mardi 25 septembre 2007 par Fraternité Matin

Le président de l'UVICOCI François Amichia, dénonce l'indifférence de l'État face aux souffrances des maires de la zone CNO. Le 16 août dernier à Bouaké, vous avez participé, à l'initiative du ministre de l'Intérieur M. Désiré Tagro, à une réunion relative aux conditions de retour de 113 élus, dans les zones centre nord et ouest. Et pour accompagner le processus de ce retour qui devrait marquer la fin du redéploiement des cadres de l'administration, le ministre avait annoncé une enveloppe de 5 milliards. Un mois après, quelle est la réalité du terrain?
Depuis le déclenchement de la guerre, les communes qui se sont retrouvées dans la zone sous contrôle des Forces nouvelles n'ont pas eu un fonctionnement normal. Les conseils municipaux n'ont pas pu se réunir, les communes qui recevaient les subventions de l'Etat n'ont pas perçu leur dû, les agents municipaux qui travaillaient dans ces différentes communes ont été contraints au chômage. Les maires ont essayé de convaincre en vain les différents ministres qui ont animé le ministère de l'Intérieur et de la décentralisation, de faire en sorte que ces communes rouvrent . Le 16 août, sur invitation du ministre Désiré Tagro, nous sommes allés à Bouaké pour réinstaller officiellement M. Fanny Ibrahima, maire de cette ville et cet acte devait marquer le départ du redéploiement effectif des autres 112 élus c'est-à-dire les 22 présidents des Conseils généraux et les 90 maires issus de cette zone ex-assiégée. Nous avions émis comme conditions que les maires bénéficient d'un kit pour le retour, que les agents municipaux perçoivent une partie des salaires qu'ils n'avaient plus reçu depuis belle lurette, sans oublier de nous interroger sur ce qu'il en était des subventions des mairies qui avaient été gelées pendant toute cette période. On nous avait donné l'assurance que les subventions du dernier trimestre 2002, de l'année 2003 et du début de l'année 2007 étaient disponibles .C'est ce cumul qui constituait les 5 milliards annoncés par le représentant du gouvernement. A notre retour, nous nous sommes attelés à entrer en possession de ces bons de caisse, mais quel parcours du combattant ! Malheureusement, nous n'avons toujours pas obtenu gain de cause. Comment a-t-on justifié cela?
On nous avait proposé ce qu'on avait appelé un budget simplifié pour recouvrer ce solde, après on nous a opposé l'idée d'un budget normal. On assiste à un jeu de pirouette et pourtant les maires piaffent d'impatience de pouvoir regagner leurs bases pour se mettre au service de leurs concitoyens. Le collectif des maires déplacés et le bureau de l'UVICOCI éprouvent un réel malaise et sont à se demander si le gouvernement désire vraiment que les élus locaux regagnent leurs communes pour continuer leur action de développement local. Peut-on véritablement dans ce contexte s'attendre à ce que les maires jouent un rôle
important dans le retour de la paix, ce d'autant que les audiences foraines débutent aujourd'hui et qu'il y a la réactualisation de l'état civil avec toutes les naissances et tous les mariages qui ont eu lieu pendant cette période?
On a essayé de tenir vaille que vaille les registres d'état civil avec les décès, les mariages et les naissances. Aujourd'hui, il faut refaire tout cela de façon pointue et c'est un peu cela notre déception. Avec les audiences foraines supposées débuter ce jour, le maire est un officier de l'état civil et quand le juge a jugé une personne apte à recevoir un jugement supplétif ou un acte de naissance, il appartient au maire de délivrer effectivement ces documents et de les signer. Mais si les maires ne sont pas dans leurs communes et que les hôtels de ville ne sont pas restaurés, s'il n'existe pas le minimum de registre ou d'équipement pour travailler, les maires ne pourront pas être ces compléments essentiels dans la chaîne de délivrance des actes de naissance et des jugements supplétifs à l'issue de l'opération des audiences foraines, qui est déterminante dans le processus électoral. Nous avons le sentiment qu'on écarte volontairement les maires de cette zone centre, nord, ouest de l'exercice de leurs charges d'officiers d'état civil. Pourquoi, M. le président de l'UVICOCI, n'avez-vous pas envisagé avec votre tutelle la relocalisation de cette catégorie de maires comme ce fut le cas des présidents des conseils généraux de la zone CNO?
