samedi 22 septembre 2007 par 24 Heures

Moise Gnago, 41 ans révolus a fait de l'entretien des cadavres son métier. Il communique avec ceux qui ont quitté notre monde. N'hésitant pas à donner à ceux dont le décès n'est pas naturel, les moyens pour rechercher leurs bourreaux. Nous sommes allés à Sinfra à la rencontre de ce personnage déroutant. Il nous parle de ses génies, des sorciers qui ôtent la vie à leurs semblables et du combat qu'il mène contre les forces du mal. Notre reportage est un voyage au c?ur de l'un des mystères en Afrique.

J'ai vraiment souffert hier.
Pour avoir touché à du formol, j'ai été terrassé par mes génies.
J'ai dû leur demander pardon.
Ma femme a pleuré, croyant que mes heures étaient comptées.
Je l'ai rassurée en lui disant que ce sont mes gouverneurs qui me secouaient , révèle Moïse Gnago.
Le ton est donné.
L'interlocuteur n'est pas un homme ordinaire.
Nous l'avons vu à l'?uvre lors des funérailles d'une femme à Sinfra.
A cette occasion, l'homme avait fait des révélations édifiantes.
Après ce qui s'est passé lors de la cérémonie d'hommage aux morts de l'attentat manqué du 29 juin.
Ce jour-là, Le cercueil du Caporal Drissa Diomandé avait promené ses porteurs .
Suscitant des frayeurs et de nombreuses interrogations lors des obsèques de Serge Kuyo, vendredi à Logobia.
Le cercueil du général Terrain avait alors refusé de partir et avait désigné une maison.
Le souvenir de notre première rencontre avec Moïse Gnago nous est revenu.
Nous l'avons recherché et retrouvé au quartier Houphouët-Boigny, à Sinfra.
Avec lui, nous avons voulu en savoir un peu plus sur le phénomène des morts qui refusent de partir .
Moïse Gnago est un homme d'une quarantaine d'années.
Habillé ce jour ?là d'une chemise pagne et d'un pantalon tissu, rien dans l'apparence ne distingue cet homme des milliers d'autres qu'on croise dans les rues Un homme comme les autres, En apparence seulement.
Sous ses airs de monsieur tout le monde, Moïse évolue dans un domaine bien particulier : celui des morts.
Dans cet univers, la fabrication de cercueils est l'activité la plus banale.
En effet, en plus de dresser les lits mortuaires, il s'est spécialisé dans le traitement des cadavres.
Il lave les corps, les habille, les pouponne pour les présenter sous leurs meilleurs jours.
Un savoir-faire qu'il a appris.
Je l'ai appris pendant 14 ans auprès des Ghanéens, à Grand-Bassam.
Ce sont eux qui m'ont donné le secret de faire asseoir un cadavre, si ses parents le souhaitent, de sorte que l'on pense que le corps n'a pas encore perdu son souffle de vie.
Mais le corps qui a des blessures ne peut pas bénéficier de ce traitement , indique-t-il.
Est-ce cette familiarité qui lui permet de communiquer avec les morts ? Non.
Il en faut bien plus.
Parler aux morts est un don.
Je perçois leur voix comme lorsqu'un vivant me parle.
Je les entends comme je vous entends présentement.
En fait, le message est transmis à mon esprit.
Ils me disent de quoi ils sont morts ou qui les a tués.
Les informations que je reçois, je les révèle à un proche du défunt.
Dans la plupart des cas, ce sont les sorciers qui sont cités par les cadavres.
Du coup, ils deviennent mes principaux adversaires , explique-t-il alternant la langue gouro et un français approximatif.
Comme s'il lisait dans nos pensées, il ajoute Je vous prie d'excuser mon langage.
Je n'ai pas été scolarisé .
Qu'à cela ne tienne.
De toutes les façons, ce n'est pas sur les bancs d'une école conventionnelle qu'il aurait appris à décrypter le langage des défunts.
Son pouvoir, il dit le tenir d'une vipère qui fait des apparitions sporadiques dans la rivière sacrée Glanéta dans le village de Douafla où il est né Choisi dès sa naissance, Moïse Gnago va suivre son destin et subir la volonté de l'esprit qui l'habite.
Des miracles, il a commencé à en faire à l'âge de dix ans.
J'ai passé des jours en brousse où j'ai communié avec des génies.
A cette époque-là, je croquais des lames de rasoir sans me faire de mal.
