samedi 29 septembre 2007 par Fraternité Matin

Le Conseil national de l'Ordre des architectes organise un salon du 2 au 6 octobre à l'hôtel Ivoire. M. le président, la Côte d'Ivoire est-elle un modèle en matière de respect des normes d'architecture dans la réalisation de ses nombreuses infrastructures ?
Je vais vous donner une réponse anecdotique. La Côte d'Ivoire a été un modèle que je vais situer entre deux grandes périodes. Il y a celle qui part de l'indépendance avec l'héritage de la colonisation où un certain nombre de règles étaient déjà établies. C'est-à-dire de 1960 à 1980. A cette période, la Côte d'Ivoire était un modèle au niveau de la réglementation urbaine, voire de la planification urbaine. Et l'on passé d'un urbanisme planifié et contrôlé à un urbanisme où le laisser-faire a pris le dessus à partir de 1980. Cette anarchie que nous déplorons d'ailleurs est due essentiellement au désengagement de l'Etat par rapport à certains aspects sociaux de notre développement. Notamment, son désengagement de la construction de logements pour personnes économiquement faibles et son désengagement de la planification urbaine qui ont laissé place à un certain dysfonctionnement du développement urbain. Il est certain que cette question sera l'une des préoccupations abordées lors du salon de l'architecture et du bâtiment que vous organisez du 2 au 6 octobre 2007 sur le chantier du bâtiment de l'UPU à l'Hôtel Ivoire C'est essentiellement l'une des raisons qui nous ont amenés à organiser ce salon. Nous avons longuement réfléchi à la chose et nous avons essayé de faire l'état des lieux. Et cet état est tellement catastrophique que nous ne pouvons pas continuer à dire qu'on n'y peut rien. Pour nous, ce n'est pas une fatalité que les choses soient ainsi. Nous, architectes, ne sommes pas des fatalistes dans l'âme. Même si nous savons que nous avons notre part de responsabilité dans le problème. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons décidé d'organiser un salon qui puisse être une plate-forme où les différents professionnels du secteur du cadre bâti se rencontrent pour échanger sur les voies à explorer pour qu'enfin on décide ensemble de respecter les normes qui existent. Il ne s'agit pas pour nous de les réinventer. Elles existent. La Côte d'Ivoire a des textes, que je dirai, avant-gardistes qui ont prévu un certain nombre de choses. Il suffit dans un premier temps de les respecter, dans un deuxième temps de corriger certaines qui ne sont plus au goût du jour et dans un troisième temps de se projeter dans l'avenir. De sorte à pouvoir tenir compte de problématiques et de concepts qui semblent aujourd'hui être nouveaux. Parce qu'au niveau du vocabulaire, les choses ont évolué. Mais ce qui existe depuis, c'est la qualité du cadre de vie. Ce qu'on appelle aujourd'hui développement durable où il faut intégrer un certain nombre de règles qui tiennent compte de la vie des générations futures. Comment se traduit l'anarchie dont vous parlez?
A Abidjan, il y a plusieurs types de quartiers. Il y a des quartiers traditionnels comme Treichville et Adjamé. Ce sont des quartiers où l'on a des rues et des avenues qui sont facilement identifiables. Il y a eu par la suite de nouveaux quartiers qui ont été créés comme les 220 logements d'Adjamé, Cocody Saint Jean et Yopougon. Le dernier est une véritable ville nouvelle née dans les années 80. Le c?ur du quartier est bien structuré, mais les débordements n'ont pas été maîtrisés. Tout cela pour dire qu'une ville ça se pense. On prévoit pour du long terme. Quand on crée un nouveau quartier, on doit penser à son rattachement à la ville. Un désordre, ce sont par exemple les lotissements faits par les villageois. Ces lotissements ne sont pas généralement structurés. Ils sont conçus par des géomètres. Or ce n'est pas du métier des géomètres de concevoir des lotissements. Ce rôle appartient à l'urbaniste. Le géomètre est un autre corps de métier qui travaille bien sûr de concert avec l'urbaniste pour avoir les meilleures implantations sur le terrain. Quand l'urbaniste conçoit un lotissement, il pense à son rattachement à la ville. Donc aux grandes voiries. Et qui dit grandes voiries, dit assainissement, alimentation en eau potable, évacuation des eaux de pluie, etc. Toutes ces choses doivent être pensées pour un développement harmonieux. Donc tout ce qui va à l' encontre d'une telle planification comme les quartiers spontanés, est un désordre urbain. Nous ne disons pas que tous les quartiers doivent être forcément des quartiers de riches. Mais, il appartient à l'Etat d'assurer un minimum de structuration. Même si certaines catégories de citoyens qui n'ont pas les moyens devraient s'adonner à l'auto construction, l'Etat devra leur apporter l'électricité et l'eau potable et dégager de grandes voies pour que ces populations puissent vivre de façon convenable.