Cela a été notre souci constant. Mais je dois vous faire remarquer que les conseils généraux ont été élus en juillet 2002 et la crise a éclaté en septembre de la même année, on leur a donc conseillé de venir sur Abidjan pour travailler. Les maires, avec le ministre Yao N'dré qui avait succédé au défunt ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, Me Emile Boga Doudou s'étaient interrogés sur ce qu'on leur proposait comme alternative pour fonctionner. On nous avait répondu que nous avions un statut particulier. On n'a pu délocaliser une commune. Les trésoriers qui auraient pu permettre le fonctionnement des communes, ont été aussi freinés par une question de principes. On nous a rétorqué qu'une fois en dehors de leurs bases, ils ne peuvent fonctionner or, les trésoriers des conseils généraux n'ont pas connu cette restriction. Pourquoi donc deux poids, deux mesures pour deux types de collectivités mises en place par l'Etat ? Nous n'avons pas jusqu'à ce jour de réponse, à cette injustice. Et nous ne comprenons pas pourquoi pendant cinq ans les départements ont pu fonctionner et les communes ont été contraintes à la léthargie et à la mort certaine. Nous n'avons pas reçu de réponses plausibles. Nous revendiquons alors que les subventions qui pendant ces cinq années ont figuré dans les différents budgets de l'Etat pour le compte des communes, nous soient reversées pour que nous nous mettions au travail Nous ne menons pas un combat pour nos indemnités mais pour les agents municipaux qui ont payé un lourd tribut à cette crise, qui ont vu leurs cellules familiales dissoutes. Nous pensons surtout à nos administrés qui nous ont donné un mandat par le jeu des élections, alors pourquoi sommes-nous dans l'incapacité de fonctionner ? Les maires attendent du gouvernement une réponse claire et précise pour se remettre au travail. Comme sur la question du reversement des quotes-parts?
D'une part, on a des communes qui ne fonctionnent pas et d'autre part on en a qui éprouvent des difficultés de fonctionnement. Au total, toutes les communes sont sinistrées. Selon les textes, c'est l'Etat qui est chargé du recouvrement des impôts ( foncier, patente et licence) et il reverse 40% aux communes. Cela ne se fait pas régulièrement. L'unicité des caisses est un véritable problème et les communes reçoivent généralement leurs subventions pendant le dernier trimestre de l'année. Comment faire des prévisions et une planification pour travailler si on n'est pas sûr de recevoir les recettes à temps ? Les recettes des marchés ne permettent qu'un léger fonctionnement, mais ne permettent pas de réaliser des investissements, qui ne sont possibles qu'avec les recettes fiscales qui sont reversées aux communes par l'Etat. Malheureusement, le reversement de nos quotes-parts est fonction du bon vouloir du trésorier et du ministre de l'Economie et des Finances. Nous notons qu'il y a eu un progrès parce que maintenant le passage va se faire directement dans les trésoreries. Pour une question de liquidité, cela ne se fait pas encore et les communes ne peuvent pas véritablement fonctionner alors que les recettes sont recouvrées effectivement. Nous demandons au ministre de l'Economie et des Finances qui a déjà beaucoup fait de poursuivre ses efforts pour rendre effectif le transfert des compétences en la matière. Si au plan administratif, ce transfert est fait et que les moyens financiers et les ressources humaines ne suivent, on ne peut pas parler de décentralisation. Souhaitez-vous que le maire soit l'ordonnateur de tout?
Les textes sont clairs. Les communes bénéficient d'une autonomie financière et la tutelle est là pour un contrôle a posteriori. On peut laisser fonctionner les communes, une fois le budget approuvé par le Conseil municipal, après le ministère, la chambre des comptes et l'inspection générale peuvent faire leur contrôle. Toute la latitude n'est pas laissée au maire, il existe des règles de gestion et de fonctionnement qu'il est tenu de respecter.
Vu vos relations avec l'Etat, n'avez-vous pas le sentiment qu'à terme les communes vont être remplacées par les Conseils généraux?
Ce serait une erreur parce que les communes sont la structure de proximité. Quand les habitants d'une cité ont des problèmes, leur premier réflexe est de se tourner vers le maire et non le président du Conseil général, même si la solution à ce problème n'est pas du ressort du maire. Il ne peut y avoir de véritable développement s'il n' y a pas de développement à la base, un développement local. On peut créer plusieurs niveaux de développement local comme le département, la ville, le district, la région, mais on ne peut ignorer le développement local. Il faut donc renforcer les pouvoirs et les moyens des communes pour l'amorce d'un vrai développement. Entre les communes et les départements, il n'y a pas un principe de subordination et de hiérarchisation, les compétences de chacune des deux collectivités sont clairement définies, il faut plutôt créer une synergie entre les deux entités et éviter de favoriser les conseils généraux au détriment des communes.
