vendredi 21 septembre 2007 par Fraternité Matin

Bien malin qui dira aux Ivoiriens quand leur pays sortira de la zone de turbulence. Si, pour ce faire et comme tout le monde se plaît à l'affirmer, c'est à la prochaine présidentielle qu'on s'agrippe, autant admettre que la crise politico-armée a encore ?hélas !- de beaux jours devant elle. Parce que ce scrutin, reporté depuis 2005 (fin du mandat présidentiel de cinq ans) et jamais organisé, est devenu une arlésienne. De ce fait, la colère exprimée, mardi dernier, par Laurent Gbagbo devant les instituteurs, était loin d'être une mise en scène, et encore moins une farce. Elle est la manifestation d'un ras-le-bol. Tout simplement.
Le Chef de l'Etat est de plus en plus excédé de ne pas voir le bout du tunnel. Malgré tous ses efforts et ses sacrifices. Après le couac de 2005, les résolutions onusiennes ont proposé le scrutin d'abord en 2006, puis en 2007. Fiasco. L'Accord ivoiro-ivoirien de Ouagadougou, tout en laissant espérer, tarde à combler tous les espoirs. Signé le 4 mars dernier, cet arrangement politique de la capitale burkinabé prévoyait la présidentielle dans dix mois, c'est-à-dire au plus tard en décembre de cette année. Cette échéance ne sera pas respectée. Le Cadre permanent de concertation (CPC, structure créée par ledit Accord), constatant le retard accusé dans l'exécution du chronogramme, a reconsidéré, en juin, cette date en fixant le scrutin au premier trimestre de 2008. Echec et mat. La Commission électorale indépendante (CEI, maître d'?uvre et d'ouvrage des élections générales) vient, elle aussi, de jouer sa partition. En renvoyant le scrutin à plus tard. Beaucoup plus tard. Dans le meilleur des cas, il ne pourra se dérouler qu'en octobre 2008. C'est-à-dire dans un an. Et encore ! Si et seulement si les audiences foraines, prévues pour démarrer mardi prochain, s'achèvent en décembre.Rien n'est donc sûr. Et Laurent Gbagbo est dans un état d'énervement extrême. Au point d'accuser la CEI et tous ceux qui manoeuvrent pour reporter à la saint glinglin la présidentielle de meurtre. Quiconque décide de retarder les élections est un criminel contre la Côte d'Ivoire?, a-t-il fulminé. L'Etat, pieds et poings liés, est impuissant. Ce n'est pas lui qui, réglementairement, fixe les dates des consultations. C'est la CEI. Ce n'est pas lui qui, financièrement, dispose des moyens de sa politique. Ce sont les bailleurs de fonds. Or, il se trouve que les partenaires au développement, qui ont été exclus de notre accord d ébarrassé des tutelles extérieures?, selon les mots du Chef de l'Etat, lui-même, ont choisi de traîner les pieds et de se livrer à une sorte de chantage. Pour imposer, au finish, leur diktat. Parce que, comme l'enseigne la sagesse africaine, la main qui reçoit est toujours en bas de celle qui donne. La plupart des partenaires veulent avoir l'assurance que le processus a démarré et qu'il atteindra son terme, avant de décaisser?, a expliqué André Janier, ambassadeur de France en Côte d'Ivoire, à l'issue d'une séance de travail, mercredi, avec le président de la CEI, Robert Beugré Mambé. C'est là un cercle vicieux. Sans les moyens promis par les bailleurs de fonds (193,9 milliards de nos francs) au cours de la table ronde organisée, le 18 juillet dernier, par la Primature pour financer la sortie de crise, la CEI ne peut pas démarrer le processus électoral. Nos amis de la CEI disent, à juste titre, qu'ils ont besoin de moyens pour démarrer?, a déclaré, presque goguenard, l'ambassadeur français. Or, si ses activités restent paralysées, parce qu'elle attend le soutien extérieur, elle ne peut bénéficier d'aucun appui financier des partenaires au développement. On va donc tourner en rond (pour combien de temps encore?) et subir les humeurs de ces froids bailleurs de fonds qui vont à leur rythme. C'est-à-dire: sans se presser.