Dans les quartiers structurés, nous avons des règlements d'urbanisme. Il appartient à l'Etat de faire respecter la réglementation. Un désordre c'est aussi une construction qui n'a pas de permis de construire. Le permis de construire, faut-il le savoir, répond à un certain nombre de règles à respecter. Par exemple, si vous avez une surface de 200 m2 de terrain, vous avez droit à une occupation maximale construite de 50%. L'autre moitié non construite sert à la qualité de la construction parce qu'elle fait respirer la maison grâce à la cour et au jardin, etc.
Une voie est délimitée par les limites de propriétés matérialisées par les terrains qui sont de part et d'autre. Le règlement d'urbanisme peut dire que votre maison doit avoir un recul minimum de 3 à 5 m par rapport à la voie. C'est-à-dire par rapport à votre limite de propriété. Ce recul qu'on vous demande, permet d'assurer une harmonie à la rue concernée. Tout ce qui ne respecte pas de telles dispositions, est anarchie.
Avec le non-respect des règles observées partout dans les villes, y a-t-il finalement des quartiers structurés en Côte d'Ivoire ?
C'est fort du constat de la politique du laisser-faire ou alors de l'urbanisme du fait accompli que nous avons décidé de réagir à travers l'organisation du salon Archibat. Pour que ministères techniques, collectivités locales et autres professionnels du secteur se concertent en vue des solutions idoines.
De façon pratique en quoi va consister le salon ?
Nous allons organiser un salon d'exposition proprement dit où les pouvoirs publics et le grand public pourront rencontrer les professionnels de l'acte de bâtir. A savoir : les architectes, les urbanistes, les distributeurs de matériaux de construction, les vendeurs de ciment, les vendeurs de tôles De sorte que ceux qui ont des projets pourront collecter les renseignements utiles à leur réalisation. Autre chose importante, les participants auront l'occasion surtout de rencontrer le ministère de la Construction, de l'Urbanisme et de l'Habitat qui a décidé de jouer de transparence et d'ouverture pour expliquer les différentes procédures en matière de construction. Toutes ses 30 directions seront là pour répondre aux différentes préoccupations de la population. Pour que dorénavant chacun construise dans les règles de l'art en toute légalité. C'est-à-dire dans le respect des règles. Car ce n'est pas en ne respectant pas la réglementation qu'on construit moins cher. Ce n'est pas parce qu'on ne prend pas un architecte qu'on fait des économies. Au contraire, l'architecte qui, lui, est un professionnel vous permet de construire dans les règles de l'art et de faire des économies. Parce qu'il sait comment utiliser les matériaux pour éviter les gaspillages. Donc ce que vous payez à l'architecte, vous le récupérez deux, trois, quatre fois, voire plus selon l'importance du chantier. Vous devez savoir que l'architecte est là pour vous accompagner depuis la planification de votre projet, jusqu'à sa réalisation. Ce salon arrive au moment où la Côte d'Ivoire est en train de sortir de sa crise pour entamer sa reconstruction. Peut-on savoir quel rôle les architectes entendent y jouer ?
La reconstruction fait partie d'ailleurs du créneau du salon. Reconstruisons, mais reconstruisons dans les règles de l'art. Reconstruisons mieux aujourd'hui, pour mieux vivre demain. Les architectes veulent rappeler à tous les donneurs d'ordre, qu'ils soient publics ou privés, qu'ils sont là pour les accompagner dans leur volonté de reconstruire. L'Etat aura à reconstruire les hôpitaux, les écoles, les bâtiments administratifs. Il faut qu'il s'attache les services des architectes. Parce que dans cette reconstruction de la Côte d'Ivoire, l'Etat a une obligation de qualité de service. Ne reconstruisons pas comme on l'a fait par le passé. Je vous donne un exemple. Si vous regardez les écoles construites en Côte d'Ivoire, vous verrez que celles qui tiennent encore debout, sont les plus vieilles. A Abidjan par exemple, le lycée qui tient encore debout, est le lycée classique alors qu'il date de 1947. Cela veut dire donc qu'en 1947, on construisait plus solide et mieux qu'en 2007. Pourquoi ? Voyez, les collèges BAD construits il y a une dizaine d'années se sont écroulés parce qu'ils n'ont pas été construits dans les règles de l'art. Ils ont été construits sans la notion de développement durable. Et surtout, sans la concertation des véritables professionnels des différents métiers de l'acte de bâtir. Le travail doit être conçu par un architecte, mis en ?uvre par un véritable entrepreneur et non quelqu'un qui était tailleur avant-hier ou encore la maîtresse d'un grand patron à qui on offre des marchés. Ces pratiques doivent disparaître. Un bon bâtiment, c'est celui qui est bien conçu. Qui tient compte de l'orientation des vents, des dominations, de l'ensoleillement et de la géographie dans laquelle il se trouve. Bref.
Les architectes sont mobilisés pour la reconstruction. Ils sont prêts à apporter leur concours à tous.

Interview réalisée par
Alakagni Hala

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023