Depuis ma naissance, un esprit m'habite.
J'ai le don de parler avec les cadavres.
J'ai travaillé avec Koudou Jeannot.
Nous avons déterré des fétiches.
Il m'est arrivé un moment d'entrer en transe pendant deux mois.
Je ne mangeais et ne buvais que de l'alcool.
Depuis ce temps, mon pouvoir s'est accru , confie-t-il.
Mais, comme toute science, celle de parler aux morts a ses règles.
Avant d'aller vers un corps, Moïse Gnago prend des dispositions : Je fais des incantations.
Je m'adresse aux génies, j'invoque leur puissance avec une bouteille de Gin.
La veille, je prends deux ?ufs et du kaolin blanc pour demander l'assistance de mes gouverneurs .
Voulez-vous savoir pourquoi des corps refusent d'aller dans la direction prise par les porteurs ? Eh bien, c'est un mystère que seuls les génies permettent de percer.
A en croire ce spécialiste, le mort se manifeste quand il ne veut pas prendre la direction qu'on veut lui imposer.
Et cela, pour trois principales raisons : Le lieu de l'enterrement ne lui convient pas, il souhaite témoigner son attachement à une personne qui lui était chère avant de faire son dernier voyage, il veut démasquer le ou les responsables de sa mort.
Dans le premier cas, les porteurs du cercueil tournent sur eux-mêmes ou n'arrivent pas à bouger.
Dans le deuxième cas, le cercueil marque un arrêt devant la personne que le défunt veut particulièrement saluer.
Dans le troisième cas, le cercueil va frapper son bourreau.
Quelle que soit la raison, lorsqu'un mort fait des difficultés pour partir, il faut faire des sacrifices.
On peut lui offrir des bouteilles de gin.
Il est aussi possible qu'un de ses proches lui demande pardon , souligne-t-il.
Et quand le meurtrier est identifié, Moïse Gnago engage un combat mortel avec ce dernier, soit à la demande de la victime, soit à la demande des parents.
Quand la victime ne peut pas s'attaquer à son bourreau elle me demande de l'aider.
Je mets alors un couteau et une torche alimentée entre ses mains.
Je lui donne un plan précis qu'il suit pour mener son combat.
Je fais la même chose quand ce sont les parents qui demandent une vengeance , poursuit le justicier des morts.
Seulement, il arrive que ce combat dans le monde invisible et spirituel se transporte dans le nôtre.
Dans l'exercice de son métier, il lui est ainsi arrivé de s'attaquer physiquement à des tueurs.
Le cas le plus récent s'est produit, à Zéménafla.
Les génies m'ont dit de frapper un monsieur nommé Abédjo.
Il se faisait passer pour un dément.
Avec sa complicité, des sorciers ont fait de nombreuses victimes.
Il y a aussi le cas d'un vieux à Ziprignan, dans la sous-préfecture de Ouragahio.
Quand je lui ai tendu la main en guise de salutation, le sorcier a pris appui sur ses bras pour me donner son pied.
J'ai répliqué violemment.
Je ne m'amuse pas avec les sorciers , justifie-t-il.
Entre les chatiments infligées par les génies qui le gouvernent et le combat harassant qu'il mène contre les êtres maléfiques, Moïse Gnago connaît une existence pas très enviable.
Alors, pourquoi avoir choisi un métier qui a tant d'exigences ? J'ai choisi le métier pour permettre aux défunts qui nous devancent dans l'au-delà de partir dans de meilleures dispositions possibles.
C'est un vrai soulagement pour les parents et les amis des morts de savoir qu'aucune colère, qu'aucun ressentiment ne troublent l'âme du disparu.
Moïse Gnago aime bien ce qu'il fait.
Mais il ne veut pas que sa progéniture bénéficie de cet héritage .
Et pourtant : j'ai deux enfants qui sont nées dans des conditions mystérieuses.
L'une portait un vêtement semblable à des filets quand l'autre, elle, portait un cachet noir à la jambe.
J'ai conservé l'habit avec le plus grand soin.
Quand elle aura un certain âge, elle prendra le vêtement , promet-il.
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La relève, semble-t-il, sera bien assurée.


Claude Séraphin Séry, envoyé spécial à Sinfra

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