En outre, Laurent Gbagbo en a plus qu'assez d'être un Président de la République hors mandat. Il n'accepte plus de n'être reconduit pour présider aux destinées du pays que grâce aux résolutions onusiennes ou aux accords de paix. Les efforts pour le dégommer, par tous les moyens, ont, certes, échoué, parce qu'il est toujours à la barre; mais plus que quiconque, il est aujourd'hui convaincu que son mandat est frappé d'illégitimité.
C'est pourquoi, il sollicite, au plus vite, le suffrage des électeurs ivoiriens. Pour en découdre avec ses principaux adversaires qui, se déclarant tous vainqueurs au premier tour, ont vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Mais surtout pour mettre un terme au cafouillage monstre qui règne au sommet de l'Etat en raison de la crise armée. Le programme de gouvernement et le projet de société du FPI, parti qui a porté Laurent Gbagbo au pouvoir, sont mis sous le boisseau. Le Président de la République n'a plus tous les pouvoirs que la Constitution lui reconnaît et le pays n'est pas gouverné comme il se devait: le Premier ministre ne peut être révoqué de même que les ministres. Et pour comme boucler la boucle, notre pays est conduit par un gouvernement n'zassa?, selon les propres mots du Chef de l'Etat; un gouvernement de crabes, de serpents et de vers de terre? qui n'a aucune ligne directrice, aucune cohérence d'ensemble. Last but not least, certains des ministres sont même candidats à la prochaine présidentielle contre le Président Laurent Gbagbo. Ils continuent de siéger au gouvernement. Et d'animer des meetings politiques au cours desquels ils ne se privent pas de fustiger le Chef de l'Etat.
Un malheur n'arrivant jamais seul, le temps commence à jouer contre Séplou. En raison d'un climat social plus que délétère qui dessert le camp présidentiel. La FESCI, monstre créé par le pouvoir?, pour certains, et véritable bombe à retardement? pour d'autres, est devenue incontrôlable. Elle continue de se rendre justice partout où elle se trouve. Dans une totale impunité. Les prix des denrées de première nécessité connaissent une hausse vertigineuse à telle enseigne que Gbagbo, lui-même, a avoué qu'il aurait fait partie des manifestants, n'eût été sa fonction actuelle. C'est dire ! Les grèves deviennent de plus en plus anarchiques, inconstitutionnelles et ternissent l'image de la Refondation, qui soupçonne des déstabilisateurs, tapis dans l'ombre, de tirer les ficelles pour pourrir davantage le front social.
Et puis, plus le temps passe, plus les adversaires du Woody de Mama? parmi les plus dangereux reprennent du poil de la bête. En mettant l'accent sur les présumées dérives, gabegies et mauvaise gouvernance. Ils ne prêchent pas toujours dans le désert. Aussi, Alassane Ouattara tourne-t-il en dérision le FPI en lui prédisant une indigestion s'il lui venait à l'idée d'essayer de phagocyter le PDCI et le RDR. Bédié et Ouattara ont connu un passage à vide pour leurs accointances, réelles ou supposées, avec la rébellion. Certains de leurs militants, au nom de la défense des institutions républicaines, ont soit tourné casaque, pour rallier le FPI et le camp présidentiel, soit choisi de créer de nouvelles formations politiques. Mais, apparemment, la saignée a été contenue. Le PDCI et le RDR donnent à penser qu'ils n'ont pas été ébranlés outre mesure. Pour l'heure, ils semblent ne pas risquer d'être emportés par la vague des démissionnaires. Surtout que des déçus du parti ayant remporté la présidentielle de 2000, en sont réduits aux mêmes pratiques: le vagabondage politique. Les deux sérieux adversaires du Chef de l'Etat ont ainsi retrouvé de la voix, de leur superbe, et font feu de tout bois.

Par
Ferro M. Bally

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