A vous écouter, vous avez du vague à l'âme, que compte faire l'UVICOCI pour sortir de cette mauvaise passe?
Notre union s'était pleinement engagée dans la préparation et l'exécution des états généraux de la décentralisation initiés par l'ancien ministre Cheick Bamba Daniel. Nous avions pensé au sortir de ces états généraux que le gouvernement exécuterait à la lettre la recommandation du Chef de l'Etat qui avait réclamé un véritable transfert des compétences et qu'il ne saurait y avoir un développement sans une réelle politique de décentralisation. Plusieurs commissions mises en place au lendemain de ces grands moments de réflexion sur la politique de décentralisation, ont eu à travailler pendant deux mois et ont abouti à des conclusions. Mais je dois vous dire que pendant ces travaux, des ministres ont commis des avocats pour venir défendre leurs causes et positions. Incompréhensible tout cela ! Alors qu'on cherche à alléger la tâche des ministres pour que les populations bénéficient des retombées du transfert effectif des compétences, il se trouve des ministres qui s'accrochent à des choses et soupçonnent même les maires d'être incapables de conduire une véritable politique de décentralisation. Ils oublient malheureusement que les maires sont des gestionnaires de cité et que leurs collaborateurs sont également sortis comme eux de grandes écoles de formation et que partant l'administration centrale n'a pas de leçon à donner à l'administration locale. Nous concourons tous au développement de la Côte d'Ivoire. Chacun à son niveau. Et c'est cela que nous voulons faire comprendre. Les maires ne veulent pas le pouvoir pour le pouvoir, mais ils veulent le pouvoir pour l'exercer au profit de leurs concitoyens. Si l'Assemblée nationale a voté les lois et que le Président de la république les a promulguées, il s'agit maintenant d'exécuter les décrets d'application pour que les communes puissent véritablement travailler. On ne peut confier les problèmes aux maires et confisquer les moyens de règlement de ces difficultés.
Surtout qu'il faudra avec la situation post-crise, chercher à créer la richesse. La crise a éclaté en septembre et en octobre, nous nous sommes retrouvés à Grand-Bassam pour voir comment les maires pouvaient participer à travers le processus de réconciliation, à la reconstruction post-crise de notre pays. En Côte d'Ivoire, deux élections n'ont pas été contestées : les municipales et les départementales. Ce sont donc les maires qui peuvent préparer le retour à la paix en travaillant avec les leaders d'opinion au renforcement de la cohésion sociale parce qu'ils sont au c?ur des différentes communautés. On a souhaité que les maires soient vite redéployés. On nous a laissé entendre qu'il fallait commencer par restaurer l'autorité de l'Etat en redéployant le corps préfectoral. Aujourd'hui dans certains endroits, on sollicite l'aide du maire pour trouver un logement au préfet ou au sous-préfet. Mais comment cela peut-il être possible alors que le maire n'a pas encore regagné sa base ? Dans le règlement de notre crise, plusieurs discussions ont eu lieu mais jamais un membre de l'UVICOCI ou de l'ADDCI n'a été associé encore moins consulté. La seule fois où l'UVICOCI a connu cet honneur, c'était au retour de Pretoria. La semaine dernière, vous avez tenu une assemblée générale et ce matin vous animez
une conférence de presse, que réservent les maires au gouvernement?
Au cours de cette assemblée générale, nous avons eu à faire le point sur le retour de nos collègues dans la zone CNO puis sur les états généraux de la décentralisation. Il est ressorti de cette assemblée générale, un sentiment d'amertume et de déception. Et les maires souhaitent que le Président de la république et le Premier ministre prennent leurs responsabilités pour permettre de fonctionner normalement. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont avoué que la politique de décentralisation était le pilier de la politique de développement et qu'il faut l'appliquer. Nous avons l'impression que d'un côté, il y a le discours officiel et de l'autre, les réalités que les gens ne prennent pas véritablement en considération. Dans les pays anglophones, les communes sont des gouvernements locaux et il faut donner des moyens conséquents à ce gouvernement à l'échelle locale de fonctionner, pour soutenir l'Etat dans l'?uvre de développement du pays en construisant des dispensaires, des maternités et en s'occupant de la voirie. Aujourd'hui, nous constatons que notre pays qui est un pionnier dans la politique de communalisation commence à accuser du retard sur des pays qui viennent de s'engager dans ce processus. La vocation de la Côte d'Ivoire n'est pas d'être à la traîne dans ce qu'elle fait. M. le Maire, il y a un aspect de vos traitements qui nécessite réflexion, c'est la disparité corporelle qu'il y a entre vous et les présidents des conseils généraux. A ce niveau, avez-vous une lutte à mener? Des réflexions ont-elles été déjà menées?
