriens. Je peux comprendre que ce fut un appui technique de taille qu'on a pu apporter au Burida, mais il serait bon que les choses soient faites autrement.

Comment allez-vous procéder concrètement?

Il nous faut tout simplement signer des conventions de réciprocité avec les autres Etats. Il me paraît beaucoup plus simple de commercer avec un pays sur le continent, que de transiter par une capitale européenne. Notre police numérique nous permet de capter tous les signaux et de piger les ?uvres de l'esprit qui sont diffusées sur les télévisions africaines.


Interview réalisée par
Mayane Yapo

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