Nous félicitons les présidents des Conseils généraux qui ont réussi à avoir des indemnités et un traitement qui correspondent à la fonction qu'ils occupent et leur permettent de rendre les services qu'il faut aux administrés. Mais nous disons que si le gouvernement a pu le faire pour les présidents des conseils généraux, il peut le faire pour les Maires. Parce que nous ne comprenons pas, selon la base de calcul qui a été initié au départ, que pour une population égale, alors que le président du Conseil général a près de 2 millions, le maire a autour de 400 000 francs. Cette disparité ne s'explique pas, et nous pensons que c'est une injustice qu'il convient de réparer. Et là encore, le Président de la République avait donné son accord. Il avait demandé au ministre en charge de la Décentralisation et au ministre en charge de l'Economie et des Finances de préparer un arrêté conjoint qu'il puisse signer pour permettre aux Maires de pouvoir entrer dans leur nouvelle grille. D'autant plus que cela n'a aucune incidence sur le budget général. C'est sur le budget des communes. Alors, nous ne comprenons pas qu'on ne puisse pas prendre cet arrêté pour permettre aux Maires de jouer leur rôle dignement. Le fonctionnement des communes fait du Maire, plus un assistant social qu'autre chose. Mais, lorsque quelqu'un est malade et qu'il vient présenter une ordonnance au Maire, celui-ci ne va pas réunir le conseil municipal pour prendre une délibération, la faire approuver par la tutelle et aller voir le trésorier pour décaisser de l'argent. La personne serait déjà morte. Or, il n'y a pas de caisse d'avance dans les communes. Le Maire est souvent obligé de sortir de l'argent de sa poche. Mais un maire comme celui de Treichville qui gère un budget de près de 5 milliards et qui a 400 000 francs en indemnité, avouons que cela paraît incongru et qu'il y a quelque chose à faire pour réparer cela. Revenons à un cas spécifique à Treichville, le rond-point qui est devenu aujourd'hui, presque un dépotoir. Quel sort réservez-vous à cet espace?
Justement, ce rond-point a une histoire. Pendant la colonisation et aux premières années de l'indépendance, c'est là qu'était situé le marché de Treichville. Le marché a été par la suite transféré à l'Avenue 2. Et l'on a fait du rond-point, d'abord un jardin, ensuite un terrain de sport, et un lieu fermé où les bandits venaient se cacher et agresser les passants. C'est devenu même un mini cimetière de fétiches. On y retrouvait également des enfants abandonnés etc. C'est ainsi que le conseil municipal a réfléchi pour voir que faire de cet endroit afin qu'il garde et la salubrité et son caractère d'oxygénation. Nous avons donc conçu un plan. Nous avons décidé de faire une ceinture de magasins qui allaient servir de barrage et de laisser au milieu, un espace pour accueillir les différentes manifestations et servir de lieu de rencontre et de convivialité pour la jeunesse. Le conseil municipal l'a approuvé, malheureusement, le ministère de la Construction et de l'Urbanisme a trouvé que tel n'était pas l'objet de cet espace et qu'il fallait en faire un jardin public. On sait bien comment les populations entretiennent et exploitent les jardins publics. On a détruit la ceinture de magasins que nous voulions faire autour et, aujourd'hui, le problème est là. On est revenu à la situation d'avant. Les gens reviennent déposer leurs ordures, ils y font leurs besoins. Et ce n'est ni honorable pour la commune de Treichville, encore moins pour la ville d'Abidjan. Nous allons voir avec le ministère de la Construction et de l'Urbanisme, quelle solution trouver à cela. Mais là encore, il y a une interprétation des textes de la décentralisation et du transfert des compétences. Est-ce qu'il appartient au ministère de décider de ce qui est bon sur le territoire communal d'une entité ou est-ce au conseil d'en décider, en fonction des textes et des règles qui régissent tout le monde? La question reste posée.


Interview réalisée par
Franck A. Zagbayou et Abel Doualy

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